A propos de cette commémoration par l’Eglise des martyrs de la Révolution Française le 2 septembre, il n’est pas inutile de relire quelques extraits de mon ouvrage « La déportation des Basques sous la Terreur », paru l’année dernière chez l’éditeur Cairn. Il y est question des débordements de haine qui se retournèrent rapidement contre les religieux.
Après la mise à disposition de la nation des biens ecclésiastiques décrétée par l'Assemblée Nationale constituante le 2 novembre 1789, ce sont des bandes de huguenots excités par les « clubs » et « sociétés de pensée » qui se répandirent à Nîmes le 14 juin 1790 pour s’y livrer au pillage et au massacre (« plus de trois-cents citoyens avaient péri » selon le maire) après avoir dévasté le couvent des moines capucins qu’ils transperceront à coup de fourche et de baïonnette quand ils ne les démembrent pas ni les découpent à la hache en ricanant : « C'est être bons patriotes et bons amis de la constitution que de faire ce que nous faisons » ! Suivra de peu la constitution civile du clergé décrétée le 12 juillet 1790.
L’année suivante, le 14 juin 1791, ce sera au tour des artisans, professionnels divers et paysans d’être interdits de réunion, de grève et de toute constitution de syndicat ou groupement par l’adoption de la loi Le Chapelier qui renforce le décret d'Allarde de mars et complète la première version du 22 mai de cette loi. Laissant l'individu seul face à l'Etat et aux puissants, elle sera la cause de nombreuses crises sociales au XIX siècle.
Le 2 septembre 1792, la Terreur révolutionnaire passa à une vitesse supérieure avec le massacre à Paris, en quatre jours, de plus de 1 500 victimes, parmi lesquelles les prêtres François Dardan, originaire d’Isturitz, et Bertrand de Caupenne. Massacre encouragé par Danton et Jean-Paul Marat qui avait incité précédemment à l’assassinat d’Henri de Belsunce qu’il traitait de conspirateur dans sa feuille « Le Moniteur patriote ».
D’ailleurs, dès le 3 septembre, il signe, et probablement rédige, la circulaire du 3 septembre imprimée sur ses presses et envoyée aux départements et municipalités de toute la France, qui appelait à la généralisation des massacres ; Augustin Barruel rapporte dans son « Histoire du clergé pendant la Révolution Française » que ce même jour, « un lundi soir, à 10 heures, un homme, nommé Philip, demeurant rue du Temple, vint au club des jacobins dont il était membre. Il portait sous le bras une grande cassette. Il monte à la tribune, fait un long discours sur le patriotisme, et conclut, que tout citoyen qui préfère les liens du sang à ceux du patriotisme, doit être regardé comme un aristocrate ; et que tout bon jacobin doit se défaire de ses amis et de ses proches parents, s'ils ne pensent pas en patriotes. A ces mots ouvrant la cassette, il en tire la tête de son père et celle de sa mère qu'il avait coupées, dit-il, parce qu'il n'avait jamais pu les persuader d'entendre la messe d'un prêtre constitutionnel. De longs et bruyants applaudissements s'élèvent de toutes parts, et il fut décidé que les deux têtes seraient enterrées dans la salle même, sous le buste de Brutus qui avait poignardé César, considéré comme son père adoptif, et celui d'Anckarström, l’assassin du roi Gustave III de Suède six mois plus tôt ».
Quant au girondin Pierre-Louis Ichon, ancien professeur de philosophie chez les Oratoriens de Condom, il avait lui aussi voté la mort de Louis XVI. Avec Dartigoeyte, il avait été envoyés auprès de l’armée des Pyrénées afin d'en évaluer « le délabrement où elle se trouvait », et leur lettre est datée du Bourg-Saint-Esprit, le 20 avril 1793, l’an II de la République française : « Ne comptez pas trop sur les Basques, car le fanatisme les dispose en faveur des Espagnols ; on nous a assuré que tous les Basques de la frontière du côté des camps vont habituellement se confesser en Espagne, et les commandants des camps nous disent qu’on ne peut se fier à aucun Basque, qu’ils sont en pays ennemi et qu’en cas d’échec ils auraient les Basques sur les bras. Cette idée peut être exagérée, mais le fanatisme religieux deviendrait funeste et les confesseurs ont grand soin d’égarer le peuple, en représentant nos soldats comme des impies ».
