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Critique de Cinéma
Les Promesses (98’) - Film français de Thomas Kruithof
Les Promesses (98’) - Film français de Thomas Kruithof

| Jean-Louis Requena 857 mots

Les Promesses (98’) - Film français de Thomas Kruithof

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"Les Promesses" de Thomas Kruithof ©
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Thomas Kruithof à la Mostra de Venise ©
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Clémence Collombet (Isabelle Huppert) est la mairesse d’une importante commune de Seine Saint-Denis, département de l’Est parisien (93). C’est une battante qui achève son deuxième mandat au poste de premier édile. Elle a promis de ne pas se présenter pour une troisième élection afin de laisser son poste à sa première adjointe, Naidra (Naidra Ayadi) qu’elle juge compétente. Son entourage est sous le charme de cette femme volontaire, courageuse, qui va arrêter la politique pour reprendre, semble-t-il, son ancien métier de médecin. Son efficace et attentionné directeur de cabinet, Yazid Jabbi (Reda Kateb), approuve cette décision.

Dans cette perspective, Clémence souhaiterait régler un épineux problème avant de se retirer : l’insalubrité du quartier des Bernardins. Ses « barres » d’immeubles sont en totale décrépitude. Certains logements insalubres, vides de leurs occupants, sont aussitôt achetés par des « marchands de sommeil ». Un solitaire, propriétaire de son appartement, Michel Kupka (Jean-Paul Bordes) milite depuis des lustres pour une intervention de l’Etat afin de réhabiliter les logements. Connu des services de la mairie, il est en guerre contre elle : il a pris la tête d’une association d’habitants de la cité des Bernardins afin de bloquer le paiement des charges de copropriété puisqu’aucune réparation n’est effectuée.

Clémence et Yazid, son ingénieux « dircab », ont monté un ambitieux dossier de réhabilitation du quartier des Bernardins qu’ils présentent à la commission du Grand Paris dirigé par Jérôme Narvaux (Laurent Poitrenaux), un ami de la mairesse. Coût estimé de l’opération : 63 millions € ! Pour déverrouiller le dossier, il faut au préalable régler le montant des charges en souffrance… Le temps presse, c’est un parcours d’obstacles !

Pour accélérer le processus de décision des instances gouvernementales, Clémence et Yazid ont alors une idée : attaquer Chaumette, le syndic de copropriété, lors d’une réunion en mairie des habitants de la cité. Dans le feu de son discours, devant l’assemblée méfiante, rétive, Clémence fait la promesse de régler le problème rapidement après avoir fait chasser Chaumette.

Dans la salle, les représentants des « marchands de sommeil » veillent …

Contrairement à une croyance répandue, le cinéma français produit depuis toujours de nombreux longs métrages que l’on pourrait qualifier de politiques dans le sens large du terme (drame, policier, suspense, etc.). Le plus souvent, ces œuvres sont des « documentaires » (faux vrai ou vrai faux) autour de personnalités politiques d’envergure nationale, complaisants ou à charge. Dans ce registre particulier, mais encombré d’œuvres cinématographiques d’intérêts divers, surnage l’extraordinaire documentaire réalisé par Raymond Depardon (caméra 16 mm, image noir et blanc, son direct) sur Valéry Giscard d’Estaing (1926/2020) à sa demande et financé par le futur président : 1974, Une partie de campagne (90’) qui n’a été diffusé qu’en… 2002. Dès le visionnage du premier montage, le candidat devenu entre-temps président de la République, a compris la force des images enregistrées et les a celées, en tant que propriétaire, durant … 28 ans !

C’est donc vers la fiction, autour de grands personnages, que nous trouverons des films politiques intéressants : Le Promeneur du Champs de Mars (2005) de Robert Guédiguian sur le président François Mitterrand en fin de mandat ; La Conquête (2011) de Xavier Durringer sur la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007. Enfin, L’Exercice de l’Etat (2011) de Pierre Schoeller sur les relations complexes entre le ministre des transports (Olivier Gourmet) et son directeur de cabinet (Michel Blanc). Ce long métrage salué unanimement par la critique moissonna trois récompenses à la 37ème cérémonie des César : meilleur acteur pour un second rôle (Michel Blanc), meilleur scénario original (Pierre Schoeller), meilleur son (Olivier Hespel).

Les Promesses reprennent le concept des relations complexes entre une décideuse, la mairesse d’une commune populaire (Isabelle Huppert), et son directeur de cabinet (Reda Kateb) issu du quartier défavorisé des Bernardins mais arrivé à ce poste important grâce à des études supérieures (méritocratie républicaine !). Tous deux ont une parfaite connaissance de leurs concitoyens qu’ils respectent et défendent face aux grands corps de l’état, éloignés des réalités quotidiennes du terrain. Tous deux sont courtisés par leur parti politique.

Résisteront-ils aux promotions mirifiques dont ils font l’objet ?

Les Promesses au scénario précis, implacable, coécrit par Thomas Kruithof et Jean-Baptiste Delafon (série télévisée le Baron Noir) montre les difficultés journalières à gérer une ville, loin des clichés habituels, accolés, par convenance ou paresse, aux élus. Le film décrit un travail quotidien harassant dans le but de satisfaire au mieux, dans une forêt d’obstacles (administratifs, juridiques, relationnels, etc.), les habitants, quels que soient leurs niveaux sociaux, leurs origines. Bien entendu, cela ne va pas sans quelques manœuvres dilatoires et promesses imprudentes …

Le couple décisionnaire, opérationnel, formé par Isabelle Huppert (Clémence Collombet, la mairesse) à la filmographie impressionnante (130 films depuis 1972 !) et Reda Kateb (Yazid Jabbi, le dircab) est en tout point remarquable : leurs jeux en « ping-pong », tout en nuances, sans pesanteur, nous économisent de longues tirades explicatives. Leur tandem, même désaccordé, est dans l’action : ne jamais baisser les bras devant l’adversité, qu’elle soit diffuse ou identifiée.

Avec Les Promesses, Thomas Kruithof a réussi un film politique dans la même veine descriptive que celui de Pierre Schoeller, L’Exercice de l’Etat (2011), ce qui n’est pas un mince compliment.

Les Promesses ont été sélectionné à la Mostra de Venise 2021, section Orizzonti.

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