Espagne été 2021. A Alcarràs, petit village de Catalogne, dans le Piémont Pyrénéen. Des enfants s’amusent, inventent des histoires, les miment, dans une carcasse de deux chevaux Citroën, échouée dans un champ. Soudain, les jeux enfantins s’achèvent brusquement : sur une route poussiéreuse surgissent des camions lourdement chargés. Ils transportent des panneaux solaires. Les enfants courent à la ferme de la famille Solé pour avertir leurs parents de cette brusque apparition.
La famille, au grand complet, se réunit pour chercher les titres de propriété … qui n’existent pas. Le grand père, lors de la Guerre Civile Espagnole, avait sauvé les Pinyol, riches propriétaires terriens d’une mort certaine en les cachant. Par reconnaissance, le père Pinyol, à la fin de la guerre, avait autorisé l’exploitation d’immenses vergers (pêches) par la famille de son sauveur.
Pas de contrat signé en bonne et du forme. La famille Solé est atterrée d’autant que le fils Pinyol veut abattre tous les pêchers et installer dans les champs, ainsi dégagés, des panneaux photovoltaïques.
La famille Solé, jusqu'alors unie, se déchire sur l’attitude à avoir : Quimet (Josep Abad), le père, veut résister à tout prix ; sa femme Dolors (Anna Otin) tente de le modérer ; ses enfants, Roger (Albert Bosh) et Mariona (Xenia Roset) ont leurs propres destins à régler (éloignement, études). Malgré des retrouvailles autour de repas plantureux, joyeux, à la table familiale, la fratrie se disloque lorsque Cisco (Carles Cabos), le frère de Quimet, annonce qu’il va travailler pour le maître des lieux.
Quimet malheureux, abattu mais rageur, tente d’interrompre les travaux d’installation des panneaux photovoltaïques …
Nos soleils est le second long métrage de la réalisatrice catalane Carla Simon (36 ans). Son précédent ouvrage, Été 93 (2017), que nous avons apprécié en son temps, était largement autobiographique. Depuis son enfance, Carla Simon a une connaissance intime de cette rude contrée de Catalogne où elle a vécue quelques années, après le décès tragique de sa mère Neus à qui le film est dédié (c’est le sujet de l’Été 93 : elle avait 7 ans et vivait chez son oncle et sa tante).
Nos soleils est un film choral d’une famille catalane (paysans laborieux de toute éternité), parlant un dialecte catalan, confrontée, démunie face l’irruption soudaine de la modernité destructrice de leur environnement agreste. En arrachant les pêchers séculaires, arbres vivants de leur environnement familier, c’est l’irruption soudaine de « l’écologie punitive » à marche forcée avivée par la cupidité du propriétaire indifférent au sorts des arboriculteurs.
Pour son second film, Carla Simon a fait passer des essais (casting) à 9.000 candidats, tous de la région d’Alcarràs (elle a écumé les fêtes populaires !). Tous les personnages sont des acteurs non professionnels, criants de vérité, pour cause : c’est du vécu, l’Espagne d’aujourd’hui se couvrant de champs de panneaux solaires et d’éoliennes (sujet dramatique d’un film galicien de 2022, As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, récit d’affrontements violents entre un couple de français écologistes, et des voisins agressifs).
De nombreuses scènes courtes décrivent la vie dans les vergers (la cueillette des pêches), les repas familiaux, les rapports complexes entre les membres de la Famille Solé, lesquels se radicalisent avec l’avancement du chantier voisin qui ruine leur exploitation. On assiste, également, à une manifestation de producteurs de fruits qui déversent leurs récoltes devant un grande surface aux cris de « On extermine la paysannerie ! ».
Nos soleils est un film sincère, lumineux, dont l’histoire, tristement banale, est contée par petites touches qui, telle un puzzle, se construit vers une fin que nous devinons inéluctable. Nos soleils, n’en reste pas moins une œuvre impressionnant tant la jeune réalisatrice, Carla Simon, a pris soin de nous conter cette histoire familiale au parfum de vécu.
Après avoir obtenu pour Eté 93 le Prix du meilleur premier film à la Berlinale, pour Nos soleils elle a eu la récompense suprême : l’Ours d’or à la Berlinale 2022.