Une voiture bélier défonce le portail d’entrée d’une usine. A son volant, Jim (Jonathan Cohen) un meneur exalté. Le véhicule s’arrête dans la cour, où soudain, il est cerné par une cohorte de policiers qui tentent d’en extraire le conducteur. Sur un portail latéral de la cour d’usine, surgit une horde hurlante d’hommes menaçants, munis de bâtons. Une bagarre générale s’ensuit, violente.
Un jeune homme tenant une petite caméra numérique tente de filmer la scène : il est bousculé et s’effondre dans un coin. Une voix hurle « coupez ! », puis interpelle ses assistants « c’est le fils de qui ? » en désignant le jeune homme.
Nous sommes dans la première semaine d’un tournage d’un long métrage de fiction : l’histoire relate le combat d’ouvriers en grève menée par Jim contre la fermeture de la manufacture. Les ouvriers sont des figurants « castés » dans les « cités dortoirs » des environs.
Le metteur en scène à chapka est Simon (Denis Podalydès), un réalisateur confirmé. Il est pétri d’angoisse car le financement du film n'est pas bouclé. La directrice de production Viviane (Emmanuelle Bercot), le rassure, il n’y aura pas de problème, Marquez (Xavier Beauvois) le producteur, a provoqué une réunion d’arbitrage avec deux financiers potentiels.
Un jeune figurant Joseph (Stefan Crepon), approche timidement Simon et lui transmet un scénario qu’il a rédigé dans la chambre de sa « cité dortoir ». Il est fou de cinéma, rêve de devenir réalisateur mais ne possède aucune clé pour entrer dans la carrière. Simon perdu dans ses problèmes professionnels auxquels s’ajoutent ses problèmes personnels, prend distraitement le tapuscrit en promettant de le lire plus tard.
Le tournage se déroule de mal en pis : le financement du film est compromis. Le réalisateur, Simon est en souffrance physique et psychologique, Alain/Jim (Konathan Cohen), l’acteur principal « banquable » est ingérable : il demande des modifications du scénario. L’équipe technique faute de salaires menace de se mettre en grève, la pluie est incessante, etc. ;
La fiction sur des ouvriers en grève occupant une usine en sursis, glisse insensiblement vers la dure réalité d’un tournage chaotique …
Making of est le treizième long métrage de Cédric Kahn (57 ans) tourné très peu de temps après son précédent opus : Le Procès Goldman (critique dans BasKulture : octobre 2023 !). Il n’y a pas plus dissemblable que ces deux dernières œuvres : Le Procès Goldman est un film de prétoire dans une salle de tribunal ; Making of est une déconstruction sur la fabrication d’un long métrage français, dit de « film du milieu » (budget moyen : 4 millions € selon le CNC) avec tous les problèmes afférents : financement, scénario, metteur en scène, acteurs, équipe technique, etc.
Des longs métrages ont déjà traité ce sujet mais essentiellement en mode mineure : La Nuit Américaine (1973) de François Truffaut sur les incidents d’un tournage dans les Studios de la Victorine à Nice, tiré d’une bluette « On l’appelle Pamela ». Mais ce film, moult fois diffusé sur le petit écran, n’avait que deux niveaux de lecture : la réalisation moins accidentée du film, le comportement frivole, irresponsable, des acteurs. Making of est d’une toute autre ambition : il en comporte trois !
Primo, La poutre maîtresse qui structure le film est d’essence sociale : un groupe d’ouvriers se battant pour que leur usine ne ferme pas et ne soit pas délocalisée dans un autre pays. Secundo, à partir de cette trame, un scénario a été élaboré par Simon et mis en image par lui-même : le capital, le prolétariat, le cinéma.
Tercio, Le réalisateur quelque peu dépassé par ses problèmes (physiques, psychologiques) demande à un électron libre, Joseph, de filmer la fabrication du film. Les séquences s’imbriquent les unes dans les autres sans heurts (montage virtuose de Yann Dedet), nous invitant à coulisser de la fiction (tournage) au réel (équipe technique, figurants) sous un regard extérieur (Joseph avec sa caméra numérique) filmant sans cesse, indistinctement, l’une et l’autre. Cependant, le film de François Truffaut plus léger, moins audacieux que celui de Cédric Kahn, le rejoint sur un point cardinal : l’amour irréductible du cinéma !
Dans un entretien avec Cédric Kahn, ce dernier a déclaré à propos de Making of : « Ce n’est pas un film sur le cinéma en tant qu’objet d’art ou de fantasme, mais sur le cinéma en tant que travail. Cette distinction est très importante pour moi ». Ajoutons que la troupe de comédiens s’amuse et nous amuse : Denis Podalydès (Simon) en réalisateur dépressif ; Jonathan Cohen (Alain/Jim) en acteur « banquable » insupportable ; Emmanuelle Bercot (Viviane) en directrice de production négociatrice ; Xavier Beauvois (Marquez) en producteur madré.
Making of a été projeté hors compétition à la Mostra de Venise 2023.