0
Littérature
Le ciel brûle d’anges, par Éric Trélut
Le ciel brûle d’anges, par Éric Trélut

| Éric Trélut 4502 mots

Le ciel brûle d’anges, par Éric Trélut

WhatsApp Image 2025-03-26 à 22.07.04_36e3b296.jpg
w ©
WhatsApp Image 2025-03-26 à 22.07.04_36e3b296.jpg

À celle dont je ne vous dirai pas le nom,

ce texte et tout le reste,

ch’io feci riguardando ne’ belli occhi onde a pigliarmi fece Amor la cor (1).

Pour ce feu qui n’est pas de moi,

pour cette sagesse qu’on ne possède pas,

pour ce regard qui élève sans manger (2) —

comme un ange...

1. Je suis aveugle, et je vois le feu né des étoiles

« L’ange entra où elle était » (Luc, I, 28).

Au creux de la nuit, je suis aveugle, et sais où aller. Je cherche le feu. Si je marche vers le feu, c’est que le besoin du feu est né en moi. Le feu déjà me gouverne. Si je cherche le feu, c’est que déjà je l’ai trouvé. L’aveugle ne chercherait pas le feu s’il ne l’avait déjà trouvé, comme ce fut le cas de Pascal au cours de la nuit du Mémorial

Dans l’Évangile selon saint Luc, Jésus prononce en effet ces paroles : « Et moi je vous le dis : […] Cherchez et vous trouverez […]. / Et qui cherche, trouve » (11, 9-10). 

Autrement dit, là où il est possible de chercher un objet quelconque sans le trouver, il n’est pas possible de chercher Dieu sans Le trouver ; ceux qui cherchent Dieu Le trouvent. Et, puisque Dieu doit avoir été trouvé (3) pour être cherché, c’est qu’Il est d’abord trouvé sans être cherché (4).

Certaines rencontres sont des feux de l’avant-rencontre (5) qui nous brûlent pour toujours. Ils éveillent en nous l’esprit ! Ils nous font être incendie (6). Et, devenus incendie, nous nous déplaçons — « en montant vers le haut (7) » — vers les étoiles. Et, devenus incendie, nous montons — non point comme la flamme qui s’éteint, mais comme l’élan d’un être qui se dépouille de toute pesanteur. Car toute ascension véritable est céleste. Mais, ce n’est pas tant vers les étoiles que nous allons, que vers ceux qui les gardent et les meuvent — les anges — miroirs purs du Feu d’Amour qui « meut le soleil et les autres étoiles » - « L’amor che move il sole e l’altre stelle. » (Dante, Paradis. XXXIII, 145)

Le ciel brûle d’anges. Il ne suffit pas de dire que les anges existent (8). Ce serait trop peu. Trop court. Le paradoxe est que chaque ange n’est pas d’abord un individu, mais une espèce personnelle (9), radicalement individuelle. Il n’y a pas deux anges d’une même espèce. Et pourtant, ils sont deux personnes. C’est pourquoi, chez Charles de Koninck, les anges décentrent la pensée moderne de son individualisme issu de l’humanisme absolu (10). Et plus encore : ils enseignent une ontologie non pas du moi, mais de l’ordre. Les anges, en effet, ne sont pas solitaires. Ils vivent en hiérarchie, car leur existence même se déploie selon un ordre d'intelligences où chacun reçoit et transmet la lumière divine selon sa proximité au Principe premier. Les anges vivent en hiérarchie, non comme les hommes s'organisent en degrés de puissance, mais à la manière d'une cascade de lumière où chacun reçoit l'éclat qui le précède et transmet à son tour l'étincelle reçue, enrichie du mystère unique qu'il porte en lui. Comme les étoiles, ils s'échelonnent dans la lumière divine, chacun irradiant sa propre clarté, recevant humblement le rayon d'en-haut, et le versant avec gratitude vers l'ange suivant. Ainsi, la hiérarchie angélique forme une danse silencieuse et lumineuse, où recevoir et donner ne font qu'un seul mouvement d'amour, chaque ange étant à la fois miroir et source (11), écoute et chant, disciple et maître dans le grand concert céleste (12). Un ange est, pour ainsi dire, une pensée divine devenue lumière.

2. La veille des anges

« Dites-moi que vous ne l’avez pas ressenti vous-même ? 

Les moucherons ne sont pas plus faits pour résister à cette extase de 

la lumière, quand elle pompe la nuit,

Que les cœurs humains à cet appel du feu capable de les consumer.»

Paul Claudel, Le Soulier De Satin,1929

Scène : Une nuit étoilée, dans le silence d'une chapelle oubliée. Sur le chemin de Compostelle ? La flamme d'un cierge frémit encore doucement, dessinant des ombres mouvantes sur les murs. Trois personnes sont assises, recueillies dans une méditation vivante : Thomas d'Aquin, Simone Weil et Charles de Koninck. Entre eux, sur le sol de pierre, repose ouvert un livre ancien. Ils parlent comme des veilleurs, à voix basse, presque un murmure, mêlant poésie et pensée, raison et émerveillement, au seuil d'un mystère à peine effleuré.

Simone Weil — Il y a deux souffles dans ce monde : l’un qui entraîne irrésistiblement vers le bas, tel l’appel profond de la terre sur le corps épuisé ; l’autre, discret comme l'aube, attire doucement vers le haut, mais seulement lorsque l’âme abandonne tout vouloir. Cela seul est grâce. Les anges, eux, ne montent ni ne descendent comme nous : ils demeurent immobiles en des hauteurs où nous n'accédons qu'à travers la dépossession de nous-mêmes.

Thomas d’Aquin — Tu dis vrai, Simone, avec la délicatesse des poètes, mais les anges que je contemple ne sont pas d’abord des symboles éthérés de pureté silencieuse : ils sont intelligences vives, ordonnées selon leur degré de proximité à l'éternelle source de lumière. Il y a chez eux un ordre de nature, mais aussi une vocation à servir. Ils ne sont pas purs par grâce première, mais par le don créateur qui les fait exister ; la grâce vient ensuite, surabondance d’une lumière reçue, puis transmise.

Simone Weil — Tu raisonnes depuis la clarté de l'ordre, Thomas, et je ne te conteste point. Mais je pressens dans l'ordre lui-même un mystère plus profond que la logique des causes et des effets. Car même les anges, pour descendre vers nous, doivent consentir à une sainte obéissance. Ils ne choisissent pas leur mission, ils la reçoivent dans un silence attentif. L’ange est ainsi attention pure, écoute souveraine, non pas action autonome.

Thomas d’Aquin — L'attention, certes, mais active, Simone : car les anges agissent en silence. Ils gouvernent les sphères, illuminent les prophètes, combattent dans l’ombre contre les puissances mauvaises. Leur intelligence n'est pas seulement contemplation immobile : elle est motion, impulsion divine. En eux, vouloir et agir sont identiques ; ils ne délibèrent pas, mais contemplent, puis accomplissent, dans un seul élan.

Simone Weil — Alors peut-être sont-ils, en vérité, ce que nous, pauvres humains, ne pouvons être qu'un bref instant : des créatures sans pesanteur ni écart, entièrement tendues vers autre chose que soi-même. Mais l’homme ne peut s'approcher d'eux qu'en acceptant de chuter volontairement, dans l'humilité d'un "non" à sa propre puissance. L'ange, lui, ne tombe pas, mais il veille silencieusement. Et cette vigilance suffit à nous élever.

Thomas d’Aquin — Et pourtant, Simone, même les anges ont connu le risque vertigineux de la chute. Tous ne sont pas demeurés dans la veille. Le mystère douloureux de Lucifer nous le rappelle : l'élévation sans grâce devient orgueil ; la grâce sans vérité, illusion. Il faut conjointement l'ordre et le don. C'est de ce double tissage que le monde est fait.

Charles de Koninck — Je vous écoute tous deux, avec admiration, comme des voix chantant en harmonie une même vérité. Oui, Thomas, tu dis juste : les anges sont intelligences ordonnées, instruments lumineux du gouvernement divin. Et toi, Simone, tu rappelles que l'intelligence sans amour se fait tyrannie et que la grâce jaillit là où la raison solitaire s'épuise. Mais laissez-moi ajouter une note subtile : l'amour véritable de l'ordre — non pour soi, mais pour lui-même, c’est cela la sagesse, et c’est ce que chantent les anges.

Simone Weil — Mais cet ordre, Charles, n’est-il pas encore pesanteur s'il est imposé du dehors ? Je n’aime l’ordre que lorsqu’il se fait humble, secret, aussi libre et fragile que le chant d'un oiseau à l’aube.

Charles de Koninck — Justement, Simone. L’ordre véritable ne s’impose jamais par contrainte ; il rayonne doucement comme une beauté aimée. Les anges en leur hiérarchie se tiennent tels des degrés d’un amour qui ne cherche rien pour lui-même. Ils deviennent lumière parce qu’ils ne gardent rien pour eux ; ils transmettent, ils servent, avec une joie d’être médiateurs, d’être cette clarté silencieuse qui ne vit que de don. Les légions angéliques sont les miroirs vivants dans lesquels Dieu réfléchit Sa Lumière, Multiforme mais unique, ô Verbe éternel !

Thomas d’Aquin — Tu parles là, Charles, du rôle sapientiel des anges, et je te rejoins entièrement. Car en effet, les anges supérieurs illuminent les inférieurs, et tous reçoivent du Premier. Mais l’homme apprend lentement, il chute, il délibère. Il n’est pas ange, il ne l’est jamais complètement.

Charles de Koninck — Non, l'homme n’est pas ange. Mais il apprend d’eux à désirer ce qui n’est pas fait pour lui seul. Sa grandeur véritable est d’abord émerveillement. Et lorsqu’il consent à s'émerveiller devant un ordre qui le dépasse — comme l’ange se réjouit de servir en ne comprenant pas tout — alors l’homme touche à la sagesse véritable, celle qui fait de nous, non des dominateurs, mais des fils.

Simone Weil — Je te rejoins, Charles. Je pense ici à la joie des petits dont parle l’Évangile. Si l’on me demandait comment penser comme un ange, je répondrais qu'il faudrait emprunter la voie de l’enfance et non celle de la puissance. Un ange n’est peut-être qu'une pensée de Dieu venue en nous comme une brise d’été à qui sait rester simple et silencieux.

Thomas d’Aquin — Je vous entends bien, et je m'incline volontiers devant ce mystère. Car si les anges chantent, ce n’est pas d’abord pour nous instruire ; c’est parce qu’ils aiment, parce qu’ils servent l'amour de l'Éternel, dans une contemplation devenue chant éternel.

Oui, nous devons désirer jouir de la face de Dieu comme l’ange le contemple, mais non pas en cherchant à monter vers sa pureté sans pesanteur. Il nous faut au contraire descendre dans l’humilité de notre propre chair. Car si l’ange existe bien ; il est cette étoile intérieure, cette veille silencieuse qui nous guide vers une transparence nouvelle, l’homme, lui, n’est pas fait pour devenir ange, mais pour rejoindre Dieu dans l’épaisseur même de sa condition humaine. Oui, je crois que les anges existent, et qu’ils veillent en nous afin que nous devenions transparents à l’Amour ; mais c’est dans l’humilité radicale de notre corps, dans cette matière pauvre et abêtie (13), que nous jouirons un jour de la face de Dieu.

3. Qui fait la bête peut (espérer) devenir ange

« Consolez-vous, ce n’est point de vous que vous devez l’attendre, 

mais au contraire en attendant rien de vous que vous devez l’attendre (14) ».

