Des parcours lumineux sur les cartes interactives du métro parisien. Paris est en fête. Des passants exaltés, des voitures hérissées de drapeaux tricolores, parcourent les rues de la capitale à grand renfort de chants, de cris de joie : nous sommes le 10 mai 1981. Pour la première fois après 23 ans d’opposition, sous la Vème République, la gauche accède au pouvoir : François Mitterrand est élu Président de la République ! Une jeune provinciale, brune aux longs cheveux, portant un lourd sac à dos, Talulah (Noée Abita), arrive dans la capitale en liesse.
Paris XVème arrondissement, quartier de Beaugrenelle, en Front de Seine. Élisabeth (Charlotte Gainsbourg) vit avec sa fille ainée, Judith (Megan Northam) et son fils Mathias (Quito Rayon Richter) dans un grand appartement d’une des tours de ce quartier résidentiel. Élisabeth est déprimée : son mari vient de la quitter pour une jeunette. Elle n’a jamais travaillé et n’a plus le sou pour vivre dans cet appartement car son ex-mari ne lui verse aucun subside. Seul son père Jean (Didier Sandre), lui offre une aide pécuniaire. Elle doit trouver un emploi de toute urgence, même mal rémunéré. Après une tentative malheureuse d’un jour, devenue insomniaque, elle s’arme de courage pour traverser la Seine et rencontrer ainsi, au début de la nuit, à la Maison de la Radio, Vanda Dorval (Emmanuel Béart) qui anime une émission de radio nocturne (modèle radiophonique : Les choses de la nuit de Jean-Charles Aschero de 1976 à 1996). Après un bref entretien, Vanda l’engage comme standardiste de son émission : il s’agit pour Élisabeth de filtrer les appels avant de les basculer à Vanda en direct sur l’antenne. Élisabeth s’acquitte bien de ce travail. Dans le cadre de cette émission, elle rencontre Talulah qui zone, dans un total dénuement, près de La Maison de la Radio.
Élisabeth installe provisoirement Talulah dans une chambre de bonne dans son immeuble. Talulah vient prendre ses douches dans l’appartement de la famille. Très vite, elle sympathise avec les deux enfants d’Élisabeth : Judith et surtout Matthias qui est attiré par elle … Tous trois joyeux sortent ensemble. Ils vont dans un cinéma de quartier ou ils visionnent par accident, Les Nuits de la pleine lune (1984) d’Éric Rohmer (1920/2010), film ou l’actrice principale Pascale Ogier (1958/1984) a une ressemblance troublante avec Talulah (apparence physique et phrasé).
Élisabeth de son côté cumule un second emploi : elle travaille l’après-midi à l’accueil de la bibliothèque municipale de Beaugrenelle. Elle semble avoir repris goût à la vie …
Les années passent : les enfants grandissent … Talulah disparait de l’univers familial.
Les Passagers de la nuit (111’) est le quatrième long métrage de Mikhaël Hers (47 ans), quatre ans après son précédent opus qui nous avait tant émus, Amanda (2018), histoire d’une petite fille, Amanda (Isaure Multrier) devenue subitement orpheline après la brutale disparition de sa mère lors d’un attentat terroriste. Elle est recueillie par un oncle David (Vincent Lacoste) compatissant après quelques atermoiements. Les Passagers de la nuit a une structure narrative proche : un récit a deux têtes ; Élisabeth la mère en reconstruction après un échec matrimonial, son fils Matthias en formation, tout comme la jeune Amanda en résilience et David en prise de responsabilité. Les deux œuvres se répondent par leur forme (un récit dualiste) et par le fond (une lente reconstruction psychologique après un échec).
Le récit des Passagers de la nuit s’étale sur une durée d’un septennat, de 1981 (première élection de François Mitterrand) à sa réélection en 1988. Dans ce grand appartement décoré au gout d’alors (dominante d’orange et de marron !), lieu moteur de la vie familiale et sentimentale, de nombreux évènements surviennent aux personnages principaux : Élisabeth la mère aimante, Matthias le fils en recherche d’écriture, Judith la militante politique, Talulah la vagabonde paumée, auxquels viennent s’agréger d’autres personnages comme aimantés par ce premier cercle.
A nouveau, Mikhaël Hers nous propose un film surprenant, non programmatique (le piège régulier du genre « drame familial ») qui nous enlace dans les rets de son scénario co-écrit avec Maud Ameline. Tout est toujours possible, les personnages cherchent à tâtons leurs propres destins entre une réalité imposée et leurs désirs inassouvis. Le metteur en scène et son directeur de la photographie attitré, Sébastien Buchmann, parviennent à nous forger ces ressentis par la grâce de quelque « scènes inutiles » qui parsèment l’histoire : Élisabeth fumant a l’encoignure d’une grande baie vitrée en chantonnant ; la même Élisabeth et son fils Matthias sur une moto, etc. ; scènes de « temps morts » cinématographiquement parlant, ponctuant le déroulé du récit tout en l’enrichissant.
Dans Les Passagers de la nuit, Charlotte Gainsbourg (50 ans) interprète avec brio, une mère aimante, (Élisabeth) à la fois fragile et forte que rien en définitive ne semble entamer. C’est dans son impressionnante filmographie (60 films depuis Paroles et Musique - 1984 - d’Elie Chouraqui), l’un de ses meilleurs rôles.
Les Passagers de la nuit ont été retenu dans la sélection officielle de la Berlinale 2022.