La troisième édition de Confluences, autour de la famille Delay qui a tant marqué l’histoire de Bayonne aux XIXe et XXe siècles, avait permis « de parler de littérature en diversifiant les angles ». Particulièrement, une passionnante évocation de la généalogie des Delay présentée par le conservateur du Musée Basque, Olivier Ribeton, que son ascendance rattache également au Delay, suivie de témoignages sur Jean et Maurice Delay, médecins et écrivains (notre Lettre du 2 mars). L’occasion également de revenir sur la remarquable série d’ouvrages que Jean Delay (le père de l’académicienne Florence Delay et de sa sœur Claude) a consacrés à l'histoire « sociale » de sa famille, suivie à Paris pendant trois siècles et dans ses rapports avec son époque (Gallimard). En particulier le premier tome d’« Avant Mémoire », intitulé « D'une minute à l'autre (Paris, 1555-1736) ». Cette « saga » commence au Paris des derniers Valois et repose sur les recherches de l’auteur au Minutier central de la rue Vieille-du-Temple. Mais un acte notarié reste lettre morte s'il n'est intégré dans son contexte local, social, historique. C'est en retrouvant à travers mémoires, chroniques, journaux, correspondances, archives publiques et privées, la vie du quartier, du métier, de la maison, la trame des événements quotidiens dont est tissée l'histoire, que ces textes inanimés deviennent les jalons d'une quête.
Or, à l’origine, c’est d’une famille de paumiers dont il est question au début de la lignée maternelle des Delay, « logés » sous l’enseigne de « La Raquette d’Or » : « la balle était devenue un divertissement national, roi des jeux, jeu des rois, et le remplacement de la dynastie des Valois par celle des Bourbon n’avait pas altéré sa royauté. Elle ne se renvoyait plus à la main nue, ainsi qu’au fronton des Basques la pelote dure, mais à l’aide d’une raquette à croisillons qui avait donné son nom à la coiffure tressée de Catherine de Médicis ». Et même le château de Richelieu à Rueil comportait un « tripot » où exercèrent également les ancêtres des Delay, avant l’établissement de la famille au Pays Basque !
A présent, des tournois et l’action d’amateurs éclairés tels Michel d’Arcangues (qui prépare un livre sur ce sujet) et son ami Paul Mirat s’emploient à « rendre au Pays Basque un sport qui a été pratiqué avec passion jusqu’au milieu du XIX° siècle dans de nombreux trinquets très anciens, véritables jeux de paume médiévaux, tels celui de La Bastide Clairence construit en 1512 : le jeu de paume est bien l'ancêtre direct du tennis mais aussi de la pelote basque ».
Les Jeux de paume historiques au Pays Basque
Si le jeu de paume fut sans doute en France, au XVe et au XVIe siècle, le jeu le plus populaire qui ait jamais existé en aucun temps et aucun pays, c’est bien au Pays Basque qu’il a survécu, avec de légères modifications, sous forme de trinquet. Ceux de Saint-André à Bayonne et celui de Hapette à La Bastide Clairence, restauré dernièrement, datent encore du XVIe siècle.
« Dans l’Orléanais, des ecclésiastiques s’adonnaient à la paume dans les cloîtres, au XIe et XIIe siècles », expliquait dans sa conférence donnée en 1929 au Musée Basque Albert de Luze, joueur émérite et historien du jeu de paume, avant la partie de démonstration opposant au Trinquet Saint-André M. E. Baerlein, champion amateur anglais, et Pierre Etchebaster, champion du monde professionnel.
Une « redevance du prétoire » existait même dans certaines églises où le vicaire général était tenu au jour de Pâques après complies de fournir des éteufs (balles) à l’évêque et aux chanoines avec des cabarets (palettes) à les frapper : « Le 15 avril 1525, à l’issue du sermon, l’évêque accompagné du bailli de la Fauconnerie, d’un clerc notaire juré et de plusieurs autres notables, s’était transporté derrière l’église cathédrale au lieu du prétoire de l’Officialité afin et en la manière accoutumée et par récréation, de frapper avec une raquette un ou plusieurs éteufs neufs que les chanoines étaient tenus de lui fournir ».
