"Éloge de Cyrano de Bergerac" lu par Bastien Brestat, lauréat du Prix des Trois Couronnes 2023 dans la catégorie poésie. La lecture eut lieu dans le cadre de la remise des prix à la villa Arnaga, demeure d'Emond Rostand, sous la présidence d'Alexandre de La Cerda.
Chers amis, le héros dont je veux à présent
Vous dépeindre un portrait, est des plus importants,
Pour la littérature et pour l'esprit français,
Dont il est pour le dire sans exagérer,
Comme une allégorie. Poète et escrimeur,
Illustre du grand Siècle. Il incarne l'honneur,
Le lyrisme, l'esprit, si bien qu'il apparaît,
Comme un des personnages les plus populaires,
Et les plus admirés du monde littéraire,
C'est bien sûr Cyrano de Bergerac. Son nom,
Doit aussi résonner comme une évocation,
D'un génie immortel, à jamais émouvant,
Chez qui nous sommes maintenant : Edmond Rostand.
Cyrano sous sa plume est un héros total,
Il est du bel esprit un modèle idéal,
Cependant qu'à l'épée sa très haute maîtrise,
L'élève à des sommets où nul ne rivalise.
Or pour mieux approcher la splendeur qui est sienne
Il faut se souvenir de la dernière scène,
Qui semble de sa vie nous être la synthèse,
Souvenez-vous : c'est donc au temps de Louis XIII,
Un coteau vert s'étend sous le soleil jauni,
Et là-bas vers les arbres près de l'abbaye,
Enveloppé d'un long manteau qui le calfeutre,
- Le nez dépasse un peu la bordure du feutre -
Cyrano, affaiblit, mais l'esprit vif encore,
Retient notre attention dans un dernier effort,
Avant de s'élever à la divine table.
La cloche sonne au loin et le vent admirable,
Apporte auprès de lui ce tintement lointain,
Il ne lui manquerait que l’écho d'un refrain,
Où la sonnaille et le galoubet mélodieux,
Réciterait les airs de son pays heureux.
Mais il a tout pourtant, il ne lui manque rien,
Et comme un ange alors une femme se tient,
Devant lui. C'est Roxanne, il a vécu pour elle,
Comme elle fut pour lui sa faveur essentielle,
Il lui doit un aveu qu'il lui confie tout bas :
« Le soir sous le balcon : toute ma vie est là
tandis que je restais en bas dans l'ombre noire
d'autres montaient cueillir le baiser de la gloire. »
On se souvient aussi qu'à Roxane il disait :
« Moi je ne suis qu'une ombre et vous qu'une clarté... »
On s'en étonne alors. N'était-t-il donc qu'une ombre ?
Lui qui n'a pas faiblit sous les assauts du nombre,
Qui toujours s'illustrant par les éclats du fer,
Et par l'intégrité d'un trop fort caractère,
Forçait l'admiration des foules ennemies.
Lui qui s'est comporté sans ménager sa vie,
Qui à la guerre aima se battre un contre cent,
Et ne redouta pas d'aller verser le sang,
Devant les murs d'Arras et l'Espagne invincible.
Lui qui n'abdiqua pas l'honneur d'être une cible,
Pour qu'un soleil béni sur le front de bandière
Réponde avec ardeur au feu de sa rapière,
Et projette son nom sur toute la Gascogne.
Repensons à ce soir à l’hôtel de Bourgogne,
Où il vint ajouter l'esprit à la bravoure
Et menaçant la scène et la foule alentour,
Fit chasser du théâtre un acteur déplorable,
Avant que de son nez comme un sujet de fable,
Il ne fit le procès, l'éloge et l'épitaphe.
Ensuite son épée imprima sa paraphe,
Dans les fières pourpoints. Consécration complète !
C'est là qu'il fut vraiment escrimeur et poète,
Un foyer d'éloquence où la flamme du verbe
Colorait de son or l'épée la plus acerbe.
Cyrano, une ombre, plutôt qu'une lumière ?
Pourtant ce n'est pas là sa noblesse première.
L'estocade nocturne et le brillant discours,
Cachaient secrètement son invisible amour.
Cyrano que la vie destinait au combat,
Vécut pour un désir qui ne s'avouait pas.
Il fallait un Phébus pour prêter un visage,
À cet esprit trop pur pour porter un rivage,
Et c'est l'ombre d'un autre qu'en un sens il fut,
Pour faire aimer Roxane avec plus de vertu,
Et plus de perfection. Vertu harmonieuse,
D'une figure intacte où la jeunesse heureuse
Rayonnait toute entière. Et perfection du verbe,
Où son intelligence étalait sa superbe.
Pour égaler Roxane en un double miroir,
La beauté et l'esprit devaient lier leurs pouvoirs.
Cyrano inspira cette alliance parfaite,
Et joua la partie, hélas, la plus secrète.
Christian meurt et quinze ans de silence s'écoule,
L'âme de Cyrano dissimule une houle,
Incessante. Roxane l'eut aimé peut-être,
Comme elle aima son âme au travers de ses lettres,
Or il n'admettait pas qu'une face imparfaite,
Se fasse de son cœur l'inégal interprète.
Mais Roxane a compris, et dépassant le deuil,
Regarde avec douceur l'homme dans son fauteuil,
Celui qui décida d'être admirable en tout,
Elle l'interroge enfin : « mon ami, c'était vous ? »
Roxane comprend tout, émue par le silence,
De Cyrano vaincu devant cette évidence.
Mais déjà le jour baisse et vient dissimuler
Son astre magnifique au creux des Pyrénées.
Cyrano voit la nuit dérouler son rivage.
Cette ombre merveilleuse ouvre les pâturages,
L'eau claire du ruisseau et le feu du Midi.
C'est toute la Gascogne qui s'écoule en lui
Et son cœur lourd encor d'amour inexprimé
Ne dissimule plus sa pudique bonté.
Vers le front bleu du ciel une lune s'élève.
Cette lune qui fut son asile et son rêve,
Qui semblable à Roxane, admirant Apollon,
Emporte Cyrano dans son dernier rayon.
Et lui, soleil ultime à la clarté sans tâche,
Sur le char éternel apporte…son panache !