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Histoire
Le souvenir de Nabokov à Biarritz
Le souvenir de Nabokov à Biarritz
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| Alexandre de La Cerda 1318 mots

Le souvenir de Nabokov à Biarritz

Mon ami Philippe Chauché dans son blog « La Cause Littéraire » rappelle fort opportunément qu’il y a juste 40 ans, Wladimir Nabokov nous quittait le 2 juillet 1977. Il fut d'abord un grand écrivain russe, avant de devenir un grand écrivain américain. Il laissait une œuvre essentielle et aujourd’hui plus vivante que jamais : « Les nuits de Loujine étaient comme cahotantes. Bien qu'il fût gagné par le sommeil, il ne pouvait s'empêcher de penser aux échecs, et le sommeil n'avait pas accès à son cerveau, dont il cherchait en vain les entrées : à chacune d'elles se tenait en faction une figurine d'échecs, et Loujine en éprouvait une sensation extrêmement désagréable - le sommeil était là, tout près, mais il demeurait de l'autre côté de son cerveau. Il y avait en lui deux hommes, dont l'un dormait, épuisé et comme dispersé à travers la pièce, tandis que l'autre, transformé en échiquier, continuait de veiller, incapable de se fondre avec son bienheureux double » (La défense Loujine. 1930. Traduit du russe par Denis Roche).
Comme de nombreux aristocrates russes, la famille de Nabokov est venue régulièrement en villégiature à Biarritz, et l’écrivain en a gardé l’un de ses souvenirs les plus intenses, son premier amour pour une jeune Française, alors qu’ils construisaient des châteaux de sable sur la Grande Plage.
Quand Nabokov se baignait à Biarritz
Le petit Wladimir Nabokov était un fin observateur sur la plage où, en arrière, "toutes sortes de chaises et pliants du bord de mer supportaient les parents de ces enfants, coiffés de chapeaux de paille, qui s'amusaient devant eux dans le sable". Lui, on le vit agenouillé, en train d'essayer d'enflammer, au moyen d'une loupe, un peigne qu'il avait ramassé. "Les hommes arboraient des pantalons blancs qui, à nos yeux d'aujourd'hui, feraient l'effet de s'être comiquement rétrécis au lavage ; les dames portaient, cette saison-là, de légères jaquettes à revers de soie, des chapeaux à grosses calottes et larges bords, des voilettes blanches épaisses et brodées, des corsages au-devant garni de ruches, des ruches à leurs poignets, des ruches sur leurs ombrelles. La brise vous salait les lèvres.
L'opération de la baignade avait lieu en un autre endroit de la plage. Il y avait des - baigneurs professionnels, des Basques solidement bâtis, en costumes de bain noirs, pour aider les dames et les enfants à jouir des terreurs des brisants. Le baigneur vous plaçait le dos à la vague qui arrivait et vous tenait par la main au moment où la masse montante et basculante d'eau verte , écumeuse, vous dégringolait dessus par-Les hommes arboraient des pantalons blancs qui, à nos yeux d'aujourd'hui, feraient l'effet de s'être comiquement rétrécis au lavage ; les dames portaient, cette saison-là, de légères jaquettes à revers de soie, des chapeaux à grosses calottes et larges bords, des voilettes blanches épaisses et brodées, des corsages au-devant garni de ruches, des ruches à leurs poignets, des ruches sur leurs ombrelles. La brise vous salait les lèvres.
L'opération de la baignade avait lieu en un autre endroit de la plage. Il y avait des - baigneurs professionnels, des Basques solidement bâtis, en costumes de bain noirs, pour aider les dames et les enfants à jouir des terreurs des brisants. Le baigneur vous plaçait le dos à la vague qui arrivait et vous tenait par la main au moment où la masse montante et basculante d'eau verte , écumeuse, vous dégringolait dessus par-derrière avec violence, vous faisait perdre pied d'un coup puissant dans les jambes. Après une douzaine de ces culbutes, le baigneur, luisant comme un phoque, conduisait la personne confiée à -ses soins, haletante, frissonnante, enchifrenée, à terre, sur la plage plate où une inoubliable vieille femme avec des poils gris au menton choisissait promptement un peignoir de bain parmi ceux sui pendaient à une corde à linge. Une fois en sécurité dans une petite cabine, on était aidé encore par un autre préposé à se dépouiller de son costume de bain saturé d'eau, lourd de sable. Il tombait sur les planches en faisant flac, et toujours frissonnant, on en sortait les pieds, et on piétinait sur ses rayures bleuâtres, délavées. La cabine sentait le pin. Le préposé, un bossu au visage ridé et radieux, apportait une cuvette d'eau bien chaude, dans laquelle on plongeait les pieds."derrière avec violence, vous faisait perdre pied d'un coup puissant dans les jambes. Après une douzaine de ces culbutes, le baigneur, luisant comme un phoque, conduisait la personne confiée à -ses soins, haletante, frissonnante, enchifrenée, à terre, sur la plage plate où une inoubliable vieille femme avec des poils gris au menton choisissait promptement un peignoir de bain parmi ceux sui pendaient à une corde à linge. Une fois en sécurité dans une petite cabine, on était aidé encore par un autre préposé à se dépouiller de son costume de bain saturé d'eau, lourd de sable. Il tombait sur les planches en faisant flac, et toujours frissonnant, on en sortait les pieds, et on piétinait sur ses rayures bleuâtres, délavées. La cabine sentait le pin. Le préposé, un bossu au visage ridé et radieux, apportait une cuvette d'eau bien chaude, dans laquelle on plongeait les pieds."

