Bien qu'en Russie, sur le plan liturgique et civil, la fête de la Nativité ne revêtait pas l'importance des cérémonies pascales, contrairement aux coutumes occidentales, de nombreuses traditions populaires entouraient cependant cette festivité que célébreront dans les églises russes de Pau et de Bordeaux les descendants de l'ancienne colonie russe auxquels se joindront d'autres orthodoxes de diverses origines séjournant dans la région (le père Nicolas Rehbinder étant souffrant et ne pouvant venir célébrer la la liturgie de la Nativité à la Chapelle aux Icônes de Cambo, les orthodoxes de la côte pourront suivre l'office à Pau).
En l'absence de réveillon à proprement parler (car réservé à la nuit pascale) les fidèles assistent d'abord à l'office de vigile de Noël, appelé "Sotchelnik", suivi d'un repas comprenant des noix, figues, dattes et autres fruits secs destinés à se restaurer après le long carême de l'Avent. L'arbre de Noël avec la crèche, venu d'Occident au XIX siècle, était toujours à l'honneur, et même lors de l'émigration consécutive à la révolution de 1917, chaque association ou paroisse organisait le sien (plus d'un million d'éxilés avaient ainsi recréé - surtout en France - toute une vie sociale, avec la reconstitution de lycées, hôpitaux, églises, parfois installées à titre précaire dans des appartements privés, établissements d'enseignement, maisons de retraite et institutions caritatives). A Biarritz, dans les années 30, des membres de l'aristocratie qui avaient réussi à sauver quelques rares bribes de leur fortune passée donnaient sans compter à des oeuvres de bienfaisance, particulièrement pour les enfants.
C'est ainsi que naquit à Salies de Béarn la "Maison de l'Enfant Russe" grâce à la Duchesse de Leuchtenberg qui réunit toute la Côte Basque en 1928 au cours d'une fastueuse nuit de charité à la Chambre d'Amour. Avec la Princesse Narychkine, et autour du recteur de l'Eglise Russe, le père Tseretelli, elle organisait "l'Arbre de Noël Russe" qui voyaient Mr Prisselkoff et quelques autres, membres du choeur, dresser d'immenses sapins à l'Hôtel des Nations (situé sur l'ancienne Place Port de Lannes, actuelle Libération) ou au "Château Basque" (la Villa Belza, qui portait ce nom, appartenait alors au pétersbourgeois Beliankine qui y organisait de grandes fêtes russes). Enfants et adultes participaient à l'ambiance joyeuse par leurs chants et danses.
Tout comme au pays natal, dans les quartiers à forte concentration de russes, des jeunes précédés d'une étoile illuminée faisaient le tour des appartements et des maisons en chantant des "Kaliatkis" (les villancicos d'Outre-Bidassoa) et recueillant des friandises et des gratifications. Cette Nuit de Noël inspira d'ailleurs un conte fantastique au célèbre écrivain Nicolas Gogol, dans lequel on voit le diable essayer de s'emparer de la lune pour mystifier les bons chrétiens se rendant à l'office du "Sotchelnik", mais obligé de renvoyer l'astre trop chaud d'une main à l'autre... Le démon tente aussi un jeune forgeron, en le transportant de son village d'Ukraine dans la Petersbourg illuminée à l'occasion des fêtes (en 1828):
"Le forgeron volait toujours, et, subitement, il aperçut Saint Petersbourg, brillant de tous ses feux. Le diable sauta prestement, par dessus une barrière, se transforma en coursier, et Vakoula, se vit, galopant en pleine rue.
Seigneur Dieu ! que de bruits et de clarté ! De part et d'autre, d'immenses maisons à quatre étages, dont les murs répercutent le tonnerre des sabots et des roues qui semblent jaillir du sol à chaque pas; les ponts frémissent; les carrosses volent; les cochers vocifèrent; la neige crisse sous les patins de milliers de traîneaux; les piétons se serrent peureusement sur le trottoir; leurs ombres gigantesques se projettent sur les murailles, de l'autre côté de la chaussée et rampent jusqu'au toit, jusqu'aux cheminées.
Le forgeron galopait, bouche bée de surprise. Il lui semblait que toutes les maisons écarquillaient sur lui leurs yeux de flamme et le dévisageaient..."
Sofia Troubetzkoy, la princesse russe qui a introduit le sapin de Noël en Espagne
Comme cela est fréquent dans ces cas, il existe toutes sortes de légendes sur l'origine de l'arbre de Noël, mais presque toutes les versions s'accordent sur l’origine allemande ou scandinave de cette coutume qui s'est répandue tout au long du XIXème siècle dans d'autres parties de l'Europe. L'arbre a quitté l'Allemagne par Albert de Saxe, époux de la reine Victoria d'Angleterre, qui l'a fait planter pour la première fois dans son royaume vers 1840.
Dans le cas de l'Espagne, l'introducteur de cette coutume fut une princesse russe très populaire, très engagée dans les conflits dynastiques locaux et admirée parmi la haute société madrilène...
Sofia Troubetzkoy est née en 1838 à Saint-Pétersbourg, et bien qu'elle soit officiellement la fille d'un officier de cavalerie russe, le prince Serge Troubetzkoy, il était de notoriété que son vrai père était l’empereur Nicolas Ier.
Connue comme l'une des plus belles femmes de l'aristocratie européenne, la princesse était devenue veuve en 1865 d’un demi-frère de Napoléon III avant d’épouser quatre ans plus tard José Isidro Osorio y Silva-Bazán, duc de Sesto, marquis d'Alcañices et maire de Madrid entre 1856 et 1865, alors que la reine Isabelle II avait déjà été écartée du trône d’Espagne.
Le couple s'était installé dans le palais d'Alcañices à Madrid - un bâtiment aujourd'hui disparu et situé sur le site actuel de la Banque d'Espagne -, où se tramaient tous les complots d'Antonio Cánovas del Castillo pour renverser Amédée de Savoie et restaurer les Bourbons.
En effet, après la révolution de 1868, Isabelle II avait abdiqué en faveur de son fils, le futur Alphonse XII. Mais le Parlement espagnol prononçant la déchéance de la maison de Bourbon, le général Francisco Serrano, régent du royaume, et les Cortes, offrirent le trône au second fils de Victor-Emmanuel II, roi de Sardaigne devenu roi d'Italie, et d'Adélaïde de Habsbourg-Lorraine, arrière-petite-fille de Charles III d'Espagne.
En fait, les ducs de Sesto ont non seulement financé la cause (ce qui les avait d'ailleurs ruiné), mais la princesse Sofia Troubetzkoy avait engagé la Russie, son pays natal, à reconnaître rapidement Alphonse XII comme roi d’Espagne. Sofia se consacrait à mobiliser toutes les grandes dames de Madrid (« Révolte des Mantilles ») pour isoler le couple royal italien. « Alfonso, serre la main de Pepe (surnom du duc de Sesto), qui a réussi à te faire roi », aurait même dit Isabel II à son fils.
C'est précisément dans le palais d'Alcañices qu'en 1870, Sofía Troubetzkoy planta le premier arbre de Noël connu en Espagne, une coutume très répandue dans d'autres régions d'Europe ainsi qu’en Russie.
La princesse russe ayant alors déjà conquis la haute société madrilène par sa connaissance des modes et des bons usages des meilleurs salons européens, l'exemple se répandit. Lorsque Sofia est décédée à Madrid en 1898, le sapin de Noël avait déjà pris racine dans la ville et dans le reste de son pays d'accueil.