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Histoire
L’histoire enseignée en Europe : réflexion, discussion voire déconstruction, ou transfert de connaissances ?
L’histoire enseignée en Europe : réflexion, discussion voire déconstruction, ou transfert de connaissances ?

| Alexandre de La Cerda 1222 mots

L’histoire enseignée en Europe : réflexion, discussion voire déconstruction, ou transfert de connaissances ?

Mercredi 7 février, la Commission Culture du Sénat avait auditionné Alain Lamassoure, dont beaucoup de nos lecteurs se souviennent sans doute comme maire d’Anglet et président du District BAB ; celui qui fut également député d’Anglet-Bayonne-Bidache et successivement ministre des Affaires européennes puis ministre du Budget, député européen, préside actuellement le comité de direction de l’Observatoire de l’enseignement de l’histoire en Europe.

Le sujet était : comment enseigner l’histoire de la France et de l’Europe aux élèves et les faire devenir citoyens ?

L’occasion pour notre sénateur biarrot Max Brisson d’interroger sur « l’absence de perspective européenne dans la plupart des pays européens » en soulignant que « la demande d’histoire nationale n’était pas réductrice au chauvinisme et son retour est nécessaire pour donner un socle commun de connaissances aux élèves français. Reste à la rendre compatible avec une perspective européenne et une dimension universelle de l’histoire ».

Une interrogation fort de circonstance à l’heure où le Parlement européen votait (le 17 janvier 2024) une "résolution sur la conscience historique européenne" :
- déplore l’absence d’une approche suffisamment multiculturelle et sensible au genre dans l’enseignement de l’histoire
- reconnaît qu’il est fondamental d’examiner le passé de l’Europe à la lumière des valeurs européennes fondamentales consacrées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne, et des traditions éthiques et philosophiques qui sous-tendent ces valeurs
- considère qu’il est essentiel de lutter contre la marginalisation des femmes et d’autres groupes de la société sous-représentés dans l’histoire et invite les États membres à actualiser leurs programmes d’études et méthodes d’enseignement existants afin de faire passer l’histoire européenne et mondiale avant l’histoire nationale, et de mettre davantage l’accent sur une compréhension supranationale de l’histoire, notamment en permettant des perspectives multiples sur l’histoire et en encourageant les styles d’enseignement correspondants qui privilégient la réflexion et la discussion plutôt que le transfert de connaissances…

Et que pour sa part, le Conseil de l’Europe veut introduire « la part importante de l’islam dans l’histoire et la culture européennes » en ignorant ce qu’avait signifié la victoire de Las Navas de Tolosa remportée en 1212 grâce à l’action décisive du roi de Navarre et de ses chevaliers (l’église de Saint-Jean-Pied-de-Port fut élevée en manière d’ex-voto), voyez notre article :
https://www.baskulture.com/article/al-andalus-et-le-pays-basque-quelques-rappels-historiques-utiles-469 
et :   https://www.baskulture.com/article/de-leyre-roncevaux-et-de-las-navas-sville-la-part-dcisive-des-basques-dans-la-reconquista-sur-lislam-4141 

Voici l’intervention de Max Brisson :

Trouver le bon équilibre entre la connaissance de l'histoire de chaque pays et la connaissance de ce que nous avons en commun et en partage qui fait notre appartenance européenne et je pense que cet équilibre-là n'est pas aujourd'hui au rendez-vous, 75 ans après la création du Conseil de l'Europe (...) On peut constater que l'enseignement de l'histoire, qui court après la recherche historique, et c'est sa véritable difficulté, celle de la définition d'une histoire enseignée, que notre pays n'est plus capable aujourd'hui de fournir, alors qu'il le fit, dans le passé (...) une histoire liée actuellement à une mutation permanente et à l'élargissement des champs de la connaissance historique, et par les courants dominants - par les lunettes d'aujourd'hui avec lesquelles on regarde l'histoire (qui privilégient les minorités et le genre) en sachant que les lunettes de demain différeront de celles d'aujourd'hui...

