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Tourisme
Louis d’Arcangues : un Basque en Transnistrie
Louis d’Arcangues : un Basque en Transnistrie

| Louis d'Arcangues 853 mots

Louis d’Arcangues : un Basque en Transnistrie

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L'Université de Tiraspol ©
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Lors de mon année d’échange universitaire à Iasi, en Roumanie, j’ai eu l’occasion de visiter certains pays limitrophes, notamment la Moldavie du fait de sa proximité. Lors de ce voyage accompagné de mes colocataires espagnols, nous nous sommes rendus en Transnistrie, pays pour le moins intrigant. Récit d’un voyage atypique dans une république coupée du monde.

Après une heure et demie de trajet à bord d’un minibus sorti tout droit de l’année 1951 nous arrivons au poste frontière bien qu’il n’était indiqué sur aucune carte. Drapeau communiste et chars russes donnent le ton, nous sommes priés de descendre afin de s’enregistrer, le bureau des migrations ouvre spécialement pour notre venue. Chemises trouées, les fonctionnaires nous remettent un petit bout de papier qui expire après 24 heures, notre visa en règle nous continuons notre trajet pour atteindre Tiraspol, 160 000 habitants, capitale de la Transnistrie. 
A bord du minibus nous rencontrerons Oleg, étudiant en médecine dont l’étonnement de voir des touristes dans son « pays » nous laisse dubitatifs. Notre nouveau guide souhaite nous aider à trouver un logement, une fois arrivés à Tiraspol nous le suivons jusqu’au campus de l’université. Oleg s’empresse d’appeler ses amis pour l’occasion, en effet certains n’avaient jamais rencontrés d’étrangers, le passeport transnistrien n’étant pas reconnu, ses détenteurs ne peuvent donc pas voyager. 

A Tiraspol
Sous bonne escorte, nous visitons la capitale dont les monuments sont pour le moins minimalistes : un char pointant vers l’ouest, un mémorial de guerre, et bien-sûr le soviet suprême orné d’une statue de Lénine parfaitement entretenue. Nous visitons ensuite la poste transnistrienne avant de changer nos Leu moldaves en Roubles Transnistriens pour acheter quelques produits locaux donc la fameuse vodka « Pridniestrovskaya », produite par la distillerie Kvint, fleuron de l’industrie locale. Tous les supermarchés du pays appartiennent aux fils du président, par ailleurs son frère est le chef des douanes, un népotisme endémique qui nous ne surprend que peu. 
A notre grande surprise nous parvenons à trouver un logement sur Airbnb grâce à l’aide de nos amis transnistriens. Le prix est raisonnable : 100 roubles (5 euros) pour loger dans un appartement digne de l’URSS des années 1960, anachronisme garanti. 

Nous passons la soirée avec nos correspondants qui nous racontent leur existence « dans un pays qui n’existe pas ». Après quelques verres de vodka Oleg se confie, cela fait plusieurs années qu’il a terminé ses études, mais comme tous ses amis il ne trouve pas de travail, son pays parvient à se maintenir grâce aux subventions russes. Animés d’une profonde curiosité mais aussi d’une certaine morosité, nos amis nous posent des questions à la chaîne : « C’est comment l’Europe ? d’aller à la plage ? de visiter d’autres pays ? En plein confinement, ma réponse sur notre mobilité ne l’aurait guère autant surpris.
Nos guides se sont rués sur le jambon ibérique que mes amis espagnols avec lesquels je voyageais depuis le début avaient amené, savourant la frénésie d’un goût nouveau, bien rare dans leur vie quotidienne témoignant de la fracture qui nous séparait.
Coincés, confinés dans ce musée à ciel ouvert parfaitement conservé du communisme, la vie de nos compagnons est pour le moins terne. Ils sont des oubliés de l’histoire, les enfants d’une zone tampon, d’un héritage du rideau de fer, de conflits civilisationnels à la balkanique. Cette zone de non droit dans laquelle aucune ambassade ne peut s’installer est le terrain d’un échiquier géopolitique complexe entre Est et Ouest, entre l’Otan et la Russie.

Un fragment de l’URSS, idéologie en moins, internet en plus
L’histoire de la Moldavie est aussi tragique que méconnue. Nichée entre la Roumanie et l’Ukraine, elle était une région roumaine jusqu’en 1940 avant d’être incorporée à l’URSS. Durant la période soviétique le pays connait une russification importante, la population est alors composée de russes de roumains et d’ukrainiens. En 1991 la Moldavie s’émancipe et souhaite se rattacher à la Roumanie. Les groupes éthiques slaves s’opposant à cette « roumanisation » se cantonnent dans la partie orientale du pays, sur une étroite bande de terre démarquée par le fleuve Dniestr à l’ouest et par l’Ukraine à l’est. 
Soucieuse de protéger ses minorités, la Russie envoie son armée sécuriser ce territoire qui devint alors un pays indépendant disposant de son armée, son gouvernement, sa monnaie ainsi que toutes les autres fonctions régaliennes ; seul bémol, la Transnistrie n’est reconnue par aucun état de l’ONU. Cette nation fantôme vit dans une boucle mélancolique de l’empire soviétique. Les rues sont ornées du drapeau national qui est la copie conforme de l’étendard de la Moldavie communiste, les habitants roulent en Lada et vénèrent Lénine. 

Ce voyage en zone grise est une expédition hors pair plongeant ceux qui s’y aventurent dans un climat mélangeant le « vintage à la cubaine » et l’idéal communiste d’une époque bien révolue. Ce voyage n’est pas sans risques car il est possible d’y rester bloqué pour celui ou celle qui ne respectera pas la durée maximale autorisée pour un touriste (24h). Le droit international ne s’y appliquant pas, aucune intervention consulaire n’est possible. Mais le jeu en vaut la chandelle pour ceux et celles qui souhaitent visiter un fragment de l’URSS, idéologie en moins, internet en plus… 

Légendes : 
- Sous le buste de Lénine
- L’université de Tiraspol

Répondre à () :

Paul Mirat | 01/05/2020 19:15

Merci Louis d'Arcangues pour ce récit passionnant et très original.

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