Paul de Tarse semble avoir épousé toutes les époques - jusqu'à la nôtre - par son caractère juif singulier.
Il fut dans sa jeunesse le pourfendeur de la foi chrétienne, un défenseur du Temple de Jérusalem, de ses lois et de sa discipline, puis embrassa le christianisme à la stupeur des premiers témoins, comme un converti inattendu.
Comme le rapporte l’exégète Daniel Marguerat, les écrits le concernant furent au cours du temps “des biographies pour reconstruire sa vie et faire l’analyse de sa pensée.”
L’exégète souhaite pour son cas croiser ces deux interprétations biographique et théologique, convaincu que la pensée de Paul est née de sa vie et a cru de la vie dans son humanité, l’homme derrière le texte !
Sujet pour les uns de contradictions, l’énigme de sa pensée se déplace et évolue au coeur des conflits dans lesquels il est engagé.
Paul est un brasseur d’idées, d’interprétations dans une rhétorique affinée de la vérité de la foi à laquelle il donne toute son énergie.
Ce génie de l’esprit n’a pas composé un compendium de la foi chrétienne, car sa parole est née d’une communauté située dans l’espace et le temps et en réponse à une problématique qu’il est possible d’identifier en chaque cas.
Sa parole n’est jamais personnelle, mais celle d’un apôtre dont le sujet est le Christ vivant d’une communauté.
Comme un pionnier car avant lui l’Evangile est prêché dans la synagogue au cours des années 40-50.
La torah laisse peu de place à quelque improvisation, le propre de l’apôtre des Gentils est de la faire partager par des “nouveaux venus de la Parole divine” qui découvrent sa riche fécondité.
Conscient de mener de manière systématique une mission chrétienne, adressée aussi aux non-juifs, sans cependant vouloir s’identifier au judaïsme, il est confronté à des questions inédites comme celles évoquées dans Les deux Lettres aux Corinthiens.
Jésus n’ayant rien écrit, ni prévu l’organisation de l’Eglise, sa vie fut celle d’un nomade accompagné à l’orientale d’un groupe de disciples dispersés par la mort du messager. Après sa disparition violente tout doit être repensé pour lui et pour ses proches !
Les auditeurs de Paul sont des gréco-romains, qui s’interrogent. Comment vivre au quotidien la foi au Christ ? Comment partager le rapport aux païens, non-juifs impurs voulant partager par exemple un repas avec les fils du Temple, observer les rites intangibles de la Torah et laisser une place aux femmes peu reconnues dans cette tradition religieuse ?
Autant de questions qui ne se posaient encore mais que la communauté chrétienne naissante dut observer et comprendre.
Il n’aura pas fondé la doctrine ni l’église dit l’éxégète mais créé les conditions d’un vivre ensemble inédit, nourri de débats incessants dans la vie de la communauté.
Paul n’est jamais en manque de sujets de contradictions posés qui demeurent ceux qu’il doit résoudre dans la première église.
L’identité chrétienne n’aurait pu être et devenir ce qu’elle fut, sans lui, en reformulant la parole de Jésus dans la culture romaine, et ouvrant ainsi sa parole à l’universalité impériale de son temps.
Sa conversion personnelle est continue, incessante et imprévisible.
Il sera l’interprète qualifié de l’Evangile reçu de Jésus lui même, dans des cultures et des populations différentes de celles qui le firent comme rabbin scrupuleux à l’origine et clairvoyant par la suite.
Son exemple au sujet des femmes est des plus éclairants à l’époque où le judaïsme est la religion révélée pour les hommes, en acceptant des femmes dans son cercle proche, il osa transgresser les règles du Temple de Jérusalem.
En créant des communautés mixtes, hommes et femmes, à égalité de droits, de responsabilités et de vocations, en les voulant” frères et soeurs en Christ”, il a voulu accorder aux femmes le rôle de prophétesses, dans ces communautés naissantes.
Cette mixité fut pionnière dans ce monde méditerranéen antique, mais disparut au fil du temps, renouant avec des traditions masculines par la suite véhémentes et souveraines de peu d’égard pour l’altérité.
Paul ne fut l’apôtre adulé de l’Antiquité chrétienne, il connut les pires tourments et les pires humiliations. On le qualifiait d’anti-juif, bien que juif lui même de naissance, anti-romain bien que citoyen romain de son temps, auteur d’une pensée personnelle illisible, doctrinaire, antiféministe ; une somme de qualifiants montrant la détestation de certains, et les questionnements des autres sur cette figure intellectuelle et spirituelle de génie, unique, atypique et admirable.
Ses propres disciples ayant fait du zèle à sa place parfois, l’exégète prétend que “la relecture de ses écrits demande de la distance et plaiderait pour une retenue de l’interprétation qui faute d’être de lui fut celle de ses proches demeurés attachés à la discipline religieuse dominante de son époque”.
Les deux Lettres aux Corinthiens font ainsi l’objet de relectures nécessaires aujourd’hui car si elles renseignent sur la vie communautaire des chrétiens, elles rapportent les tensions qui les agitent de l’intérieur.
Face aux rivalités qui demeurent ainsi, Paul renvoie ses auditeurs à l’essentiel de la foi, l’identité reçue du Christ et qui confère à chaque croyant une égalité commune de valeur égale !
“Homme et femme il les créa”, dit le texte originel confessant ainsi que Dieu les accueillit inconditionnellement égaux non pour rendre les humains plus religieux mais héritiers du même baptême qui change le rapport à Dieu en Christ incarné en leur propre vie.
Considérant désormais les autres fidèles comme “des frères et des soeurs” de même valeur et de statut aussi égal que soi-même, selon un modèle de toutes les époques, dont le nôtre, si difficile à réaliser de fait.
Après la disparition de Jésus, ce modèle est demeuré celui “du Corps du Christ” vivant et viable dans une société peu encline à concéder des pouvoirs et des fonctions particulièrement aux femmes, maillons faibles d’un pouvoir impérial omnipotent, omniscient et autoritaire.
Ce défi du passé demeure celui du présent de l’identité de la foi partagée reçue initialement du baptême.
Le sentiment diffus que le christianisme serait passé et parfois dépassé pour d’aucuns, gagnerait à la relecture de cette force spirituelle contenue dans les écrits de Paul de Tarse, infatigable auteur, traducteur de la vie en Christ, inachevée et continuée de l’église !
* Plusieurs livres permettent aux lecteurs de prolonger cette introduction narrative.
- De la part de Daniel Marguerat, spécialiste de la pensée de Paul de Tarse, Jésus et Matthieu, à la recherche de Jésus de l’histoire, Labor et Fides 2016
- L’Historien de Dieu. Luc et les Actes des Apôtres Labor et Fides en 2018.
- Vie et destin de Jésus de Nazareth au Seuil en 2019.
- Paul de Tarse. L’enfant terrible du christianisme au Seuil en 2023