C’est au début du XVIe siècle que le battoir recouvert en parchemin (qui a succédé au gant de cuir) avait été remplacé par la raquette. Albert de Luze précisait encore qu’un seul exemplaire de battoir, à sa connaissance, avait été conservé « comme une relique, par M. Duhau, au vieux Trinquet de Bayonne ». Après avoir été le jeu des évêques et des prêtres, le jeu de paume devint celui des rois et des nobles : presque tous les rois de France l’ont pratiqué assidûment, Louis Ier de Navarre (futur Louis X le Hutin) qui avait développé La Bastide Clairence en 1312 y laissera sa vie à cause d’un refroidissement mortel !
Au XVIIe siècle, certains vaisseaux étaient même pourvus d’un jeu de paume, telle la « Belle Française » construite en 1635.
Henri de Navarre joua très jeune à la paume au château de Pau comme en témoigne une lettre de Jeanne d’Albret ordonnant la reconstruction du jeu de paume de Pau « afin que notre très cher fils puisse prendre et recevoir quelque plaisir comme étant le dit jeu le plus honnête exercice à quoi on puisse passer le temps et le moins scandaleux ».
L’actuel trinquet Saint-André à Bayonne est une ancienne salle de jeu de paume figurant sur un plan datant de 1610 qui existe au Musée Basque comme appartenant à Maubec, Sieur de Peillicq. Ce personnage avait été, relate Ducéré, « choisi par la ville pour commander un contingent de dix pinasses envoyées en 1660 au siège de Bordeaux sur la demande du Roi », demande qui avait été porté par le célèbre mousquetaire d’Artagnan ; et c’est sans doute en reconnaissance de ce service que fut donné autrefois à l’actuelle rue du Trinquet le nom de rue Maubec, porté aujourd’hui par une rue du quartier Saint-Esprit. Ce Jeu fut très fréquenté pendant tout le XVIIIe siècle et le Comte d’Artois lui-même, pendant un séjour à Bayonne, alla y faire une partie. Nous connaissons aussi le nom du maître paumier qui le tenait à cette époque, car Ducéré avait trouvé à Bordeaux une supplique datée de 1788, signée de Thibault Moisnard, maître paumier à Bayonne, demandant à la Jurade de venir tenir le Jeu de paume récemment construit à Bordeaux et qui est l’actuel Jeu de la rue Rolland ; et ceci est encore une preuve que dans le Jeu de Maubec, on jouait alors à la paume et non au trinquet !
Louis XIV y serait venu disputer une partie à l’occasion de son mariage avec l’Infante d’Espagne, ainsi que ses petits-fils, quand le Duc d’Anjou s’arrêta à Bayonne sur le chemin de Madrid. A la fin du XIXe siècle, l’aire de jeu sera légèrement modifiée pour permettre la pratique de la pelote basque.
Bayonne a d’ailleurs possédé un autre Jeu de paume, peut-être plus ancien encore. Vers le milieu du XVIe siècle, disent les archives de la ville, « on pose un pavage dans une grande partie de la rue du Verger, (plus tard rue des Tanneries) près du Couvent des Carmes et devant le jeu de paume de Niert, où les écoliers jouaient la comédie et cela pour un billet d’entrée au théâtre ». Et Ducéré d’ajouter : « pendant la plus grande partie du XVIIe siècle la place d’Armes est un lieu de rendez-vous de promeneurs et d’amateurs du jeu de paume ».
Quant au trinquet Hapette acquis par la municipalité de La Bastide Clairence en 2008, il a pour particularité d’avoir été très peu transformé et les poutres de sa charpente semblent dater de 1512. Il est probable que l’aménagement intérieur (les « tambours ») est d’origine.
Les salles de jeu de paume avaient trois tambours ; à La Bastide, deux de ces tambours existent encore ; le troisième était sur le mur du fond, du côté du jardin mais il avait été démoli afin de pouvoir jouer au « blaid ».
Alexandre de La Cerda