Mgr de Belzunce (ou Belsunce) qui avait montré cette attitude courageuse lors de l’épidémie de peste qui ravagea Marseille (voyez notre article en rubrique »histoire ») était le fils d'Armand II de Belzunce, marquis de Belzunce et de Castelmoron, sénéchal et gouverneur des sénéchaussées d'Agenois et Condomois, qui avait épousé Anne de Caumont-Lauzun : le maréchal duc de la Force lui avait fait donation de la terre et seigneurie de Castelmoron, en considération de ce qu'il épousait sa petite-nièce. L’évêque de Marseille était également le neveu de Susanne-Henriette de Foix Candale, qui se rattache à la généalogie de l'auteur du présent article.
Issu de la branche cadette de Belzunce fondée par Jacques de Belzunce, troisième fils de Jean V de Belzunce, vicomte de Macaye, né au château d'Ayherre comme nombre de ses parents (son frère aîné était Armand de Belzunce vicomte de Macaye, capitaine et gouverneur de Mauléon et de la Soule).
Leurs ancêtres avaient servi au plus près la dynastie légitime des rois de Navarre, ce qui leur avait fait perdre leurs propriétés de Haute-Navarre lors de l'invasion espagnole du royaume en 1512.µParmi ces derniers figure Arnauld II de Belzunce, vicomte de Macaye, né vers 1390 au château d'Ayherre et décédé vers 1446 au même lieu, premier seigneur de Lissague, auquel le roi de Navarre Charles III le Noble avait permis d'introduire un dragon dans les armes de ses ancêtres.
Le dragon des Belzunce
Dans mon livre « Les Histoires extraordinaires du Pays Basque » (Les Editions du Pays Basque – Bayonne, 2010), j’explique comment la région des barthes, terres alluviales humides et souvent inondées, où la Nive s'apprête à rejoindre l'Adour pour terminer ensemble leur course vers l'océan, a constitué de tous temps un véritable vivier pour la flore et un repaire sûr pour la faune, en particulier les gros et redoutés serpents du Pays Basque. Cet animal a toujours représenté un être fabuleux dans la mythologie euskarienne sous le nom de « Lehen Suge » (le Premier Serpent), frère du grand serpent des anciennes légendes pyrénéennes qui dort sous la montagne, l'agite et la soulève parfois pour créer un lac... Ainsi la tradition semblait-elle expliquer les tremblements de terre et autres secousses sismiques qui ont agité de tous temps nos contrées montagneuses.
Un de ces reptiles, réputés au Pays Basque pour boire le lait des vaches et se moquer des poursuites des hommes, terrorisa peut-être la région depuis son antre, proche de la fontaine de Lissague, qui se trouve en bas de Saint-Pierre d’Irube, sur les bords de la Nive.
La légende apparut au temps où l'héritière des Seigneurs de Lissague épousa (vers 1380) Garcie-Arnaud IV de Belzunce et lui fit insérer dans son blason un dragon tricéphale. Elle a été reprise par de nombreux chroniqueurs et historiens, jusqu'au célèbre dictionnaire de Moreri (édition de 1759) qui était un peu à l’origine de la fameuse Encyclopédie éditée sous les Lumières, ainsi que La Chesnaye-Desbois.
Il y est question d’un dragon qui étend ses ravages sur les bords de la Nive, entre Saint-Pierre d'Irube et Villefranque où deux jeunes filles sont la proie du monstre.
C’est alors que surgit un beau chevalier, comme dans les romans… La légende voudrait rapporter ces faits à Gaston Arnaud de Belzunce, fils d'Antoine de Belzunce qui aurait été maire et gouverneur de Bayonne en 1372. Accompagné de son fidèle écuyer, il descendit par les bords de la Nive jusqu'aux environs de la fontaine de Lissague, et ne tarda pas à trouver la caverne de la bête. Elle s'élança aussitôt sur lui avec une fureur terrible. Belzunce la blessa d'un coup de lance; mais dans cet effort, il tomba de cheval et son écuyer le croyant perdu, l'abandonna et s'enfuit. Cependant, après s'être relevé, l'intrépide chevalier saisit la bête à bras-le-corps. Le monstre déjà blessé chercha refuge dans la Nive, entraînant Belzunce avec lui. Le lendemain on les retrouva morts, tous deux, au fond de la rivière. L'allégresse causée par la disparition du monstre ne put effacer la douleur de la perte du jeune héros.
« Pour perpétuer la mémoire de ce dévouement, raconte Ducéré dans son « Histoire des rues de Bayonne », « Charles III, roi de Navarre aurait permis à la famille de Belzunce d'ajouter un dragon à ses armoiries. Une prébende aurait même été fondée à la cathédrale de Bayonne pour le repos de l'âme du chevalier et dura jusqu'à la révolution ».
Quatre siècles plus tard, l'abbé Lahetjuzan affirmait que « l'écaille de ce monstre resta quelque temps suspendue à la voûte de l'église de Saint-Pierre d'Irube, puis sous l'orgue de la cathédrale, d'où elle fut dernièrement (on était alors à la fin du XVIIIe siècle) transportée à Paris, où on l'étiqueta Crocodile d'Amérique, par la ressemblance sans doute qu'il avait avec elles ».
Un épisode tragique sous la révolution
A cet épisode légendaire des Belzunce, il conviendrait encore d’ajouter celui, particulièrement dramatique, du cruel assassinat d’Henri de Belzunce qui se rattache aux tragiques événements engendrés par la révolution de 1789. Je l’évoque dans mon livre « La déportation des Basques sous la Terreur » (Cairn, 2017).
Fils du vicomte Dominique de Belzunce et de Méharin qui fut bailli du pays de Mixe et colonel d'infanterie, il était né en 1765 au château que sa famille possédait à Méharin. Major en second du régiment Bourbon-infanterie en garnison dans cette ville, il dut faire face à une véritable guérilla orchestrée par les « clubs » révolutionnaires de la ville qui voulaient s’emparer des drapeaux de son régiment. Protégeant au péril de sa vie les convois de grains assaillis par des bandits pour protéger la subsistance des habitants – ce qui n’était pas bien compris de la population ameutée par les agitateurs révolutionnaires -, il fut victime le 12 août 1789, sur la foi d’une provocation, d’une meute hurlante de voyous et de femmes en fureur qui le couvrirent d’insultes et le frappèrent, avant de tomber, atteint d’une douzaine de balles. Mais ce n’était pas assez : on continue de tirer sur son corps inerte, dont on coupe la tête afin de la promener au bout d’une pique, une jambe qui atterrira dans un tombereau, et divers « morceaux » qu’un apothicaire placera dans un bocal d’alcool. De « dignes citoyens » continueront de s’acharner sur le corps de Belsunce pour ouvrir sa poitrine et en arracher le cœur qu’une furie aurait mangé, selon ce que relatera dans ses mémoires le futur général Dumouriez. Et il n'y eut pas jusqu'à un paysan sans doute aviné qui n’apportât à un cabaretier un petit morceau de la chair du supplicié pour la lui faire cuire… Mais le tenancier de la gargote, mis au courant, chassa le cannibale qui se réfugia chez une certaine « dame Laforge où il put consommer son atroce rôti – à moitié cru – en l’arrosant d’une chopine de cidre », comme il ressort des interrogatoires des coupables.
Légende : le château de Belzunce à Ayherre