Nous avions évoqué la semaine dernière « le Vent du Sud qui donne toute sa valeur au paysage, l'illuminant et le découpant en gros plans puissamment colorés, au dessin net, presque excessif : il porte aussi sur son aile la migration des palombes, poésie du ciel et fièvre bleue des cols de la montagne basque » ! Une migration qui a débuté cette semaine : le comptage des palombes, sur ces deux derniers jours (mardi et mercredi), par bonnes conditions atmosphériques a dénombré :
- à Arnéguy, 66 vols et 3.325 palombes
- à Banca, 24 vols et 537 palombes
- à Sare, 37 vols et 754 palombes.
Les palombes en chansons
« Urzo churia, errazu… » Palombe blanche, dîtes, avant de franchir les cols enneigés d’Espagne, votre auberge du soir, dans notre maison vous l’avez ! Cette chanson si populaire au Pays Basque, qui a franchi les mers jusqu’en Amérique et au-delà, se fredonnait d’ailleurs sur un air commun au folklore traditionnel français, en vertu d’un vagabondage musical qui a toujours ignoré les frontières. Mais le folklore basque recèle beaucoup d’autres pièces inspirées par la fièvre bleue qui ont été relevées par le musicologue Charles Bordes ou Jean de Jaurgain dans ses « Légendes poétiques du Pays de Soule ». Depuis cette palombe blanche marquée de quelque esprit satyrique qui « a perdu ses plaisirs a Arhansus » (où se trouvait une chasse anciennement), celle au plumage gris et aux pieds jaunes venue de Catalogne qui s’est arrêtée à Pagolle avec ses effets (« Urzo-bat jin izanda »), jusqu’à la pauvre palombe grise de Mus de Sarri, « Urzo lüma gris gachua » : à propos de la mésaventure galante de l’abbé de Sarry (un bâtard de la célèbre maison de Trois-Villes) au XVIIIe siècle, il y est question de « l’Anglais qui entre en France » et du duc Louis de Gramont, vice-roi de Navarre, maire et capitaine-général de Bayonne qui fut tué en 1745 à la bataille de Fontenoy…
En salmis, flambées ou rôties
De tout temps grives, perdreaux, cailles, coqs et poules de bruyère, tourterelles, râles des genêts, bécassines des marais d’Urt, outarde grise ou poule millière (que l’on farcissait de foie gras) et toute la sauvagine (sarcelles, pluviers, canards) enchantent les palais les plus délicats.
Mais c’est sans doute la palombe rôtie ou en salmis qui fournit l’un des mets les plus appréciés du Pays Basque. Comment est-elle venue dans nos assiettes ? A Sare, comme sur les autres cols du Pays Basque, son mode de chasse ancestral consistant à rabattre dans un filet, sans les blesser, des oiseaux volant à 150 km/h, plonge ses racines dans la légende de Roncevaux et attirait déjà Henri IV. Et les révolutionnaires allèrent même jusqu’à transformer le nom de Sare en « Palombière » !
Avec la Soule, la Basse-Navarre a toujours conservé le privilège de quelques préparations authentiques du terroir, et certains gourmets se souviendront encore du regretté Dominique Dindart à Saint-Palais et de son fameux « cône à palombe ». Il vidait d’abord l’animal tout en gardant le foie et le cœur pour concevoir la farce qu’il servait sur des croûtons ou des canapés. La palombe était d’abord rôtie quelques minutes à four très chaud de façon à en ressortir saignante.
Ensuite, il la flambait au lard avec le fameux cône en fer blanc à manche (nommé « flamboire ») qu’il faisait rougir au feu. Dominique Dindart mettait dans ce cône du lard blanc fumé et achevait la cuisson en faisant couler goutte à goutte sur la palombe ce lard fumé qui lui donne un goût si spécial. Quant au salmis, en voici la recette telle que la confiait il y a une quinzaine d’années Jeanne Sahastume, une etxekandre (maîtresse de maison) émérite de Sare : « faire revenir les palombes dans de l’huile d’olive (10 minutes, jusqu’à ce qu ‘elles soient dorées) puis les flamber dans un faitout ou cocotte. Faire revenir des oignons, de l’ail, du xingar (jambon de pays). On peut y ajouter des champignons. A part, dans une poêle, lier la sauce avec de la farine. Faire bouillir un litre de vin rouge corsé par palombe et faire flamber. Ajouter ce vin dans la poêle contenant xingar et légumes. Couvrir avec ce vin tout en y ajoutant un bouquet garni (thym, persil…).Mettre ½ verre de Porto, de vin costaud ou quelques carrés de chocolat noir. Laisser mijoter 2 heures. Servir sur des croûtons » (extrait de mon livre « Les secrets de la cuisine basque » paru chez Atlantica).
Où trouver des palombes actuellement ? Sur la côte, Xabi Ibarboure en apprête deux filets sous deux façons : un filet rosé à la goutte de sang et flambé à l’armagnac, alors que l’autre est confit avec une farce composée de foie gras, truffes, foie de volaille et cèpes, le tout servi avec une purée de pommes de terre et de jambon de Bigorre / On peut également y savourer le lièvre à la Royale, des perdrix et des grouses d’Ecosse (Table des Frères Ibarboure à Bidart, tél. 05 59 54 81 64, fermeture lundi et mercredi). Jean-Claude Tellechea prépare également d'exquises palombes rôties dans sa belle Auberge du Cheval Blanc à Bayonne, près de l'église Saint-André (fermé le samedi midi, le dimanche soir et le lundi toute la journée) 68, r Bourgneuf, tél. 05 59 59 01 33 ou http://www.cheval-blanc-bayonne.com/). A recommander celle, rôtie également, et très riche en saveur qu’apprête Philippe Lafargue (dès que les palombes paraissent) : lardée, elle est présentée sur son canapé au foie gras – que l’on nomme « rôti » dans les Landes – (Restaurant chez Philippe, 30 av. Lac Marion à Biarritz, tél. 05 59 23 13 12, fermé le mercredi).
Depuis quelques décennies, les restaurateurs de Saint-Palais se sont spécialisés dans une de ses recettes les plus authentiques, dont Jean Biscaylus avec son fameux « capucin » fut le pionnier au Trinquet qu’il avait repris de son constructeur, Frédéric de Saint-Jayme. Depuis lors, quatre générations se sont employées à perpétuer la tradition de cette merveille de la gastronomie basque et actuellement, son arrière-petit-fils Andde Salaberry : les premières palombes venant de faire irruption dans le ciel basque, la saison pourrait débuter d’ici une semaine (restaurant du Trinquet, 31 rue du Jeu de Paume, tél. 05 59 65 73 13). Par ailleurs, le restaurant Lafitte les flambe également (35 rue Thiers, tél. 05 59 65 70 96). A Garris, depuis la fermeture de « Hauzteya », le restaurant Portalenia les flambe sur demande (tél. 05 59 65 74 23).
On regrettera la disparition – il y a bien des années, à cause des imbéciles réglementations européennes – des réputées « Palomeras Usategui » d’Etxalar (col de Lizarrieta après Sare) où Marie Esther Berroueta nous comblait avec ses palombes et sangliers en salmis, mais le restaurant Gurutze Berri à Oyartzun (près d’Irun) a repris ses menus de chasse avec les extraordinaires préparations de gibier nappées de sauces authentiques comme on n’en trouve plus nulle part (fermé le lundi, tél. 00 34 – 943 49 06 25).
Principales manifestations en lien avec les palombes :
- Fête de la palombe à Ainhoa, dimanche 21 octobre :
Toute la journée, de 9 h 30 à 18 h : Marché des producteurs fermiers, artisans d'art, créateurs.
Sculpture sur pierre et bois. Gravure sur verre et fabrication de cordes de piments d'Espelette. Jeu du jambon de Pierre Oteiza. Promenade en calèche dans le village. Taloa - Buvette. Ateliers pour les enfants. Animations
- Semaine de la Palombe - Usoaren Astea à Sare, du 21 au 26 octobre :
Dimanche 21 à 12h défilé de la Confrérie de la Palombe sur la place - Lundi 22 à 18h partie de Pelote à Main Nue au fronton - Mardi 23 à 18h30 Force Basque sur la place - Mercredi 24 et vendredi 26 à 11h visite de la Palombière (inscription et RDV au Bureau d'Accueil Touristique de Sare) - Jeudi 25 à 10h visite de l'église et du clocher (inscription et RDV au Bureau d'Accueil Touristique de Sare), et à 19h concert de chants basques avec le groupe Erlauntza à l'église - Vendredi 26 marché de producteurs à partir de 16h30 sur la place. Palombe à déguster dans de nombreux restaurants de Sare : Arraya, Baketu, Baratxartea, Halty, Lastiry, Olhabidea, Pikassaria, Pleka et Urtxola.
Infos et/ou réservations : BAT Sare tél. 05 59 54 20 14
- La Capucinade de Saint-Palais, la fête de la palombe flambée : le samedi 3 novembre à 19h, les chefs de Saint-Palais flambent les palombes au capucin autour d'un barbecue géant. Restauration sur place.