Euskaldun ta fededun
En fait, l’attachement de la population à sa foi face aux persécutions contre l’Eglise explique en partie cette déportation criminelle.
Depuis la constitution civile du clergé décrétée le 12 juillet 1790 par l’Assemblée Nationale, la population avait gardé dans l’ensemble ses traditions religieuses. Au Pays Basque, la proportion des apostats et des prêtres jureurs resta même une des plus faibles de France. Ces derniers furent en maints endroits l’objet de railleries et des « charivaris » coutumiers à la région, sans doute accompagnés des « bertsus » moqueurs des poètes-improvisateurs. En Soule, on en faisait promener certains sur des ânes et ailleurs, des esprits facétieux dissimulaient des volailles caquetantes dans les tabernacles livrés aux prêtres « constitutionnels » qui constituèrent une minorité en Basse-Navarre et en Labourd et dont une majorité se rétractèrent par la suite.
Un rapport du directoire d'Ustaritz d’octobre 1791 précise ainsi que sur un total de 180 ecclésiastiques, il n'y eut que 26 désignés sous le vocable de « conformistes ». Il souligne cette désaffection dans de nombreuses paroisses du Pays basque : « les paroissiens courent en foule aux oratoires des chapelles particulières où les prêtres non conformistes célèbrent leurs messes ».
D’ailleurs, dans certaines paroisses, faute de prêtres assermentés pour les remplacer, les prêtres réfractaires continuèrent leurs fonctions jusqu'à la mi-juillet 1792.
C'est précisément à partir de cette année 1792 que les persécutions s’accentuèrent. La violence emporta ainsi l'abbé François Dardan originaire de Basse-Navarre qui fut massacré le 2 septembre à la prison des Carmes à Paris où il avait été incarcéré avec trois évêques et plus de cent autres prêtres – presque tous morts en martyrs - parmi lesquels son compatriote Bertrand-Antoine de Caupenne, emprisonné au dépôt de l’Hôtel de Ville à la fin du mois d’août pour avoir refusé de prêter serment à la constitution civile du clergé.
La proclamation le 17 septembre de l'acte de bannissement du 26 août 1792 condamnait les prêtres à sortir de France dans un délai de quinze jours, après avoir déclaré, devant les municipalités et les directoires des districts respectifs, le choix de la nation et la localité de leur nouveau domicile.
Ceux qui, étant resté dans le pays, y auraient été découverts, devaient être déportés en Guyane. Ceux qui, une fois sortis, y seraient rentrés de nouveau, étaient passibles de dix années de détention.
Quant aux ecclésiastiques infirmes ou sexagénaires, la loi ordonnait de les réunir au chef-lieu du département ou ailleurs, dans une maison commune, pour y être surveillés:
Les prêtres basques émigrés optèrent en général pour l'Espagne : le diocèse de Calahorra reçut alors mille cinq cent clercs. Il y en eut cependant qui passèrent en Angleterre, en Hollande et en Allemagne.
Bien que n’étant pas clerc, Fils de notaire royal, Arnauld-Michel d'Abbadie, héritier de l'abbaye laïque d'Arrast (Urrostoia ou Arrastoia) en Soule, fuira la révolution française à l'âge de vingt et un ans pour se réfugier dans la catholique Irlande, comme beaucoup de chrétiens basques. Il s’agit du père du grand savant Antoine d'Abbadie, constructeur du célèbre château à Hendaye et restaurateur des traditions culturelles basques. Nous l’évoquerons plus loin à propos des poèmes sur Madalen Larralde primés lors de ses concours d’improvisations poétiques en basque (annexe 3).
