Les chrétiens orthodoxes, actuellement en pleine Semaine Sainte, célébreront Pâques ce dimanche 19 avril (décalage d'une semaine avec les catholiques cette année). Mais tant en Russie que dans les autres pays européens, en particulier dans notre région, le « confinement » sanitaire obligera les fidèles à prendre part aux célébrations religieuses devant leurs petits écrans!
Il sera possible de suivre en direct les offices de la cathédrale Sainte-Alexandre-Nevsky (à Paris) en slavon sur :
https://www.youtube.com/user/MultiSportman1?app=desktop
Et en français, sur le site du Séminaire orthodoxe russe en France :
https://www.seminaria.fr/Diffusion-en-direct-des-celebrations-orthodoxes-du-Grand-Careme_a1239.html
La Pâque russe ou le triomphe de la lumière
Encore de nos jours, Pâques est la fête majeure du calendrier de l’église orthodoxe et c'est en Russie que sa célébration revêt son plus grand éclat. Il est de tradition qu’une délégation assiste à la cérémonie du Feu nouveauà l'a basilique du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, et l’achemine en avion à Moscou où le Patriarche célèbre l'office pascal à la Cathédrale du Christ Sauveur. Mais, si comme chaque année, ce miracle du Feu du Saint-Sépulcre qui descend le Samedi Saint devrait se reproduire, contrairement à la coutume millénaire, il n’embrasera pas en un instant une multitude de cierges (la cérémonie attire d’ordinaire 20 à 30 000 personnes du monde entier) en illuminant la basilique de la Résurrection à Jérusalem, mais juste ceux d’une petite délégation autorisée par les autorités israéliennes, soit une dizaine de représentants du Saint-Sépulcre, des Eglises orthodoxes, de l'Église arménienne, des coptes et de l'Église orthodoxe syrienne. Des photographes et des cameramen seront également présents à l'a basilique du Saint-Sépulcre « mise en quarantaine, confinement sanitaire oblige » pour diffuser la consécration du Feu dans le monde chrétien.
Dans toutes les églises orthodoxes,les officiants troquent àla mi-journée leurs noires chasubles liturgiques de deuil contre l'or et l'éclat pourpré annonçant l'allégresse qui retentira à la nouvelle de la Résurrection du Sauveur. Selon la tradition (qui ne pourra être respectée cette année), aux lueurs finissantes de l'astre diurne, les fidèles s'assemblent à l'église. Ils disposent leurs œufs colorés, les « Paskha » (met pascal à base de fromage blanc) et « Koulitch » (pâtisseries cylindriques) qui seront bénies tout à l'heure par le prêtre, et se préparent à la procession qui entourera trois fois le bâtiment de ses bannières éployées et de la lumière vacillante de ses cierges, aux accents chaleureux des hymnes liturgiques : « Ta résurrection, Christ Sauveur, les anges la célèbrent dans les cieux, et nous qui sommes sur la terre, rends nous dignes de le glorifier d'un coeur pur »... Rentrant à l'église, célébrants et fidèles échangeront les joyeuses et bruyantes salutations : « Christ est ressuscité ! - En vérité, il est ressuscité » ! La traditionnelle lecture du sermon de Saint Jean Chrysostome engage tous les hommes - même ceux de la « douzième heure » - à participer à une allégresse et à une certitude de la foi sans équivalents en Occident, ponctuées du chant sans cesse répété : « Le Christ est ressuscité des morts. Par Sa mort Il a vaincu la mort. A ceux qui sont dans les tombeaux, Il a donné la vie ». Puis viendront les agapes fraternelles.