Questions :
- comment expliquer cette absence de perspective européenne (dans l'enseignement de l'histoire) au moins parmi les "pays fondateurs", qui ont 75 ans d'histoire ?
- en France, il y a une attente dans la société, fortement exprimée dans le débat public, pour davantage d'histoire nationale : il y avait un certain nombre de repères et de socles communs qui étaient une évidence en matière d'histoire nationale (enseignée aux collégiens) il y a 30 ou 40 ans, et qui ne le sont plus aujourd'hui. Alors, comment peut-on conjuguer le retour à une histoire plus nationale avec la perspective européenne qui est nécessaire, et avec une histoire qui reste universelle ?

La réponse d’Alain Lamassoure : 

- en schématisant, au niveau universitaire, il y a deux écoles : l'histoire mondialiste de la France, tendance Boucheron, et l'histoire "Pierre Nora", nationalo-centrée mais absolument pas nationaliste, qui pousse à s'intéresser aux origines aux monuments, grands ouvrages etc. des diverses périodes de la nation française, y compris la régionalisation, mais entre les deux (écoles), il n'y a pas l'Europe ; citant la Fnac de Bayonne, Alain Lamassoure constate d'année en année qu'aucun livre n'avait trait à l'Europe alors que chaque année, en dehors des sujets "anniversaire", paraissent plus d'une cinquantaine de titres nouveaux consacrés à la deuxième guerre mondiale, dont plus de la moitié sur la Shoah, alors qu'on ne trouve rien sur l'Union européenne ni aucune biographie d'un grand Européen, car cela n'intéresse pas les éditeurs et il n'y a pas de travaux de recherche là-dessus, en particulier sur certains épisodes historiques communs antérieurs à la construction européenne.

« Croiser les regards... »

Et la recommandation d'Alain Lamassoure : plutôt que d'éditer une "histoire commune", il conviendrait de traiter quelques sujets, par exemple comment le 11 novembre 1918 a été vécu et dans les principaux pays concernés, une victoire acquise à un prix humain considérable en France alors qu'en Allemagne, cela avait été ressenti comme "un coup de poignard dans le dos". Et en Pologne, le 11 novembre était devenu une fête nationale du fait qu'elle avait reconquis son indépendance nationale, perdue depuis plus d'un siècle, alors qu'en Hongrie, cela avait abouti au traité de Trianon, avec la perte des deux-tiers du territoire et de la population. Quant à l'Espagne, on n'enseigne pas cette date puisque le pays n'avait pas participé au conflit. 
Soit, plutôt qu'élaborer un "récit commun", écouter celui de l'autre...

Rappelant également qu'au parlement européen on travaillait actuellement sur ce sujet, Alain Lamassoure recommande que : 
- tous les pays de l'Union européenne s'engagent à enseigner l'histoire (chronologique, afin de comprendre l'enchaînement des événements), ce qui n'est pas le cas pour certains d'entre eux
- tous s'engagent à enseigner l'histoire de la construction européenne : dans sa classe de Sciences-Po, pratiquement personne ne connaissait ni Konrad Adenauer parmi les Français, ni Jean Monnet parmi les étrangers !
- créer un "Erasmus" pour les professeurs d'histoire (effectuer un stage de plusieurs mois dans un pays voisin pendant la préparation du CAPES)
- introduire parmi les critères d'adhésion de nouveaux pays candidats l'obligation d'être réconciliés avec leurs voisins.
- et une proposition "explosive" à introduire dans une loi : tout citoyen français a le droit et le devoir de connaître l'histoire de France ; ça veut dire qu'il faut enseigner l'histoire (y compris pour ceux qui ne sont pas originaires de France).

Pour ma part, en conclusion, il paraît certes souhaitable de développer l'enseignement de l'histoire nationale (de la France, en restaurant l'ordre chronologique sans le faire débuter à la révolution de 1789 ou aux barricades de 1968), et sans négliger ce qui nous lie aux autres nations européennes, c'est-à-dire la civilisation gréco-latine et chrétienne (ce qui n'est pas mis en avant dans les instances européennes où l'on préfère les "déboulonnages woke" et les infiltrations islamiques)...
Mais l'on néglige complètement l'histoire de nos anciennes provinces qui avaient conservé leurs coutumes, législations, cultures, et parfois même leurs langues - jusqu'à la révolution de 1789 qui supprima tous ces particularismes qui faisaient la richesse de l'ancienne France, afin de faire naître "un homme nouveau", archétype idéal de tous les totalitarismes ! 
A quand l'introduction d'un enseignement sur la riche histoire du royaume de Navarre, de la vicomté de Béarn, de la Gascogne, etc... ?  

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