D’ailleurs, le Biarrot d’Albarade, ancien ministre de la Marine sous la révolution, se justifiera plus tard d’avoir tenté d’adoucir le sort des « prêtres insermentés déportés à la Cote d’affrique entre les 28 et 32 degrés de latitude Nord par décret de la Convention Nationale »…
Les « contrebandiers de la Foi »
Cependant, beaucoup de prêtres ne partirent pas - ou s'ils s'exilèrent, ce fut pour un temps très court : ils se cachèrent, grâce à la complicité des populations qui leur étaient dévouées, et en véritables contrebandiers de la foi utilisant la frontière comme zone de repli, ils exercèrent au péril de leur vie, un ministère clandestin, tout comme les benoîtes – véritables « maîtresses de maison dans les églises basques, faisant fonction de marguillier ou de sacristain - qui, elles non plus, ne furent guère épargnées des révolutionnaires.
L’abbé Haristoy détaille dans chaque paroisse le sort de ces prêtres courageux qui bravèrent la féroce persécution des autorités.
Le cas de Dominique Lahetjuzan, relaté par Joxet Lahetjuzan sur son site familial http://www.lahetjuzan.fr/ est exemplaire. Né à Sare à « Argainea » en 1766 et ordonné prêtre à l’âge de 24 ans, il avait étudié à Toulouse avant d’être vicaire habitué à Sare sans avoir prêté serment à la constitution civile du clergé. Obligé d’émigrer en Espagne pour échapper aux poursuites engagées par la troupe et la gendarmerie, il revint bientôt exercer son ministère dans la clandestinité. Trahi, il réussit à s’échapper une première fois de sa maison Argainia par le toit.
Dénoncé à nouveau, surpris et capturé il se sauva en jetant à l’eau les deux gendarmes qui l’avaient capturé : « Cela se passa sur la passerelle, devant la maison Argainea et ce lieu s’est longtemps appelé depuis Apezaren-Zubia (le pont du prêtre). A l’époque, dans ce petit site de cascade absolument superbe, le passage du ruisseau qui coule devant Argainea se faisait sur un tronc d’arbre jeté en travers et qui bien sûr ne comportait pas de parapet. Pendant la traversée de ce passage au-dessus d’une eau assez haute, suivi et précédé des deux gendarmes qui l'escortaient, Dominique Lahetjuzan mérita sa réputation d’herculéen en ouvrant ses bras comme pour mieux tenir l’équilibre, puis, faisant soudain un demi-tour brutal, bras ouverts, avait projeté ses deux gardiens dans l’eau, à droite et à gauche, pour s’enfuir vers les collines qui bordent la frontière derrière Argainea. Il se rendit à Zugarramurdi d’où il revenait pour assurer sa mission de prêtre, caché dans une ferme ou dans une autre, attendant la fin de la tourmente, toujours traqué et parfois dénoncé.
Si Dominique Lahetjuzan parvint avec une audace restée légendaire à se débarrasser des archers venus l’arrêter, d’autres réfractaires comme Salvat de Sorhainde, Gratien Jauretxe et combien d’autres furent exécutés sans délais. La loi frappa durement les réfractaires émigrés : condamnés à mort par contumace, leurs prébendes et leurs biens furent saisis, ces derniers vendus comme biens nationaux. Dans le cas de Dominique Lahetjuzan, la ferme Argainea et les biens de ses parents avaient été mis sous séquestre. Son père Pierre Lahetjuzan demandera la levée du séquestre, mais seule l’autorisation de vendre le blé de la récolte de 1795 lui sera accordée. Finalement, il obtint en 1799 un avis favorable de partage de ses biens à ses enfants, puis, les séquestres ayant été levées par Bonaparte, les biens purent revenir aux enfants en 1801, à l’exception de la bergerie attribuée au réfractaire et qui sera saisie par l’Etat.
En maintes circonstances, des prêtres se cachèrent dans les nombreuses grottes qui parsèment le pays. Des laïcs firent également preuve de bravoure et d’abnégation. Dans celles de Sare, Haristoy cite l’exemple de M. Dornaletche. Une nuit, cet officier de santé saratar « fut appelé par deux inconnus pour donner des soins à une jeune personne de distinction, naguère venue de l'autre côté des Pyrénées dans cette même retraite mystérieuse pour sauver - autant que possible - son honneur et celui de sa famille. Le médecin Dornaletche était connu pour sa discrétion autant que pour son habileté dans son art. Il part et, à travers les horreurs d'une nuit ténébreuse et orageuse, il arrive, remplit sa tâche ... et toute sa vie, il garda ce secret ».
