En cette période de pandémie, qui n'est hélas pas encore révolue, et du chacun pour soi typique de notre époque, le texte d’Yves Ugalde ne manquera pas d’inspirer à nos lecteurs quelques sujets de réflexion. ALC

Je croise hier, rue de Baltet, au sortir de la maison funéraire, un prêtre bayonnais qui venait de célébrer les obsèques d'une vieille dame fortunée. D'origine toulousaine, la défunte a fini sa vie seule dans un EHPAD très confortable de la Côte Basque.

Détail pas banal de la cérémonie: le prêtre l'a célébrée devant des bancs absolument vides dans la chapelle du funérarium. Seul ? non pas vraiment pour cet homme d'église qui m'a confié avoir dit l'office sur un fond musical permanent pour "attirer le plus d'anges possible"...

L'abbé était profondément attristé par la situation. On peut le comprendre. Cette histoire m'a habité une bonne partie de la journée. Et elle est venue percuter étrangement les obsèques de Jean-Pierre Abeberry, hier après-midi dans un Jai Alai de Biarritz comble jusqu'à son déambulatoire.

A quelques kilomètres de distance, dans la même journée, deux êtres nous quittent. L'une seule jusqu'au bout du bout de sa vie terrestre, l'autre sous les applaudissements nourris et unanimes d'un bon millier de personnes.

Que penser de ces deux adieux ? La vieille dame part dans l'indifférence, voire dans la rancoeur des siens d'un côté, le dirigeant du BAC est salué par tout un peuple et par des mots très forts de reconnaissance et d'affection. Pour Jean-Pierre, les raisons de cette assistance pléthorique sont certes tout à fait compréhensibles après une vie d'engagement désintéressé et au service du plus grand nombre, de la pelote basque et de sa ville.

Mais cette dame... Quel mal a-t-elle pu faire pour n'avoir personne autour de sa dépouille hier matin ? C'est sans doute moins simple que cela. Elle a fait sa vie ailleurs et l'a terminée très âgée ici. Deux facteurs, l'éloignement et l'oubli, qui peuvent suffire à expliquer cet isolement ultime.

Mourir où on a vécu est déjà en soi un privilège pour mobiliser des amis et des proches. Et puis, deuxième facteur capital d'existence aux yeux des autres, partir sans traverser le désert de la retraite, du désœuvrement et d'une vieillesse anonyme et inutile.

Rien ne dit que la vieille dame accompagnée par le seul professionnalisme d'hommes et de femmes dont elle avait précédemment payé la prestation, ainsi que par les prières d'un prêtre réduit à convoquer des anges musiciens, n'a pas fait de grandes et belles choses dans sa vie, elle aussi. Mais il n'y a plus personne pour en témoigner.

Moi, j'ai aussi chanté pour la dame inconnue hier après-midi sur la kantxa de l'Euskal Jai et je sais que Jean-Pierre, qui était un "vrai gentil", comme l'a dit Lilou Etcheverria, l'aurait aimé comme ça. Peut-être même lui a-t-il tendu la main lorsqu'il s'est agi de sortir en triomphe ultime de l'immense fronton de sa vie.

Du monde à son enterrement ou personne ? D'abord, on ne choisit pas. Quelle importance en fait ? A part pour ceux qui restent bien sûr. Le grand avantage de Jean-Pierre réside de surcroît dans la spontanéité totale du rassemblement d'hier. Aucun protocole n'y contraignait. Ce fut un acte d'amour, comme lui-même l'a revendiqué dans ses dernières paroles. A la question de l'abbé Epalza sur les raisons profondes de son combat contre un mal de plus en plus pesant, Jean-Pierre a répondu en effet qu'il se battait "par amour".

La vieille dame avait peut-être des choses aussi belles à dire, mais déjà plus personne pour les entendre…

Légende : l'hommage à Jean-Pierre Abeberry au Jai Alai de Biarritz (photo de Manex Barace)