Les nombreuses sources du Pays Basque alimentent la légende et nourrissent des espoirs de guérison ou des projets de production d’eau minérale.
L’eau est présente partout au Pays Basque, et sa valeur est magique depuis les rivières souterraines qui ont procuré son abri à l’homme préhistorique de Sare ou d’Isturitz et fourni leur décor aux ébats des sorcières à Zugarramurdi, débordant même dans les Landes voisines pour donner un nom à la propriété de l’ancien chef d’Etat François Mitterrand (« Latché », de latxia, le ruisseau en euskera). Les Laminak, petits êtres de la mythologie basque, y puisaient leurs forces nocturnes et, selon la légende, un berger blessé par une chute violente sur le Mondarrain apaisa sa fièvre en buvant à la source des futurs thermes de Cambo. « Depuis, tous les matins de Saint-Jean, on dansait autour de la source » rapporte Mme Gil Reicher dans son ouvrage consacré aux « Légendes basques ». Quant à la fontaine de Saint-Léon, elle jaillit à l’endroit même où le premier évêque de Bayonne ramassa sa tête après avoir été décapité par les Normands ; quelques siècles plus tard et non loin de là, sur les bords marécageux de la Nive, la fontaine de Lissague à Villefranque vit l’héroïque combat du chevalier de Belzunce contre un « dragon » qui terrorisait la population alentour et dont les têtes continuent de figurer dans le blason de la ville de Saint-Pierre d’Irube. A l’aplomb des falaises de l’Artzamendi près de Bidarray, dans un ravin de cascatelles dégringolant au milieu d’une végétation luxuriante et sous le regard acéré des énormes vautours qui tournoient inlassablement, l’eau de la grotte de « Harpeko saindua », le saint qui sue, continue d’alimenter un véritable pèlerinage bien antérieur au christianisme pour guérir des affections de la peau : il faut frotter la stalactite du « saint » pétrifié avec un mouchoir qui s’imprègne de l’eau qui en suinte pour l’appliquer sur la partie malade, puis s’en débarrasser sur place.
Les nitrates altèrent les sources
Le culte populaire des sources est encore très vivant au Pays Basque et procède de la survivance du génie païen des eaux associé au souvenir religieux des pèlerins de Saint-Jacques qui aimaient à se désaltérer le long des chemins vers Compostelle. La source « Legen Ithuria » jaillit à proximité de Sumberraute, entre Bidache et Saint-Palais, pour guérir du herpès circiné – en basque, legena – provoqué par des champions parasites, communs aux animaux et à l’homme : après une prière et l’application de l’eau de la source, le patient terminait son pieux exercice par la confection d’une croix et le jet d’une pièce de monnaie dans la vasque à l’intention des pauvres. Plus loin, la voie jacobite réservait au voyageur le réconfort des fontaines et des sources de Harambeltz et d’Ostabat, celle d’Arros contre la coqueluche et celle d’Urrutia à Saint-Jean-le-Vieux qui protégeait les enfants de la rougeole. En Soule, les vertus curatives de la fontaine Saint-Jean à Mauléon ne le disputent qu’à celles de Barcus où un établissement de bains s’établit, ou celles de Gentaina propices aux maladies des yeux.
Depuis Aussurucq, où veillent les deux belles et massives tours du XVe siècle du château d’Urrutia (ou de Ruthie), la route mène à travers la splendide forêt de hêtres du massif des Arbailles (qui recèle des grottes avec des peintures magdaléniennes) aux pâturages d’Ahusquy où coule la célèbre eau de source réputée guérir « les affections de la vessie, les fièvres intermittentes, l’atonie des organes digestifs et les aberrations du système nerveux » : Jean Cocteau y avait séjourné en 1919 (Auberge d’Ahusquy, tél. 05 59 28 57 95).