Parmi ces « contrebandiers de la Foi », il convient encore de signaler les parents du futur saint Michel Garicoits à Ibarre, village bas-navarrais au pied du col d’Osquich, réuni à celui de Saint-Just au XIXe siècle. Arnaud Garicoits (maison Garacotchea) et Gratianne Etcheberry (maison Ordokia) étaient d’une famille paysanne assez pauvre qui avait traversé les épreuves de la Révolution et la déportation des Basques en aidant les persécutés. Bien des prêtres, traqués par les révolutionnaires, s’étaient réfugiés chez les Garicoits avant d'être discrètement conduits par Arnaud en Espagne. C’est sans doute l’un d’eux qui avait baptisé le petit Michel.
Quant aux cultes de remplacement institués par les révolutionnaires, ils n’eurent pas plus de succès que les prêtres jureurs.
Selon l’habitude, le signal était venu de Paris : à la veille de la déportation des Basques, le 10 novembre 1793, Notre-Dame de Paris, déjà vandalisée par la Révolution comme la cathédrale bayonnaise, devenait « temple de la Raison » où la Commune de Paris célébrera le culte d’un « Etre suprême » incarnant la volonté de la Convention de substituer à la foi chrétienne une nouvelle religion conforme aux valeurs républicaines.
Ainsi, on promena bien dans les rues de Saint-Jean-de-Luz deux jeunes filles afin de célébrer la fête de la déesse Raison. Puis ce fût la fête de l'Etre suprême (24 juin 1794) décrétée par Robespierre et célébrée avec une grande pompe. Elle eut lieu sur la plage : plusieurs discours furent prononcés, suivis de l'Hymne de la Liberté. Les Sans-Culottes essayèrent, sans succès, de desceller la porte de l’église (murée bien après le passage de Louis XIV, sans doute à cause de la construction du nouvel autel et non à cause du mariage royal).
Rien n’y fit. Les municipalités des villages se bornaient à un culte décadaire autour des arbres de la Liberté et pendant toute la Révolution, la population basque resta fermement attachée à sa foi. A Bayonne, pour faire accepter les cultes de remplacement, décadi, fête de la Raison ou de l'Etre suprême, et pour attirer un peu de monde, on fit danser en dernier recours la pamperruque : traditionnellement exécutée à Bayonne devant des hôtes de marque, cette danse « ambulatoire » dont les participants formaient un cercle en se tenant par la chaîne d’un ruban déroulait son cortège à travers les rues et les places au son du tambour ou d’autres instruments ! Il est vrai qu’on avait déjà célébré à Bayonne, avec une procession parcourant toute la ville en grande pompe, l'apothéose de Marat (celui qui avait prôné l’extension à la province des massacres parisiens de septembre 1792) ! Quant à l'Etre suprême, d’après les manuscrits de l’officier bayonnais Reynon cité par Haristoy, on fit appel à « une demoiselle d'une famille notable de la ville, montée sur une haquenée, qui représentait la Liberté une pique à la main, la dague au côté, le bonnet rouge sur la tête ; une très jolie herbière d'une taille avantageuse était costumée en Bellone ; Mars était représenté par un beau jeune homme ; un charriot à foin traînait douze jeunes filles à moitié nues ; quatre chenapans, l’Européen, l’Asiatique, l’Africain et l’Américain gambadaient chacun à sa façon ; une foule de grigous faisaient des grimaces en toilette burlesque ». En somme, une « gay-pride » avant l’heure !
Le manque d’enthousiasme de la population pour ses festivités « citoyennes », souvent conclues en « orgies républicaines » (aux libations alimentées par le « siphonage » des caves des reclus, comme le rapporte encore Reynon), augmenta la fureur des agitateurs.
ALC