Colombie, début de la décennie 1970. Dans la ville de Medellin, le professeur de médecine et d’université Hector Abad Gomez (Javier Camara) s’insurge contre l’insalubrité de sa ville et la malnutrition qui déciment la population des quartiers populaires. A ses maux, s’ajoute l’inexorable montée de la violence générée, favorisée, par des trafics en tout genre. Il réussit a faire venir des États Unis un professeur réputé afin de lui montrer, in situ, l’étendue du désastre social. Hector Abad Gomez est père de famille nombreuse : cinq filles et un garçon d’une dizaine d’années, prénommé Hector (Nicolas Reyes Cano) comme lui.
Au travail harassant du médecin s’ajoutent les incessantes disputes avec sa hiérarchie, les autorités civiles, et enfin les attaques insidieuses de l’église catholique, alors toute puissante en Colombie. Nonobstant, il trouve le temps de chérir Cecilia (Patricia Tamayo), sa femme dévouée, et ses six enfants. Jamais satisfait du laisser-aller des autorités civiles, il ne cesse de les combattre pour qu’elles prônent et appliquent, enfin, une politique sociale (hygiénisme, emploi, lutte contre la violence, etc.).
Dans la grande maison toujours en effervescence, les adultes, les enfants se croisent dans un ballet incessant au milieu de rires, de chansons et de drames. Le jeune Hector circule avec vélocité (suivi par une caméra virevoltante) d’une pièce à une autre, observe, écoute, parfois indiscret, et tente de comprendre la complexité des relations humaines sous l’égide d’un « pater familias » généreux et pédagogue.
Hector ressent l’importance de son père à la fois aimé par les siens et haï par ses ennemis qui s’accommodent de la misère sociale. Par son attitude intransigeante, courageuse, le docteur Hector Abad Gomez s’offre aux armes des « sicarios », ces tueurs à la solde des narcotrafiquants (en particulier ceux diligentés par Pablo Escobar - 1949/1993, chef du Cartel de Medellin) et des escadrons de la mort (les paramilitaires).
En 1983, Hector (Juan Pablo Urrego) devenu adulte, s’est exilé à Turin (Italie) où il poursuit ses études de lettres. Un soir il reçoit un appel de Medellin : c’est une étudiante de son père ...
L’oubli que nous serons (El olvido que seremos – 136’) est une adaptation du grand roman autobiographique éponyme d’Hector Abad Faciolince (1958) paru en 2006 et édité en français par Gallimard dans la collection « Du monde entier » en 2010. Le roman qui a rencontré un grand succès lors de sa parution en version originale (castillan), a été salué par l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa (1936), Prix Nobel de Littérature 2010, comme « l’un des plaidoyers les plus éloquents jamais écrit contre la terreur comme instrument d’action politique ».
Le réalisateur espagnol chevronné, Fernando Trueba (66 ans), s’est emparé de ce chef-d’œuvre de la littérature sud-américaine, par essence difficile a adapter au cinéma, car le nombre de personnages, leurs multiples interactions, les différentes temporalités, discernables dans un texte, peuvent s’avérer « brouillés » dans un récit cinématographique enserré dans une durée limitée (2h 16 minutes). Il n’en est rien. Le réalisateur a choisi de filmer les scènes contemporaines dans un noir et blanc granuleux et les scènes d’enfance, de souvenirs, dans des couleurs chatoyantes. Aussi, glissons-nous, sans accros, d’une temporalité à l’autre, du présent au passé (et vice versa), dans un flux narratif fluide. Fernando Trueba a pris le parti de décrire l’amour filial (c’est son frère puîné, David, qui a coécrit le scénario avec l’auteur du roman !) pour faire démentir son « maître » Billy Wilder (1906/2002) pour qui la vertu n’était pas photogénique. D’autre part, il souhaitait faire un film sur son obsession : « le choc entre la civilisation et la barbarie ».
Pour ce film tourné en Colombie, sur les lieux mêmes de l’histoire, Fernando Trueba a engagé pour tous les postes (comédiens, techniciens, machinos, etc.) des colombiens. Pour le rôle principal il a fait appel à son ami, le comédien espagnol, Javier Camara (54 ans) révélé (en France) et multi récompensé pour sa prestation de l’infirmier Benino Martin dans le long métrage de Pedro Almodovar (1949) : Parle avec elle (Habla con ella – 2002). Javier Camara, acteur très sollicité au cinéma et dans les séries télévisées (Narcos de Netflix, saison 3 - 2017), s’est totalement investi dans le rôle du bon docteur Hector Abad Gomez qu’il décrit comme « le rôle de sa vie ».
L’oubli que nous serons (incipit d’un sonnet de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges – 1899/1986 : Ya somos el olvido que seremos) a été retenu en sélection officielle du dernier Festival de Cannes 2020 … qui n’a pas eu lieu (Covid 19 !). Toutefois, à la 35 ème cérémonie des Goyas 2021, le dernier opus de Fernando Trueba a été récompensé par le Goya du Meilleur Film hispano-américain.