L’éphéméride du 21 février nous signale qu’en 1885 naissait Sacha Guitry. L’occasion de rappeler le souvenir d’un auteur qui n’a jamais quitté les scènes de théâtre et dont les œuvres recueillent toujours autant de succès sur les écrans, petits et grands. Précurseur dans bien des domaines, particulièrement au cinéma où son nom est lié à celui de l'auteur de ses derniers films, l'Hazpandar Clément Duhour (« Si Versailles m'était conté » en 1954, « Napoléon » et « Si Paris nous était conté » en 1955, « Assassins et Voleurs » et « Les trois font la paire » en 1957), il reste le peintre sans concessions de la nature féminine, qu'il aime à « feuilleter, à lire et à relire, sans jamais faire de cornes à ses beaux livres ».
Sacha Guitry à Biarritz
L'écrivain villégiatura souvent à Biarritz au cours des années trente. Il s’arrêtait à la villa « Calaoutça », propriété des comtes de Castries au bord du lac Marion, où son épouse d’alors, Jacqueline Delubac, remarquait « une petite chapelle et son jardin de curé, des allées de buis bien taillées, verveines, amarantes, héliotropes, un bois, un potager, une ferme »...
Une lettre (deux pages et demie) écrite à « Calaoutça » (août 1935 ?) adressée à M. Personnaz (il s’agit sans doute d’Antonin Personnaz, le célèbre collectionneur d'art bayonnais, mécène du Musée Bonnat) a été vendue à la Salle Drouot il y a quelques années. Sacha Guitry remercie Personnaz pour « sa lettre le touche infiniment, et il viendra chez lui mercredi avec le Baron Chassériau, petit-neveu du peintre illustre, homme infiniment distingué [...] Et je vous dirai ce jour-là combien est émouvant le souvenir que vous évoquez de mon père dans « Le Tribun », car cette pièce lui a coûté la vie » (il s’agit de la pièce « Le Tribun, chronique de 1911 » de Paul Bourget, lui-même collectionneur d’Art, jouée en 1911 au théâtre du Vaudeville à Paris avec Lucien Guitry dans le rôle principal. Quant au baron Chassériau, c’était le propriétaire de la villa « Fal », non loin de « Calaoutça)...
Sacha Guitry profitait de ces séjours auxquels participaient également sa belle-mère et sa secrétaire, Fernande Choisel, pour dicter quelque nouvelle œuvre, présenter une pièce ou discourir sur l'éternel féminin au Casino Municipal.
Une lettre du ministre de l'Education nationale, Jean Zay, lui apprit sur ces entrefaites qu'il venait d'être fait Commandeur de la Légion d'Honneur. Or il devait, le lendemain, assister à un gala. Ne trouvant pas l'insigne de son nouveau grade dans les magasins de la ville, sa secrétaire, pour lui en faire la surprise, envoya le chauffeur faire la tournée des grands hôtels, dont un chef de réception finit par indiquer l'adresse d'un général, lequel accepta de prêter sa propre rosette !
Son smoking fraîchement décoré procura à Sacha Guitry un supplément de bonne humeur pour la soirée, lui faisant même déclarer à propos de sa cravate, qu'en la recevant, il avait « tout à coup l'impression que son pays lui sautait au cou ».
Il avait également écrit : « Quand on se prend à hésiter entre deux plages, l'une d'elles est toujours Biarritz ».
A sa disparition en 1957, sa dernière épouse séjourna régulièrement à l’hôtel du Palais où l’ancien directeur Jean-Louis Leimbacher, jeune réceptionniste à l’époque, se souvient de la générosité de Lana Marconi qui ne manquait jamais d’inviter à y séjourner, chaque année, l’ancienne gouvernante de son mari.
