Janis (Penélope Cruz) est une quadragénaire, photographe de mode, très en vogue sur la place de Madrid. Elle rencontre Arturo (Israël Elejalde), un paléontologue spécialisé dans la recherche et l’exhumation de fosses communes où ont été enterrés, durant la guerre civile espagnole (1936/1939), les cadavres de républicains assassinés par des milices fascistes. C’est un long travail mémoriel mis en difficulté par le manque de crédits alloués à ses recherches par le nouveau gouvernement espagnol. Malgré ce problème, Janis, dont l’arrière-grand-père maternel a été assassiné dès le début de l’insurrection militaire (juillet 1936), transmet le dossier qu’elle a constitué sur ce tragique événement à Arturo en espérant qu’il aboutisse un jour. Janis célibataire et Arturo marié ont une brève liaison passionnée.
Janis tombe enceinte. Elle accepte avec sérénité et joie sa maternité, sans homme, comme l’avait auparavant vécu sa mère, une « hippie », qui l’a prénommée Janis en hommage à la chanteuse texane Janis Joplin (1943/1970). Proche du terme de sa grossesse, elle est admise dans un établissement hospitalier où elle partage sa chambre avec une jeune fille de 17 ans, Ana (Milena Smit) elle aussi enceinte. Autant Janis est heureuse de sa grossesse, fruit d’un accident, autant Ana est déprimée par la sienne non désirée. Bien que différentes, les deux femmes sympathisent. La mère d’Ana, Teresa (Aitana Sanchez-Gijon), une actrice sur le déclin, passe leur rendre visite en coup de vent, ce qui affecte le moral, déjà bas, de sa fille.
Janis et Ana accouchent le même jour de deux petites filles qui manifestent quelques problèmes de santé. L’équipe médicale leur retire momentanément leurs bébés pour des examens complémentaires. En attendant les deux parturientes promettent de se revoir.
Janis et Ana quittent l’établissement hospitalier avec leurs nouveaux nés. Janis retourne à son appartement madrilène et reprend, avec quelques difficultés pécuniaires, son métier de photographe aidée par son amie Elena (Rossy de Palma). Ana vit chez sa mère, toujours angoissée, à la recherche d’un rôle important.
Dans la capitale espagnole, les deux femmes aux parcours dissemblables, semblent s’être perdues de vues définitivement …
Madres paralelas est la septième collaboration entre le cinéaste madrilène Pedro Almodovar (72 ans) et Penélope Cruz quinze ans après Volver (2006) et douze après Etreintes brisées (Los abrazos rotos - 2009). Son précédent opus, Douleur et Gloire (Dolor y gloria – 2019) fortement autobiographique, avec un interprète inspiré, Antonio Banderas (prix d’interprétation au Festival de Cannes – 2019) nous avait fait oublier que le réalisateur espagnol était un formidable raconteur de mélodrame à la fois scénariste et « fabricant » vétilleux avec son équipe artistique et technique habituelle : sa société de production El Deseo (Agustin Almodovar, son frère), son chef opérateur (José Luis Alcaine), son chef décorateur (Antxon Gomez), sa costumière (Paola Torres) et le compositeur Alberto Iglesias.
Le résultat sur l’écran est ainsi toujours maitrisé : les images lumineuses et très colorées (trop au goût de certains, « criardes ») sont cadrées avec soins ; les décors participent à la narration et la résolution de/des intrigues (les lieux de vie sont des appartements témoins pour certains critiques !) ; les costumes sont trop stylisés, « des gravures de mode », etc.
Mais c’est ce trop qui nous intéresse, cette surabondance d’ajouts qui renforce la fluidité du récit colorié, flamboyant, à la manière de son maître hollywoodien, d’origine allemande, Douglas Sirk (1897/1987). Ses quarante ans de carrière (Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier (Pepi, Luci, Bom y otras chicas del monton – 1980) sont marqués par le long métrage qui nous a fait découvrir sa singularité : Femmes au bord de la crise de nerfs (Mujeres al borde de un ataque de nervios – 1988). Depuis, Pedro Almodóvar creuse son sillon cinématographique autour de quelques thèmes : la famille sous ses différentes formes (décomposée ou recomposée), la filiation mémorielle en particulier mère/fils ou mère/fille. Les mères (présentes ou absentes) sont les personnages moteurs des scénarios de Pedro Almodovar comme l’a été, pour en son temps, sa propre mère, Francisca Caballero (1916/1999), dans son « pueblo » de Castille-la-Manche. Les pères sont insignifiants ou invisibles.
Dans Madres paralelas la filiation douloureuse remonte à l’arrière-grand-mère de Janis dont le mari a été assassiné par les troupes fascistes puis par sa grand-mère et enfin par sa mère « hippie » contemporaine de la « Movida » (années 1980) période de libération des mœurs en Espagne mais non, ou fort peu, de la parole. Ana, jeune femme née avec le siècle, est une adepte des objets connectés lesquels nous cannibalisent à tout instant, nous contraignent à l’instantanéité, et en définitive font écran à la réflexion, à la mémoire, ne peut comprendre la quête de vérité, de justice, de Janis pour un drame familial vieux de 85 ans !
Pedro Almodovar entrelace les deux histoires compliquées, divergentes, de deux femmes de notre temps pour les réunir face à l’exhumation d’une tragédie sanglante, enfouie, mais pas oubliée.
Les femmes demeurent la mémoire du monde en perpétuant la vie.
Madres paralelas a été projeté en ouverture de la Mostra de Venise 2021. Penélope Cruz a obtenu la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine.