Helsinki, Finlande. Ansa (Alma Pöysti), célibataire, la quarantaine, est employée dans un supermarché. Son travail consiste à retirer des étalages les produits dont la date de péremption est dépassée et de les évacuer dans une benne à déchets prévue à cet effet. Elle s’acquitte de sa tâche sans enthousiasme d’autant qu’elle a contracté un « contrat zéro » : elle peut être licenciée à tout instant, sans préavis et sans dédommagement.
Ansa est à la merci de « petits chefs », sous surveillance permanente. Son activité professionnelle quotidienne est débilitante. Tous les soirs elle rejoint son petit appartement froid, sommairement meublé. Pour contrecarrer sa solitude elle allume la radio : les nouvelles de la guerre en Ukraine sont égrenées en continu …
Holappa (Jussi Vatanen) solitaire, la quarantaine, est également soumis à un « contrat zéro ». Ses conditions de travail sur divers chantiers sont très difficiles. Il habite dans un logement exigu, surpeuplé, qu’il loue avec d’autres travailleurs, à un marchand de sommeil. Pour oublier sa déchéance, il boit plus que de raison.
Son existence de prolétaire s’avère sans avenir. Certains soirs, il rejoint son ami Huotari (Janne Hyytiäinen) dans un café où tour à tour, ils se livrent à un exercice de karaoké. Ansa et son amie Liisa (Nuppu Koivu) assistent à leurs prestations vocales quelques peu alcoolisées.
Ansa est licenciée pour avoir pris un fromage, pourtant retiré des rayonnages, et le celer pour son repas. Dénoncé par un vigile, elle est démise sur le champ de ses fonctions, malgré ses protestations. Holappa est également exclu d’un chantier de construction après un contrôle d’alcoolémie positif.
Les deux chômeurs, prolétaires désemparés dans la ville froide et brumeuse d’Helsinki se connaissent de vue, au gré de rencontres fortuites …
Les Feuilles mortes est le 21ème long métrage du réalisateur finlandais Aki Kaurismäki (66 ans) lequel assure que ce sera son ultime opus. C’est un personnage étonnant qui avait déjà pris sa retraite ( ?) en dénigrant sa filmographie par ces mots : « Même si j’ai acquis aujourd’hui une notoriété douteuse grâce à des films plutôt violents et inutiles, mon angoisse face à des guerres vaines et criminelles m’a conduit à écrire une histoire sur ce qui pourrait offrir un avenir à l’humanité : le désir d’amour, la solidarité, le respect et l’espoir en l’autre ».
A ce jour, Les Feuilles mortes clôt (en principe !) sa tétralogie du prolétariat : Ombres au paradis (1986), Ariel (1988), La Fille aux allumettes (1990) œuvre qui nous a fait découvrir son cinéma si particulier. Aki Kaurismäki, ancien critique, cinéphile averti a beaucoup fréquenté la cinémathèque d’Helsinki : ses œuvres en sont imprégnées, mais sans ostentation, ni citations littérales. Son univers cinématographique, gravite singulièrement autour de la Nouvelle Vague française (Jean-Luc Godard 1930/2022).
Dans son dernier opus, Ansa et Holappa devisent, à la sortie d’un cinéma, le Ritz ( !), devant des affiches de films célèbres : Brève rencontre (1945) de l’anglais David Lean (1908/1991), Godzilla (1954) du japonais Ishiro Honda (1911/1993), Rocco et ses frères (1960) de l’italien Luchino Visconti (1906/1976), Le Mépris (1963) et Pierrot le fou (1965) du franco-suisse Jean-Luc Godard (1930/2022).
Ces citations picturales, indirectes, en apparence indifférentes au couple en devenir (ou non), nous éclairent sur les intentions (dissimulées !) du réalisateur. L’humour de ce dernier est affiché !
Les personnages dans l’œuvre de Aki Kaurismäki, toujours peu nombreux, apparaissent comme détachés du monde, avec leurs visages impassibles, sans émotions apparentes. Cependant ils demeurent ancrés dans le monde réel (capitalistique), victimes sans révoltes, soumis à l’oppression de leur environnement (écosystème). Ils y semblent tout à la fois dedans et dehors comme imprégnés d’émotions brutes qui les dépassent en les anesthésiant, mais en profondeur, pétris d’une colère froide.
Le réalisateur, par ailleurs scénariste, enregistre toujours ses acteurs frontalement (plan américain ou plan moyen) avec une palette chromatique large mais sans éclat, dans un décor intérieur neutre d’une grande banalité.
Soulignons l’excellent travail du directeur de la photo Timo Salminen (66 ans), son complice de toujours, avec lequel il ne filme qu’avec une pellicule 35 mm (format 1.85 :1) rejetant les dispositifs numériques. L’écriture visuelle de Aki Kurismäki est à la fois économe, sans effets « hollywoodiens », presque anti cinématographique et cependant très composé : chaque plan résulte d’un minutieux travail de mise en place (acteurs, décors, cadrage), exempt de tous mouvements d’appareil (travellings, grues, etc.).
Aki Kaurismäki est un cinéaste très apprécié dans les festivals : son film le Havre (2011) réalisé en France, dans la ville maritime du même nom, avec des acteurs français (André Wilms, Jean-Pierre Darroussin, etc.) a obtenu le prix Louis-Delluc 2011, et le César 2012 du meilleur réalisateur !
Les Feuilles mortes projeté au dernier festival de Cannes en sélection officielle a obtenu le Prix de jury présidé par le suédois Ruben Östlund (The Square, Sans filtre, deux Palmes d’or dans ce festival).