Après la publication de son livre sur « Les Espagnols de Bordeaux » en 2006, Maria Santos-Sainz, docteur en sciences de l’information, maître de conférences et ancienne directrice de l’Institut du journalisme Bordeaux-Aquitaine approfondit son enquête sur « le dernier Goya » à Bordeaux. Edité chez Cairn, ce nouvel ouvrage retrace les quatre dernières années (1824-1828) de la vie de Francisco de Goya y Lucientes. Il en résulte une riche production de dessins, gravures et portraits ponctués de nouvelles techniques en lithographie qui au fil de l’écriture dévoile à la lumière bordelaise la vie intime, les points de vue politique, philosophique et journalistique de l’un des plus célèbres peintres espagnols.
Francisco José de Goya y Lucientes, dit Francisco de Goya, né en mars 1746 à Fuendetodos, près de Saragosse, déçu par la politique de son pays qui ne l’abandonna pas et dont il reçut cependant un salaire en tant que Premier Peintre de la Chambre, s’installa en 1824 - sous le règne de Charles X - à Bordeaux, où s’étaient réfugiés de nombreux libéraux espagnols (en 1813, on décomptait déjà 401 familles exilées, à la suite de Joseph Bonaparte). Dans la capitale viticole, déjà atteint de surdité depuis 1793 à la suite d’une forme de méningite, Goya continua à peintre et graver.
Après avoir épousé en 1773 Josepha Bayeu avec qui il eut plusieurs enfants - dont un seul fils, Xavier, survécut -, Goya choisit pour compagne Leocadia Zorrila Weiss, divorcée d’un bijoutier, avec sa petite fille Rosarito, dont on dira qu’elle fut l’enfant illégitime du couple. Comme Goya, politiquement libéral, Leocadia avait accompagné le peintre à Bordeaux.
Cependant, lors du décès de l’artiste, peut être à cause de la souffrance due à sa maladie, qui avait augmenté, le grand libéral Goya qui avait pourtant pris fait et cause pour les femmes les plus démunies, ne laissa rien à sa compagne Leocadia Zorrila Weiss. Seule une toile lui sera attribuée, un portrait à l’huile de la « laitière » délaissé par le cupide héritier légitime Xavier pensant qu'il s'agissait d'un faux. Réalisée peut être à deux mains par Rosarito devenue portraitiste, cette œuvre par sa fraîcheur qui paraît se détacher de son paysage en fond, annonçant l’impressionnisme, semble être une parenthèse lumineuse dans l’œuvre de l’ époque bordelaise.
Indépendant, imprégné des idées du siècle des Lumières, l’ancien peintre du roi, Francisco de Goya, s’ était attaqué à l’autorité politique et à l’inquisition espagnole en publiant plusieurs séries d’eaux-fortes cinglantes : « les caprices », « les désastres », « la tauromachie » et « les absurdités », accentuant leur cruauté. Un réalisme de scènes goyesques sur divers faits historiques qui furent pour la plupart interdites en Espagne.
Alors qu’en France, le peintre devenu caricaturiste-reporter continua en toute liberté à dessiner et graver les misérables, les vieillards, les laissés-pour-compte… Parmi les dessins de l’Album G de Bordeaux, figurent les deux dessins numéros 48 et 49 intitulés « le Châtiment français » qui évoquent le moment dramatique de l’exécution capitale de Jean Bertain, accusé du meurtre de son beau-frère. D’un coup de crayon noir, acerbe, se profilent le prêtre avec un crucifix et les bourreaux qui entourent le condamné, notamment celui qui tient la corde qui fera tomber le couperet de la guillotine.
Pourtant, c’est bien Goya qui perdit sa tête dans son cercueil. Il avait été enterré au cimetière bordelais de la Chartreuse ; or, soixante ans plus tard, en 1888, lors de l’exhumation en présence des autorités judiciaires, le consul d’Espagne Joaquín Pereyra constata que le cercueil en bois abritait bien le squelette de Goya, mais sans tête. A la demande donc du consul, les restes de Goya furent rapatriés en Espagne en 1899, d'abord à la cathédrale de San Isidro, et plus tard, en 1919, à Saint Antoine de Floride à Madrid.
Entre temps, on apprit qu’une « vanité » intitulée « crâne de Goya » et signée du peintre Fierros aurait peut être été commandée par le marquis espagnol San Adrian en 1849. Un secret d’histoire qu’on n’a toujours pas élucidé !
« Le dernier Goya » de Maria Santos-Sainz édité chez Cairn, 206 pages illustrées de nombreux dessins, gravures noir et blanc et couleurs / 20 €.
Légendes
1 Portrait de Goya en 1826 par Vicente Lopez ] ©Mairie de Bordeaux, musée des Beaux Arts – Photo F.Deval
2 Portrait à l’huile de La laitière de Bordeaux (vers 1827) par Goya © musée du Prado
3 Dessin au crayon noir La peine capitale rendue à Jean Bertain pour meurtre de son beau-frère – place d’ Aquitaine à Bordeaux ©musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg
4 Statue de Goya à côte de l'entrée de la Cours Mably à Bordeaux réalisée par Mariano Benlliure y Gil en 1902