François (Romain Duris), son fils de 16 ans Émile (Paul Kircher), accompagnés de leur chien Albert, sont immobilisés dans un embouteillage. Le père et le fils se disputent au sujet du retard de ce dernier qui bougon, dévore des chips. Sous les remarques acides de son père, Émile furieux finit par quitter brusquement, le véhicule à l’arrêt, suivi d’Albert. François le rattrape en remontant la longue file de voitures. Soudain des bruits sourds émergent d’une ambulance immobilisée dans le trafic : « une créature » s’en échappe à grands cris. François, Émile et Albert remontent dans la voiture qui enfin, s’extrait de l’encombrement : « drôle d’époque » soupire François.
Plus tard, dans un établissement de soins, une doctoresse leur explique que les connaissances scientifiques, dans leurs états actuels, ne peuvent donner d’explication sur les phénomènes de mutations génétiques qui frappent certains humains. Émile s’emporte face à ces déclarations. Sa mère, Lana, est isolée dans une petite chambre médicalisée. Par endroit, les murs sont griffés ; le mari et le fils lui rendent visite : ils sont bouleversés.
François et Émile accompagnés d’Albert, partent s’installer dans les Landes de Gascogne (Gironde) où François est engagé comme cuisinier dans le restaurant d’un camping champêtre en bordure de la forêt landaise. En chemin, réconciliés, ils chantent à tue-tête une chanson de Pierre Bachelet (1944/2005) : « Elle est d’ailleurs ». Dans un lotissement, Ils aménagent dans une petite maison préfabriquée. Émile rejoint son nouveau collège où il est reçu diversement par les autres élèves. Nouvel arrivé dans cet établissement, il intrigue par son comportement renfermé, solitaire : il semble être toujours sur ses gardes.
Les jours passent dans l’attente de la venue de Lana dans un hôpital spécialisé de la région. Certains autochtones que François côtoie durant ses services, arborent des tee-shirts avec l’inscription : « pas de bestioles ici !». Ils devisent entre eux avec mépris sur les « créatures » du centre hospitalier. François subit sans rien dire : il attend l’arrivée de Lana. Au collège, Émile ment en affirmant que sa mère est morte.
Soudain le bruit circule qu’une ambulance est tombée dans la rivière : il y aurait des morts et des rescapés. Fou de douleur François se précipite sur les lieux de l’accident. Angoissé, agressif, il demande des nouvelles des accidentés ; une adjudante de gendarmerie (Adèle Exarchopoulos) tente de le calmer …
Thomas Cailley (43 ans) n’a réalisé auparavant qu’un seul long métrage en 2014 : Les Combattants, épopée survivaliste de deux jeunes adultes dans les Landes de Gascogne ( !), région natale du réalisateur. Ce film remarquable a trusté de nombreux prix nationaux et internationaux dont les Césars 2015 du Meilleur premier film, de la Meilleure actrice (Adèle Haenel) et du Meilleur espoir masculin (Kévin Azaïs).
Ce n’est que 9 ans plus tard qu’après une longue gestation, Thomas Cailley a mené à bien son second opus : Le Règne animal. Ancien élève (promotion 2007) de la FEMIS (École nationale supérieure des métiers de l’image et du son, section scénario), il participe en 2020, à un jury de lecture de scénarios de courts métrages.
Un script retient son attention, celui d’une étudiante, Pauline Munier, sur le thème des hybridations physiques. Ensemble ils travaillent de longs mois en enrichissant le récit sur les volets physiques et psychologiques des personnages.
L’idée centrale, géniale, est que les mutants, déjà parmi nous, soient acceptés ou soient rejetés par la population. Pour certains ce sont des humains différents, pour d’autres des monstres qu’il faut éradiquer. Ainsi, dans le déroulé de l’histoire nous échappons aux scènes de transformation visuelles (loup-garou, robot, etc.) si présentes en particulier dans les films américains. « Les créatures » sont là, au milieu de nous quoique dissimulées, comme êtres humains alternatifs.
La difficulté était de rendre crédibles « les créatures » sans un déluge d’effets spéciaux numériques sur écrans verts dont le cinéma, surtout américains (moult blockbusters), nous abreuvent.
Ainsi, Thomas Cailley, après un intense travail avec ses collaborateurs (dessinateurs, storyboarder, ingénieurs, etc.) a arrêté pour le tournage, un système hybride : des effets physiques de maquillage, d’animatroniques (animation par une complexe combinaison de moteurs électrique) et d’effets numériques (informatique) peu nombreux, en post-production. Le résultat sur un écran est sensationnel car, grâce à ce mélange de techniques, « les créatures » ont une réalité physique fantastique enrichie d’une sensibilité humaine : ils vivent, pensent et souffrent.
Doté d’un budget confortable (16 millions d’euros), mais bien utilisé dans un film de genre réputé mineur, Le Règne animal est, et sera, une œuvre cinématographique marquante du cinéma français. Ce film se singularise par la tonalité de son récit, la richesse de son scénario, son traitement de l’image et du son (très soigné), des innombrables « films commerciaux » transformistes (fantastique, horreur, etc.). Le règne animal est à mi-chemin entre un récit sociétal utopique (aimons-nous les uns les autres) et dystopique (détestons le genre différent, l’altérité).
Le Règne animal est un long métrage du genre fantastique à la fois spectaculaire et philosophique, fondu dans une fable d’une grande fluidité, laquelle avance crescendo mêlant l’existentiel et le surréel. Les acteurs Romain Duris (François), Paul Kircher (Émile), et Adèle Exarchopoulos (la gendarme) sont tous excellents dans leur registre.
Le Règne animal est un « ovni » du cinéma français dans la veine d’anciens créateurs de fantastique, de poétique, d’onirique, tels les réalisateurs Jean Cocteau (1889/1963) et Georges Franju (1912/1987). Le Règne animal ouvre les portes d’un cinéma différent qui, nous l’espérons, rencontrera son public.