Et en Labourd, on amenait à la fontaine proche de la chapelle Saint-Sauveur de Jatxou les enfants retardés pour la parole ou la marche. Mais en plaine ou sur la côte, l’agriculture intensive a chargé en nitrates les plus célèbres sources de Bidart. Quel est l’habitant de la côte basque qui ne s’était rendu à Notre-Dame d’Uronea (la « bonne eau »), témoin au début du XVIIIe siècle des pélerinages des Angloys décimés par la peste ? Il y a quelques années encore, on voyait la queue se former, avec bidons et bouteilles, devant la « Source royale de Contresta » (en contrebas du rond-point d’Intermarché, vers Bassilour). Hélas, elle a été – on espère, provisoirement – déclarée impropre à la consommation par les pharmaciens voisins qui en vérifient régulièrement les vertus potables et la qualité chimique.
La solution ne viendrait-elle pas de l’extraordinaire découverte d’un ingénieur des eaux retraité, Peyo Petit, fils de l’ancien maire de Biarritz ? Sa « pierre d’eau vive », dont nous aurons l’occasion de reparler, régénère en quelque sorte l’eau !
Sans oublier l’eau d’Urepel dans la vallée de Baïgorry, « d’une pureté exceptionnelle, sans aucun nitrate, car elle vient de haut même si elle ne naît qu’à 500 m d’altitude », qui attend qu’une entreprise vienne l’embouteiller
Au nom de San Anton, Sare retrouve ses sources.
La célèbre carte de Cassini le signalait déjà au XVIIIe siècle. De cet oratoire San Anton, ruiné sous la révolution et restauré dans les années vingt par le propriétaire de la maison voisine, l’historien régionaliste Pierre Dop, on ne sait s’il était dédié à Saint Antoine de Padoue ou plutôt, comme d’autres chapelles du Pays Basque, à Saint Antoine l'Ermite dont les reliques étaient réputées guérir les douleurs et brûlures provoquées par le zona, des affections d’origine alimentaire, mais aussi les aphtes de la bouche, etc. Il était également le « protecteur » des brebis, des chevaux et des porcs… Or, à quelques pas en contrebas de l'oratoire, coulait une source « San Antonioko iturria » ou fontaine de Saint Antoine dont se souvenaient encore quelques anciens, mais qui avait depuis longtemps disparu au fond de taillis impraticables.
Cette source avait été « retrouvée » il y a quelques années et les services municipaux avaient alors remarquablement aménagé ses environs. Elle délivrait un débit régulier de 7 à 8 litres à la minute qui faisait la joie de ceux qui se pressaient, de plus en plus nombreux, pour remplir bidons et bouteilles. Cette source « San Antonioko iturria » jaillit à côté du ruisseau Lamusin ou Lamuzain (puits de Lami). Jacques Antz, qui se passionne depuis une bonne trentaine d’années pour l’histoire de cette « Sarako Errepublika » dont le virus lui avait été inoculé en son temps par Paul Dutournier, l’ancien « maire des pottoks et des contrebandiers », m’expliquait qu’il s’agit des Laminaks, créatures mythiques ou petits lutins, qui s'occupaient pendant la nuit des travaux des champs pour peu qu'on leur laissât quelques nourritures près des terres à cultiver !
On attribue aux eaux de cette source la vertu de guérir ou apaiser les maladies des yeux et les eczémas. Lors de la fête de la Saint Jean, la fontaine recevait la visite des malades qui lavaient leurs lésions avec des morceaux de linge blanc qu'ils laissaient accrochés aux arbustes alentours ; puis ils remontaient vers la chapelle pour implorer l'intercession du saint et allumaient à cet effet un cierge qu'ils fixaient au bénitier à l'aide d'une goutte de cire fondue. Pendant que Jacques Antz raconte, une amatxi vient remplir sa bouteille à la source et égrène quelques lointains souvenirs : « Dans le temps, on venait ici la nuit de la Saint-Jean, avant le lever du soleil… »