C'est là que Wladimir Nabokov apprit quelques mots en basque, c'est également sur le sable humide découvert à marée basse, propice pour la construction de châteaux, qu'il connut une petite fille française nommée Colette, avec qui il fugua dans un cinéma proche, où était projetée "une course de taureaux à Saint-Sébastien, saccadée, clignotante, mais passionnante corne tout".
Deux ans auparavant, sur cette même plage, il avait déjà éprouvé avançant pesamment, le dos courbé, en enfonçant chaque pas dans le sable farineux, avec sur son épaule, ce lourd baril en bandoulière qu'il enlevait d'une forte torsion sur la courroie quand on l'appelait. Le posant brutalement sur le sable, il s'essuyait le visage d'un revers de manche et se mettait alors à manipuler sur le couvercle du baril une espèce de cadrafl à flèche portant des numéros ; cette flèche qui tournait, grinçante et ronflante, déterminait la quantité d'oublies débitée pour un sou »..."beaucoup d'attachement" pour Zina, la petite fille charmante d'un médecin serbe : il avait remarqué son teint basané ainsi qu'un grain de beauté sur sa peau couleur d'abricot, juste au-dessous du cœur... Est-on observateur, à l'âge de huit ans ! Mais elle avait un "caractère difficile", et lorsqu'il fit la connaissance de Colette, il sut aussitôt que "cette fois, c'était pour de bon !"
Et qu'elles étaient bonnes, les violettes enrobées de sucre, les glaces à la pistache d'un vert divin, les pastilles de cachou et les "oublies sableuses" qui sortaient d'un baril rouge.
Parmi ses souvenirs, Wladimir Wladimirovitch conservera toujours la vision très nette de leur vendeur, « avançant pesamment, le dos courbé, en enfonçant chaque pas dans le sable farineux, avec sur son épaule, ce lourd baril en bandoulière qu'il enlevait d'une forte torsion sur la courroie quand on l'appelait. Le posant brutalement sur le sable, il s'essuyait le visage d'un revers de manche et se mettait alors à manipuler sur le couvercle du baril une espèce de cadrafl à flèche portant des numéros ; cette flèche qui tournait, grinçante et ronflante, déterminait la quantité d'oublies débitée pour un sou »...
Parmi les babioles achetées comme souvenirs à Biarritz avant de partir, ce qu'il préféra, ce n'était pas le petit taureau en pierre noire qui aurait pu lui rappeler l'escapade avec sa belle au cinéma, ni non plus la conque marine sonore, mais quelque chose qui, plus tard, lui parut presque symbolique - un porte-plume en écume de mer présentant un tout petit oeilleton de cristal dans sa partie ornementale. "On tenait cet oeilleton tout près d'un oeil, en fermant l'autre, et quand on n'était plus gêné par les reflets de de ses propres cils, on pouvait voir à l'intérieur une miraculeuse vue photographique de la baie et de la ligne de falaises aboutissant à un phare".
ALC

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