Dans le cadre des « Lundis du Patrimoine » et de « Bayonne Centre Ancien », une passionnante conférence consacrée aux « Résidences de Marianne de Neubourg » sera donnée à deux voix par Olivier Ribeton, Conservateur en Chef du Musée Basque et Vincent Bru, maire de Cambo et Conseiller Départemental, lundi 15 mai à 19 h dans l’amphithéâtre de la Chambre de Commerce.
Olivier Ribeton s’est particulièrement intéressé à Robert Gabriel Gence, « peintre ordinaire du roi », qui devint celui de la reine douairière d’Espagne exilée pendant de nombreuses années à Bayonne.
Plusieurs monuments dans notre région gardent le souvenir de Marie-Anne de Neubourg. C’était la deuxième épouse du roi Charles II d'Espagne, dernier souverain de la dynastie des Habsbourg. Après le décès de son mari en novembre 1700 à Madrid, elle avait était exilée en 1708 à Bayonne par Louis XIV qui avait placé sur le trône madrilène son petit-fils le Duc d’Anjou, lequel inaugurera le règne des Bourbons d’Espagne sous le nom de Philippe V. A Bayonne, elle vécut dans la maison construite en 1529 par la famille des Montaut dans la rue qui porte leur nom. Ce bâtiment a hélas été détruit deux siècles plus tard.
Le souvenir de Marie-Anne de Neubourg était encore lié à d’autres monuments, entre autres, à l'ancienne île des Récollets et à son couvent érigé en signe de paix entre les deux communautés riveraines et hostiles de Saint-Jean-de-Luz et Ciboure. Au début de l'année 1713, l'appartement dont l'évêque de Bayonne disposait dans ce couvent des Récollets accueillit Marie-Anne de Neubourg pendant ses séjours luziens.
Un officier de marine anglais de passage à Saint-Jean-de-Luz consigna un incident amusant dans ses "Mémoires Militaires", incident qui mit aux prises, un soir de promenade sur le pont, le petit chien "espagnol" (sans doute un perro del mar, ou caniche maritime) qui accompagnait l’officier anglais, à ceux, beaucoup plus gros, de la reine douairière d'Espagne. Au hasard d'une rencontre donc, ces derniers, arborant l'air fier et dédaigneux des cabots d'une suite royale, et sans aucune déclaration de guerre préalable, se jetèrent tous crocs dehors sur leur malheureux et modeste congénère qu'ils eussent taillé en pièces si leur maîtresse ne s'était portée au secours de l'assailli. Marie-Anne de Neubourg rappela sévèrement ses chiens qui obéirent en troquant aussitôt leur agressivité guerrière et conquérante contre une douce soumission, ce qui n'étonna guère notre mémorialiste lorsqu'il apprit qu'il s'agissait de la reine douairière d'Espagne ! Plus tard, d'autres combats plus meurtriers s'y dérouleront, le pont verra passer les colonnes de suppliciés basques sous la révolution, et le maréchal Soult le fera sauter lors de sa retraite devant les anglo-portugais de Wellington. Le XXe siècle déplacera le pont en amont de la Nivelle et rattachera l'île des Récollets à la terre luzienne.
Les eaux à Cambo
Parmi les monuments de notre région qui gardent le souvenir de Marie-Anne de Neubourg, nous pouvons encore évoquer le château de Marracq. Cet édifice avait été reconstruit par la reine exilée au début du XVIIIe siècle à partir d'une maison existante dans le style Louis XIV. Or, l’ironie de l’histoire voulut que Marie-Anne de Neubourg n'ait jamais réellement habité dans ce château de Marracq, paraît-il, à cause d’une contrariété : une dame de sa suite aurait occupé un appartement sans avoir pris ses ordres et avant que les travaux ne fussent complètement achevés. Or, moins d’un siècle plus tard, le château de Marracq sera occupé par Napoléon, précisément venu à Bayonne pour attirer dans un traquenard la dynastie des Bourbons d’Espagne et la remplacer par la sienne propre, en la personne de son frère Joseph Bonaparte, un sacré paradoxe ! En dehors de Saint-Jean-de-Luz et de Bayonne, Marie-Anne de Neubourg a sillonné la région : elle appréciait particulièrement Cambo où elle prit les eaux à maintes reprises. Les sources guérisseuses de Cambo, l'une sulfureuse, l'autre ferrugineuse, jouissaient d’une grande réputation dans tout le Sud-Ouest dès le XVIIe siècle. Marie-Anne de Neubourg dota même d’un souvenir l’église de Cambo.
Son exil à Bayonne prit fin au bout de trente-deux ans : elle finira par faire la paix avec la Cour de Madrid, obtenant l'autorisation de retourner dans la capitale des Espagnes. Et, en septembre 1738, la porte de Mousserolles, qui avait été réaménagée en 1680 par Vauban, servit de cadre aux adieux de la reine douairière d'Espagne, Marie-Anne de Neubourg, au Conseil de Ville bayonnais. D'après Ducéré, « le maire, à la tête des magistrats et de quatre-vingts jeunes gens, bien vêtus et bien montés, eut l'honneur d'adresser une harangue à la souveraine dans son carrosse, laquelle répondit par les paroles les plus flatteuses et les plus obligeantes ».
L’occasion également de citer quelques personnages qui lui furent liés : le musicien Sébastien Duron, également exilé à Bayonne à cause de la guerre de Succession espagnole (favorable aux Habsbourg). Il se mit au service de Marie-Anne de Neubourg et mourut de tuberculose à Cambo en 1716.
Quant à Robert Gabriel Gence, peintre français né à Paris et mort à Bayonne en 1728, il se mit au service de Marie-Anne de Neubourg et réalisa plusieurs portraits de la souveraine, dont l'un daté de 1715, a été acquis il y a quelques années par le Musée Basque. Un autre portrait de la princesse est conservé à Versailles.
Un autre personnage qui côtoya la souveraine était lié au domaine de Lauga, voisin du château de Marracq : il s’agit de Pierre Fourcade (1669–1748). Ce marchand duranguier, c’est à dire fabricant de mandils (manteaux de laine), exerça de 1706 à 1738 les fonctions honorifiques d’officier du gobelet à la cour de Marie-Anne de Neubourg. Pierre Fourcade fut également échevin de la ville, armateur, et acquit en 1721 le domaine de Lauga. Son père Jean Fourcade, originaire de Morlanne dans le Béarn, s’était installé à Bayonne comme garde du Duc de Gramont et habitait avec sa famille dans la Tour de Sault.
Marie-Anne de Neubourg reçut également de nombreuses visites à Bayonne. En 1721, Saint Simon, ambassadeur spécial, en route pour Madrid, lui présenta des lettres du jeune Louis XV et du Régent, le duc d'Orléans, et nota dans ses Mémoires l'état de pauvreté de la douairière. Lorsqu’elle retourna en Espagne, déjà âgée et malade, la reine s'installa dans le Palais de l'Infant à Guadalajara, où elle mourut le 16 juillet 1740 et fut enterrée à l'Escurial. Elle a été mise en scène par Victor Hugo dans son drame romantique Ruy Blas.
Alexandre de La Cerda