Par un acte donné à Vincennes en janvier 1339 en reconnaissance des « bons et aggréables services » que lui avait rendus Louis de La Cerda - dit « d’Espagne » - Philippe VI octroyait à celui-ci, en échange de l’hommage lige, le château, la châtellenie et la ville de Talmont (sur Gironde) ainsi que l’île d’Oléron avec toutes leurs dépendances, fiefs et arrière-fiefs, avec la haute, moyenne et basse justice, sans retenir autre chose que de battre monnaie. Cette donation était faite à perpétuité et les terres qui la composaient devaient après la mort de Louis passer à ses descendants légitimes et, à défaut de ceux-ci, à ses plus proches héritiers. Situé dans le voisinage immédiat des possessions anglaises de la Guyenne, ce comté se trouvait particulièrement exposé aux entreprises de l’ennemi et c’est peut-être à dessein que le premier Valois en confia la garde à l’homme de guerre éprouvé qu’était Louis d’Espagne. Il s’engageait du reste à le dédommager en domaine et dignité équivalents si le fief venait à être cédé au Roi d’Angleterre… Là ne se borna point la générosité du roi à l’égard de son cousin : l’année suivante, en considération des services qu’il rendait « de jour en jour en plusieurs manières », le comte de Talmont (avec ses héritiers) se voyait gratifié à perpétuité d’une rente de mille livres tournoi. Et le 13 mars 1341, Louis de La Cerda reçut la charge d’Amiral de France, dignité aux revenus considérables (redevances, part des prises en mer et moitié de l’or trouvé sur les naufragés) comportant le commandement effectif des bâtiments et la levée des équipages.
La levée d’équipages basques
Mon ancêtre s’employa alors à reconstituer la flotte disparue le 24 juin 1340 dans le désastre du combat naval de L’Ecluse, face à Bruges où Edouard III d’Angleterre voulait récupérer son épouse laissée en gage (!) aux Flamands. Tandis que la plus grande activité régnait dans les chantiers de construction et qu’on armait les nefs disponibles dans tous les ports de France, le nouvel amiral recruta des équipages parmi les populations maritimes des provinces basques. Le 21 avril 1341, son escadre jette l’ancre à Bermeo où il négocia pendant deux mois des promesses de soutien. Mais la tâche de Louis de La Cerda était rendue d’autant plus difficile que, chargé également de la défense de Lille en qualité de « capitaine souverain », il dut encore intervenir dans la guerre de succession de Bretagne qui venait d’éclater entre Jean de Montfort soutenu par Edouard III et Charles de Blois, partisan du roi de France. C’est d’ailleurs là que ses exploits furent les plus renommés grâce aux chroniques laissées par Froissard et Jean Le Bel. Il lui revint encore d’être nommé en 1344 « roi des îles Fortunées », autrement dit l’archipel des Canaries car, en Avignon, le pape Clément IV désirait éviter un conflit entre le Portugal et l'Espagne. Cependant, il n’alla jamais prendre possession de son nouveau royaume, préférant se partager entre la douceur des vignes bordelaises et Uzès, dans le Midi, d’où provenait sa seconde épouse Guiote, fille du vicomte Robert Ier d’Uzès. En 1346, il se battait encore pour les Valois en Guyenne, contre les Anglais du comte de Derby.
Une succession compliquée
Nul ne s’étonnera dès lors de mon choix de mettre sous l’invocation d’un ancêtre aussi valeureux la noble – bien que très modeste – production d’une vigne qui revêtit toujours tant d’importance aux yeux d’illustres personnages, d’Ausone à Montesquieu en passant par l’amiral bordelais d’Escoubleau de Sourdis.
Mais comment donc peut-on descendre d’un amiral de France pendant la guerre de Cent Ans alors qu’on est fils de réfugiés de la révolution russe ?
Louis de La Cerda était lui-même fils d’un héritier du trône de Castille écarté par son oncle qui régna sous le nom de Sancho III : son grand-père était l’infant Ferdinand dit de « La Cerda », fils aîné d’Alphonse X « le Sage »marié à Blanche, troisième fille de Saint Louis, ce qui explique que Louis et son père aient trouvé refuge auprès de leurs royaux cousins de France. L’infant Ferdinand étant mort jeune en pleine campagne contre les Maures, une loi successorale encore mal affirmée en Castille favorisa l’appétit de pouvoir de son cadet Sanche qui reprit le flambeau de la Reconquête et de la protection des frontières andalouses, toujours menacées. Mais la querelle successorale qui en découla embrasa l’Europe pendant plusieurs générations.
C’est la fille de Louis de La Cerda, mariée à l’un des trois fils naturels reconnus de Gaston Febus, Bernard de Béarn, qui assura la postérité des La Cerda auxquels, de guerre lasse, les successeurs de l’usurpateur Sanche accordèrent le titre et les terres de Medina-Celi. L’un de ses descendants, participant à la guerre de Succession contre Philippe V, fondateur de la branche des Bourbons d’Espagne imposée par Louis XIV, fut contraint à l’exil sur les terres de son suzerain Habsbourg qui lui donna en 1735 le comté-châtellenie de Leuze dans le Hainaut. C’est d’ailleurs par la Cour Souveraine de Hainaut, en 1750, qu’il fit établir son ascendance depuis Ferdinand de La Cerda jusqu’à son fils Jacques, lequel passa en Russie en 1761 (sans doute à cause d’un duel) où il termina une brillante carrière militaire comme général en chef de la garnison de Revel (l’actuelle Talinn). Nous avons encore gardé dans la famille cet extraordinaire et unique document de 1750 sur l’ascendance de la « branche russe » des La Cerda, complètement ignorée des généalogistes espagnols du XIXème siècle, mais qui, curieusement, a été mentionnée dans le dictionnaire de la noblesse française de Mailhol en 1899. On y trouve d’ailleurs mon arrière grand-père paternel, Alexandre de Roberty de La Cerda, général d’artillerie russe, sauvagement assassiné par les bolcheviques à Eisk en 1919.
L'occasion de procéder à de sympathiques échanges à la mairie de Talmont avec son premier magistrat Alain Grasset, la présidente de la Société des Amis de Talmont, Monique Graveaud (Basque par sa mère, pendant 27 ans chef de service en pneumologie et urgentiste à l’hopital de Pau), ainsi que l'historien Bernard Mounier, auteur de nombreux articles sur Talmont et qui m'a dédicacé le bel ouvrage "De A à Z, Talmont-sur-Gironde et ses environs" publié sous sa direction aux éditions François Baudez. Talmont n'avait-elle pas adopté pour blason les armes de mon ancêtre Louis de La Cerda comme en témoigne l'affiche "Les Vrayes Armes de Talmont ou la naissance d'un Comté" disposée au-dessus de la cheminée du salon de la mairie ?
Or, c’est dans un lieu également chargé d’histoire que j’avais fait l’acquisition de mon vignoble. Ce plateau de l'Entre-Deux-Mers sur la rive droite de la Garonne est sillonné de vallons encaissés et garde un riche héritage de maisons, moulins fortifiés, bastides, chartreuses et abbayes. Mes belles vignes de Merlot se trouvent à Saint-Martial, entre Sauternes et Saint-Emilion, près de Malagar, la demeure de François Mauriac, et à quelques pas du château où Toulouse-Lautrec vécut ses dernières années, propriété qui, curieusement, avait appartenu sous le nom de « Taste » à la famille de Pierre de Rostéguy de Lancre, le célèbre pourfendeur des sorcières basques !