Août 1992. Heillange bourg de la « vallée de la Henne » en Moselle (Lorraine). Anthony (Paul Kircher) un adolescent de 14 ans s’ennuie avec son cousin (Louis Memmi), au bord d’un lac pollué. Par désœuvrement, ils décident de gagner l’autre rive, plus agréable, là où bronzent « les culs nus ». Au centre de loisirs, ils volent un canoé afin de traverser l’étendue d’eau ; ils sont poursuivis par des membres du club en colère.
Les deux garçons réussissent s’échapper et débarquent non loin d’un ponton où deux jeunes filles, en bikini, se prélassent au soleil. Intéressés, ils les rejoignent à la nage.
Les deux adolescentes, Stéphanie (Angelina Woreth) et Clémence (Anouk Villemin) les accueillent volontiers. Une discussion amicale s’engage à propos de tout et de rien. Le quatuor flirte gentiment.
Anthony timide, maladroit, est immédiatement séduit par Stéphanie, une jeune fille de famille bourgeoise. Les deux copines invitent les garçons à une fête qui aura lieu le soir même, autour d’une piscine dans un quartier chic, de la ville d’à côté. Surpris, ils acceptent avec empressement.
Comment s’y rendre ? Anthony hésite, puis sous la pression de son cousin, emprunte la moto de collection de son père, une Yamaha YZ, que ce dernier entretien avec ferveur. Anthony habite une maisonnette à étage : c’est un enfant unique couvé par sa mère Hélène (Ludivine Sagnier), et quelque peu rudoyé par son père Patrick (Gilles Lellouche). Le couple se déchire sans cesse à propos de tout. C’est une famille dysfonctionnelle au bord de la rupture. Patrick, homme entier, physique, ne cesse de faire des reproches à sa femme et à son fils.
Anthony et son cousin, issus de la classe ouvrière, s’échappent en moto afin de rejoindre la fête nocturne chez « les bourgeois ». Elle bat son plein. Ils s’y fondent tant bien que mal. Dans la nuit, près de la piscine, surgit une altercation : deux adolescents maghrébins, Hacine (Sayyid El Alami) et son ami Kader (Bilel Chegrani), tentent en vain d’intégrer la party. Ils sont rejetés sans ménagement. Antony, proche de l’endroit de l’altercation, fait un croche-pied à Hacine lequel chute lourdement. Furieux de ce geste, faisant face à Antony, il promet de se venger.
Au petit jour, à la fin de la fête, Anthony et son cousin décident de rentrer. La moto de collection a disparu. Anthony paniqué craint la réaction violente de son père. Il confie ses angoisses à sa mère…
Leurs enfants après eux est le quatrième long métrage des frères jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma (32 ans) adapté du best-seller éponyme de Nicolas Mathieu prix Goncourt 2018 (éditeur Actes Sud) et grand succès de librairie (500.000 exemplaires vendus, traduit en 20 langues !).
Le scénario a été écrit par les frères Boukherma en toute liberté sans intervention du romancier. Le cinéma et la littérature sont deux arts distincts chacun possédant son propre langage : le premier par l’image et le son nous « condamne » au concret ; le second par l’écriture nous « ouvre » les territoires de l’imaginaire. Les transferts de l’écrit à l’image exécutés par des littérateurs s’avèrent, dans nombres de cas, catastrophiques. Il n’y a pas de récit cinématographique sans trahison du verbe. Lucide, Nicolas Mathieu déclare : « En général, mon implication se situe plutôt dans le choix de qui peut adapter le livre, de la société de production à la réalisation. Le cinéma, c’est un peu le piège pour un écrivain, l’histoire de ma vie, c’est d’écrire des livres ». Sage décision !
Le long métrage (2h21’) des frères Boukherma, tout comme le roman, traite de l’impact de la désindustrialisation sur la classe ouvrière de l’Est de la France. L’histoire d’Anthony se déroule sur 6 ans, de 1992 à 1998 (finale de la coupe du monde de football), structurée en quatre chapitres, chacun couvrant 2 années.
Nous assistons à l’évolution des personnages principaux : Antony, Angelina, Hacine, le couple Hélène et Patrick, immergés dans leur environnement affectif, culturel, professionnel, sur fond de délabrement industriel de la région. Les hauts fourneaux sont des cathédrales d’acier désertées, sans vie, à l’abandon.
Leurs enfants après eux aurait pu être un de ces film sociaux cher aux frères Dardenne (Jean-Pierre et Luc), un poil misérabiliste, consensuel, fabriqué à la hâte caméra sur l’épaule en format 4/3. Il n’en est fort heureusement rien ! Les frères Boukherma ont choisi un écran large (format cinémascope), une belle image (photographie Augustin Barbaroux) et une bande son (B.O) remarquable notamment les chansons des années 90.
La musique originale de Amaury Chabauty est renforcée par des chanteurs tels que Bruce Springsteen, Johnny Hallyday (1943/2017), Francis Cabrel, Florent Pagny, etc. Le budget confortable de 12 millions € est à la mesure du projet : description de la France périphérique, délaissée, avant l’arrivée des nouvelles technologies (informatiques, communications). Cette France-là, désœuvrée, accablée, sans espoir, s’ennuie.
A l’évidence, les références cinématographiques (style narratif) de Leurs enfants après eux des frères Boukherma parviennent de leurs aînés américains : Michael Cimino (Voyage au bout de l’enfer - 1978), Martin Scorsese (Taxi Driver - 1976), Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood -2007), Jeff Nichols (Mud : Sur les rives du Mississipi - 2012). Leur mise en scène (mix image/son) impeccable en est inspirée. De surcroît, la direction d’acteur (jeu, décors, cadre, etc.) est en tout point remarquable. Les interprétations de Paul Kircher (Antony), Angelina Woreth (Stéphanie), Sayyid El Alami (Hacine) et Gilles Lellouche (Patrick) sont à souligner.
Leurs enfants après eux a été présente en compétition officielle à la Mostra de Venise 2024. Paul Kircher a été récompense par le Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir.