1 - Matthias, l’inattendu
Il viendra compléter le nombre des douze premiers dans l’ordre d’arrivée et de placement. Il vint remplacer Judas, l’inachevé, l’infidèle, le faible !
Moins illustre que Matthieu l’évangéliste, figuré par les artistes parmi lesquels Stefan Lochner 1410-1251 dans Le martyre de saint Matthias, l’apôtre relève d’un profil humble, discret, dont la représentation artistique est le message choisi.
Les hiérarques diront que cet apôtre moins en valeur fut le plus simple.
On le cite sans développement, il fait partie du nombre par défaut. Il est là sans le faire savoir. On le mentionne dans les Actes des Apôtres, et jamais dans les évangiles.
On sait que Pierre proposa de “choisir parmi des hommes qui nous ont accompagnés durant le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous depuis le commencement, lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de nous, celui qui ferait le douzième”.
Deux candidats sont désignés : Joseph appelé Barsabbas et surnommé Justus, et Matthias.
La providence choisit ce dernier et le sort tomba sur Matthias, “pour remplacer la place que Judas a désertée, allant à la place qui est désormais la sienne”. Actes 1, 21-26.
Il prend comme tous les autres le chemin en marche des apôtres, semble-t-il vers la Judée et peut être jusqu’en Ethiopie.
Il fut martyr sacrifié à la cause qu’il partageait sans grade significatif de son curriculum vitae, en ami de Dieu, et en fidélité à Jésus.
Pierre le chef définit le profil essentiel des postulants, à savoir “être témoins de la résurrection du Christ jusqu’au versement de leur sang, comme martyr de la foi.”
Les artistes en rapporteront le privilège et la grandeur.
Lochner le représente en deux tableaux d’un retable peint.
On y voit treize martyrs répartis sur douze scènes, Simon et Jude périssant ensemble, complété par saint Paul encadrant un jugement dernier.
Lochner fut un artiste renommé à Cologne disent les historiens, en Allemagne au XV ème siècle à la commande d’un grand atelier de peintre. Le tableau est réalisé à ses vingt cinq ans en 1435, il meurt à quarante et un ans.
2 – Le génie du peintre.
Le maître avait pu dessiner le visage et les personnages du modèle, donnant aux disciples - apprentis - le soin d’ajouter les couleurs. Elles sont impressionnantes, vives, animées sur fond doré peu familier de scènes religieuses courantes.
Une volonté de l’artiste de vivifier par les tons, le vert et les teintes fortes utilisées, par le message au vivant de leur enseignement.
Matthias est un homme déjà âgé, à la différence des autres apôtres plus jeunes de visage. Le déroulé de sa mort prête à débat : on le voit sous la hache de la décapitation sans doute après avoir connu au préalable la lapidation.
Matthias est agenouillé en un décor contrasté. A la partie droite statique de l’ensemble s’oppose la partie gauche des bourreaux armés et vindicatifs.
Ces soldats sont en opération et se jettent sur le vieillard soumis à la vindicte de la fin annoncée.
La force de l’image traduit le sens voulu du message de l’auteur.
Les mains de Matthias sont posées sur les marches comme pour chercher une assise à même le sol, le dernier recours d’une scène pathétique.
Autre effet direct sur le spectateur de la scène, la force des vêtements des militaires colorés à l’outrance surprend.
Le manteau vert de l’apôtre est saisissant. Les soldats arborent leurs distinctions agressives et souveraines de conquérants.
Le peintre a voulu ajouter par ce détail majeur de son chef d’oeuvre la suffisance de leur conduite, primaire ou quasi barbare.
Le visage de ces soldats de l’impossible livre face à celui de Matthias le paisible, leur médiocrité.
La grande auréole centrale qui entoure la hache annonce déjà la victoire de la vie invisible sur le forfait accompli.
Matthias inspire de la sympathie au visiteur, bien que placé dans la partie basse de la peinture, les regards se concentrent sur le vert de la tunique et ce profil d’un patriarche sans nom, sans autre mention que celle de l’exemplarité.
Les tyrans et les spectateurs assoiffés de sang se repaissent de la violence, sous le regard d’une statue du Christ qui apaise le supplice en cours. Une syntonie comparée de deux temps mémoriels partagés par un sacrifice commun de leur vie.
Le peintre a choisi d’illustrer le contraste réaliste des démonstrations de prestige, de gloires et de suffisance par celui des vêtures de soldats imbus de leurs uniformes et par celui quasi spartiate de Matthias, confondu dans une tunique verte sans autre couture que celle que lui donnera son martyre et sa proximité avec le divin maitre, mort lui aussi de la main de ses bourreaux inachevés.
A la grandeur de sa fidélité, disait le pape Benoit XVI, s’ajoutait l’appel divin à prendre la place de Judas comme pour compenser la trahison.
Une continuité de la vie chrétienne est ainsi faite de grandeur et de décadence.
Une histoire qui se poursuit encore où des inconnus, des témoins sans nom et sans histoire, délivrent un témoignage de foi personnelle. Benoit XVI ajoutait : “même si dans l’église ne manquent pas de chrétiens indignes et traitres, il revient à chacun de nous de contrebalancer le mal qu’ils ont accompli, par notre témoignage limpide à Jésus Christ, notre Seigneur et Sauveur.”
De quoi livrer pour chacun un message bien actuel à ceux qui s’interrogent encore sur la violence au nom de la foi qui supplicie des hommes d’une animosité intéressée et provisoire !
Notre photo de couverture : Martyre de saint Matthias par Stefan Lochner