Nous relatons en rubrique « Actualités » la tenue du congrès des Associations de noblesse d’Europe organisé par la Réunion de la Noblesse pontificale, en Avignon comme il se doit, car les Papes s’y étaient installés le 9 mars 1309. Mais quel est le lien avec l’histoire de Saint-Jean-Pied-de-Port ?
Une bâtisse à l'histoire pittoresque et singulière dégage encore de nos jours le mystérieux « fumet » d’une histoire souvent ignorée ou mal interprétée : il s’agit de la fameuse « Prison des Evêques » dont le voisinage avec une « Maison des Evêques » en haut de la rue de la Citadelle témoigne du statut de ville épiscopale qui s’attacha à Saint-Jean-Pied-de-Port au XIVe siècle !
A cette époque, la bourgade navarraise était devenue un carrefour commercial important et une étape obligée des voyageurs et des pèlerins de Compostelle sur la route de Pampelune, la capitale de la Navarre. Car, jusqu’au début du XIIe siècle, sous Sanche le Grand, le Royaume pyrénéen regroupait toutes les provinces basques, au-delà de l’Ebre au sud, englobant une partie de l’Aragon à l’Est et prolongeant son influence bien au Nord de Bayonne par ses parents et alliés les vicomtes de Labourd qui s’attelèrent à l’unité de la Gascogne.
Saint-Jean-Pied-de-Port était la ville principale de la Merindad (ou province) d’outre-ports (ou derrière les cols) du royaume de Navarre et ses souverains y firent de fréquents séjours. Or, en 1378, deux papes furent élus durant ce que les historiens nomment le schisme d'Occident : Urbain VI le 8 avril à Rome et Clément VII le 20 septembre dans le royaume de Naples. Clément VII dut se retirer en 1379 en Avignon, où les papes avaient résidé de 1309 à 1376.
C’est à ce moment que le diocèse de Bayonne connut deux évêques : celui nommé par le pape de Rome qui continua de résider à Bayonne, et celui qui obéissait au pape d’Avignon, lequel s’établit à Saint-Jean-Pied-de-Port (le diocèse comprenant aussi bien le Labourd qui comptait parmi les possessions d'Aquitaine du Roi d'Angleterre, et la Basse-Navarre qui appartenait au roi de Navarre). La ville devint donc résidence épiscopale sous l'obédience de la papauté d'Avignon, tandis que l'évêché de Bayonne, devenue ville anglaise lors du mariage d’Aliénor d’Aquitaine avec le futur roi d’Angleterre, restait sous les ordres de Rome. Quelles pouvaient donc être les relations entre ces deux évêques qui prétendaient au même territoire ?
Sans doute selon les circonstances… A certains moments, elles ne devaient pas être mauvaises puisque dans ses chroniques, Froissart s'étonna fort de voir les prélats des deux obédiences réunis à Orthez à la même table, celle de Gaston Phébus qui savait être fin diplomate ! Toujours est-il qu’à St Jean Pied de Port, trois évêques vont se succéder : le premier fut le franciscain Pierre de Sumalaga, nommé en 1383 par le pape Clément VII lui-même. Quatre chanoines de la cathédrale de Bayonne l’y suivirent, les autres restèrent avec l’évêque nommé par Rome qui résidait à Bayonne.
Prison sous la Révolution et l’Occupation
Bernard-Garcias Eugui, confesseur du Roi de Navarre, succéda en 1385 à ce premier évêque de Saint-Jean-Pied-de-Port ; en 1409, ce fut le tour de Guillaume-Arnaud de Laborde que le roi de Navarre Charles III envoya siéger au Concile de Constance où l’on décida pour les diocèses comme celui de Bayonne où il y avait deux évêques, qu’ils administreraient ensemble leur diocèse jusqu'à la mort de l'un des deux. L'autre resterait ensuite le seul évêque reconnu. C'est ainsi qu'en 1417, Guillaume-Arnaud de Laborde partit s'installer à Bayonne où il fut intronisé le 21 octobre et Saint-Jean-Pied-de-Port, depuis ce jour-là, cessa d'être résidence épiscopale.
Quant à la fameuse « Prison », elle ne fut jamais celle des évêques pour la bonne raison que les évêques n’ont jamais rendu la justice, seul l’alcalde, c’est-à-dire l’autorité civile, avait ce droit, conféré par le Roi de Navarre. En fait, il s’agit d’un édifice du XIIIe ou du XIVe siècle qui servit de siège à une bourse de marchands (ou peut-être l'ancien hôtel de ville), avec sa belle et grande salle voûtée médiévale construite contre les vestiges d’une ancienne maison forte détruite à la fin du XIIIe siècle et qui occupait le jardin Laborde (il demeure un pan de mur percé de meurtrières et d’une porte en ogive). Réalisé en grès rose extrait de la colline voisine de l’Arradoy certaines pierres de l’édifice portent des marques de tâcherons gravées au Moyen Age (près de 24 différentes et plus de 500 au total) réparties sur les assises de la salle voûtée. Ce sont des signes codés relatifs à l’identité du tailleur de pierre ou de l’atelier. Il y en avait beaucoup à Saint-Jean-Pied-de-Port et surtout à Ispoure (véritable village de tailleurs de pierre dès le Moyen Age). Souvent, l’artisan était un journalier payé à la tâche et pour justifier du nombre de pierres taillées en une journée, il apposait cette signature afin d’être réglé à la fin de son travail.
C’est la révolution qui en fit une prison municipale ; plus tard, au XIXe, aux locaux disciplinaires pour les soldats de la garnison postée à la Citadelle, succèdera à partir de 1940 un lieu de rétention pour les fugitifs du Service de Travail Obligatoire. Quant à la Maison des Évêques sa voisine ou « maison Laborde », elle semble relever tout autant de la légende. Elle fut sans doute reconstruite puisqu’un de ses moellons porte en relief la date de 1584 alors que le dernier des trois évêques garaztar, précisément Arnaud de Laborde, avait rejoint Bayonne dès 1417. D’ailleurs, on pense que la vraie résidence de l’évêque se trouvait sur la place face à l’église. En 1567, les troupes protestantes béarnaises pillèrent, saccagèrent et incendièrent Saint-Jean-Pied-de-Port, effaçant beaucoup de traces historiques de cette époque.
Ouvert tous les jours de 11h30 à 12h30 et de 14h30 à 18h30. Entrée 3 € moins de 14 ans: gratuit, groupe à partir de 15 pers: 2€/pers.
Alexandre de La Cerda