Depuis sa naissance à Saint-Pétersbourg, un observateur implacable de la société
Comme ses deux frères aînés, Alexandre – surnommé Sacha – avait débuté son existence dans la capitale de l'Empire russe où son père, acteur dramatique, fit la saison d'hiver pendant près d’une décennie au théâtre Michel, et où il dut son prénom de baptême à son parrain l’empereur Alexandre III qui appréciait particulièrement le talent de Lucien Guitry, jusqu’à l’admettre à sa table, avec le jeune Sacha. C’est même dans la capitale de l’Empire Russe qu’il fit ses premiers pas sur une scène de théâtre, à l’âge de cinq ans, avec son père... Avec qui il avait été à bonne école : selon les mémoires de Gheusi, Lucien Guitry était revenu en toute hâte de Saint-Pétersbourg à la suite d'une intrigue amoureuse qui lui avait fait quitter précipitamment le Théâtre Michel et la protection de l’empereur de Russie.
Alors adolescent, le petit Sacha, silencieux, fixait durant des heures, de ses yeux aigus, le spectacle des répétitions de coulisse et la parade tumultueuse dont le torrent s'écoulait devant lui, annonçant un observateur étonnant mais ne laissant rien pressentir, tant il restait muet, de l'écrivain de théâtre qu'il deviendrait.
Et plus tard, comme dans sa maison qui lui fut un théâtre intime, il exerça l'œil perçant du maître de la cave au grenier, se souciant également de l'écriture de ses pièces et du prix des poireaux, de même ne se priva-t-il pas d'observer les convives choisis qui lui fournissaient ses personnages.
Son œuvre, aux lumières tamisées, aux lits complices, aux maîtresses langoureuses ou perfides, reste d'actualité, car il l'a sans doute vécue, lui qui écrivit : « J'aurai passé ma vie à confirmer la règle ».
Sacha Guitry fut très jalousé de son vivant, comme tous les auteurs à succès, en particulier Edmond Rostand qu’il aimait à citer et dont il aura conservé toute sa vie le tabouret recouvert de velours rouge sur lequel l’auteur de « L’Aiglon » posait son manuscrit lorsqu’il lisait la pièce à son père, l’acteur Lucien Guitry, en changeant de voix à chaque personnage : en faisant son porte-bonheur, Sacha l’appelait même « le tabouret du succès » !
« Je ne suis détesté que par les imbéciles - ou bien par des gens qui sont d'une laideur extrême... Il est vrai d'ajouter que l'un n'exclut pas l'autre, et que l'idiotisant est compatible en outre avec le biscornu... »
Quand une bande d'excités vinrent l'arrêter, le 23 août 1944, sous prétexte qu'il n'avait pas mis son théâtre entre parenthèses pendant l'occupation - Sacha Guitry considérant, comme beaucoup d'autres, que notre pays, loin de mettre « son moral en veilleuse, devait continuer à vivre, s'il avait vraiment le désir de survivre » - trois jeunes gens, parmi lesquels Alain Decaux, s'étaient spontanément mis à la disposition du Maître pour veiller sur les précieuses collections rassemblées dans sa maison.
Après sa disparition en 1957, des jeunes reprendront le flambeau de son théâtre. D'abord, Jean-Claude Brialy. Egalement Fabrice Lucchini avec « Beaumarchais », Jean-Paul Belmondo, « Désiré », Valérie Lemercier dans « Quadrille » et combien d’autres...
- A lire : la très complète et passionnante biographie de Jacques Lorcey « L'Esprit de Sacha Guitry » parue chez Atlantica.
- Quelques-uns de ses traits d'esprit :
• On peut faire semblant d'être grave. On ne peut pas faire semblant d'avoir de l'esprit.
• Oh, privilège du génie ! Lorsqu'on vient d'entendre un morceau de Mozart, le silence qui suit est encore de lui...
• Si ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d'eux, ils en diraient bien davantage !
• Il faut trois hommes à une femme : un de soixante ans, pour le chèque; un de quarante, pour le chic; et un de vingt, pour le choc...
• Extrait de « Si Versailles m'était conté » :
On nous dit que nos rois dépensaient sans compter,
Qu'ils prenaient notre argent sans prendre nos conseils.
Mais quand ils construisaient de semblables merveilles,
Ne nous mettaient-ils pas notre argent de côté ?
Sacha Guitry avec Jacqueline Delubac au restaurant du Casino Municipal à Biarritz et lettre de Calaoutça