Pâques est une fête mobile et, de plus, l’usage du calendrier julien chez les Orthodoxes (qui retarde de 13 jours sur le grégorien adopté en Occident depuis la Renaissance) empêche une célébration en même temps que leurs frères Catholiques. Or il convient de rappeler que les fêtes religieuses ne sont pas obligatoirement des dates anniversaires, mais constituent des « icônes cosmiques » montrant que l'univers entier participe au sens de la fête. Ainsi, comme pour Noël (fixé au solstice d'hiver, l’allongement des jours marquant au plan cosmique cette naissance qui « a fait resplendir dans le monde la lumière de l'intelligence »), la date choisie pour Pâques, plus qu’une référence historique à la pâque juive mentionnée dans les Évangiles, montre le triomphe de la lumière sur les ténèbres, « nuit rédemptrice et lumineuse, Messagère du jour radieux de la Résurrection ; en elle la Lumière éternelle apparut à tous ».
Gogol, Rimsky-Korsakoff et Alexandre Ier
Nicolas Gogol passait assurément pour l'écrivain le plus religieux de la littérature russe, non seulement par sa vision des choses, mais aussi par le mode de vie: son œuvre possède, au dire des exégètes, « un grand potentiel missionnaire » en ce qu’elle « aiderait l'homme contemporain à comprendre le sens d’un sacré » singulièrement absent chez « l’Occidental » contemporain!
Or, en avril 1864, l’écrivain russe Tourguénieff, qui résidait alors à Paris, se plaignait dans sa correspondance avec Pauline Viardot de « l’air encore froid et de la lenteur avec laquelle le printemps arrivait, qui nous paraît un peu insipide, à nous autres Russes, habitués que nous sommes à une explosion violente, presque brutale de la vie arrêtée et enfermée pendant cinq mois sous la glace et la neige » (en français dans le texte). Cette véritable transe que provoquait le retour du printemps, à l'origine fête païenne dont la marque atavique avait coloré le rituel chrétien, le compositeur Rimsky-Korsakoff l'a rendue admirablement dans sa « Grande Pâques russe », à l'époque où Nicolas Gogol réapprenait à ses contemporains le symbolisme de l'office divin et où les musiciens slavophiles ressuscitaient l'esprit national dans leurs compositions aux couleurs de la Sainte Russie. Il en a décrit l'atmosphère dans son « Journal de ma vie musicale » : « Le carillon orthodoxe russe n'est-il pas de la musique dansante ? Les barbes frémissantes des prêtres et des diacres en chasubles écarlates, chantant dans un tempo Allegro vivo « Bonnes Pâques » ne transportent-elles pas l'imagination en des temps très anciens » ? C'est cet aspect légendaire de la fête, passage du soir triste et mystérieux de la Passion à la réjouissance effrénée du matin de la Résurrection que l'on ne peut manquer de ressentir par toutes les fibres de son âme lors des matines pascales dans une église orthodoxe.
Ce fut sans doute le cas en ce 10 avril 1814, lorsque l'empereur de Russie Alexandre Ier, qui venait d'entrer victorieusement à Paris, fit célébrer devant son armée entourant l'autel de campagne dressé au milieu de la place de la Concorde, un office en mémoire du malheureux Louis XVI, sacrifié en ce même endroit. Dans sa lettre au prince Alexandre Galitzine, le souverain écrivit : « C'était pour mon cœur un moment solennel, émouvant et terrible. Voici (...) que j'ai amené, par la volonté insondable de la Providence, mes guerriers orthodoxes du fond de leur froide patrie nordique pour élever vers le Seigneur nos prières communes dans la capitale de ces étrangers qui, récemment encore, s'attaquaient à la Russie, à l'endroit même où la victime royale succomba à la fureur populaire. (...) Le tsar de Russie priait, selon le rite orthodoxe, avec son peuple, et de la sorte purifiait la place ensanglantée ».
(NDLR.: en cette période de Semaine Sainte, toutes les questions d’ordre spirituel, liturgique et pastoral peuvent être adressées à l’ Archiprêtre André Svynarov , prêtre de la cathédrale Saint-Alexandre-Nevsky à Paris). Tél. : 06.19.15.99.30 - mail : svynarov@gmail.com
Légendes : liturgie pascale à l’église russe de Pau et aquarelle de Pâques par la Grande-Duchesse Olga.