Pascal

Selon Charles de Koninck, Dieu ne saurait procéder d'une nature angélique, car l'ange est à la fois trop parfait et trop imparfait pour permettre une telle génération. Trop parfait, puisque l'ange, créature immatérielle et intelligence pure, ne peut ni se diviser ni se multiplier, ne pouvant ainsi engendrer à la manière des êtres naturels. Trop imparfait, puisqu'il n'est pas capable non plus d'engendrer à la manière divine, car seul Dieu engendre Dieu dans l'éternité. Ainsi s’exprime le profond paradoxe formulé par De Koninck : « Perfecta imperfecte, imperfecta perfecte (15) ». Ce paradoxe révèle une vérité merveilleuse : c'est précisément grâce à l'humilité et à l'imperfection radicale de la matière, privée de forme et réduite à une pauvreté essentielle, que le Fils de Dieu peut naître au cœur même de sa création, réalisant ainsi, dans le temps et l'espace, une imitation profondément mystérieuse de sa génération éternelle par le Père. « Infixus sum in limo profundi : et non est substantia » « Je suis enfoncé dans la profondeur limoneuse où il n'y a point d'appui » (Ps. LXVIII, 3) ;

« [C]e même Fils surgit aux deux extrémités de l'univers, réunissant notre bassesse avec sa suprême grandeur — ima summis. Voilà le degré de communication et d'élévation miséricordieuses qu'il a plu à Dieu d'accomplir. Ecce virgo concipiet, et pariet filium: et vocabitur nomen ejus Emmanuel —Voici qu'une vierge concevra, et elle enfantera un fils : et on l'appellera le ‘Tout-Puissant avec nous’. (Is. VII, 14) Dieu se suscite et se fait engendrer aux confins les plus éloignés de sa création : Que la terre s'ouvre, et qu'elle germe le Sauveur -Aperiatur terra, et germinet Salvatorem. (Is. XLV, 8) / (16) ».

Heureuse faiblesse du corps, heureuse humilité d'un réceptacle fragile, mais justement pour cela capable d'accueillir la puissance infinie de Dieu. Car c'est en cette humilité absolue, en cette « sagesse de l'humilité », pour reprendre les mots justes du poète T.S. Eliot dans les Quatre Quatuors (Four Quartets), que réside la véritable grandeur de l’homme : 

« Ne me parlez pas

de la sagesse des vieillards, mais plutôt de leur folie,

de leur peur de la peur et de la frénésie,

de leur peur d’avoir,

d’appartenir à un autre, à d’autres, ou à Dieu.

La seule sagesse que nous puissions espérer acquérir

est la sagesse de l’humilité :

l’humilité est sans fin (17)».

Ainsi, l'ange, dans son éclatante lumière immatérielle, demeure solitaire, incapable d'engendrer, semblable à une étoile sans matière. Tandis que le corps, dans son extrême pauvreté, reçoit le privilège inouï de porter en elle-même l'Incarnation du Verbe. Voilà donc que la plus grande fragilité devient l'instrument le plus parfait de la grâce divine, et l'imperfection même de la matière se transforme en lieu privilégié d'une sagesse infiniment plus profonde que celle des esprits purs. 

« Nous nous sommes trompés trop longtemps sur le rôle de l’intelligence. Nous avons négligé la substance de l’homme. Nous avons cru que la virtuosité des âmes basses pouvait aider au triomphe des causes nobles, que l’égoïsme habile pouvait exalter l’esprit de sacrifice, que la sécheresse de cœur pouvait, par le vent des discours, fonder la fraternité ou l’amour. Nous avons négligé l’Être (18) ». 

Et plus encore, peut-être faut-il apprendre des anges la joie très pure d’aimer sans comprendre, et de devenir, dans l’épaisseur même de notre nuit, l’attente silencieuse du jour.

Éric Trélut, Gabat

Notes

(1) Dante, Paradis, XXVIII, 11-12 : « en regardant dans les beaux yeux dont Amour fit la corde avec laquelle il m’a lié ». Il ne s’agit pas ici d’un simple aveu amoureux. Dante, comme toujours, parle en double registre. Ces « beaux yeux » ne sont pas seulement ceux de Béatrice qui ont fait prisonnier d’Amour Dante, mais aussi les yeux de la Sagesse personnifiée, celle que l’âme reconnaît dans un visage, comme dans un miroir tourné vers l’éternel. Riguardando. Non pas voir, mais regarder, c’est-à-dire poser sur l’autre une attention prolongée, silencieuse, amoureuse. C’est l’acte de l’intellect qui devient contemplation, regard d’âme, regard qui ne prend pas, mais reçoit. Ne’ belli occhi. Dans ces beaux yeux, Dante voit le lieu d’une médiation : ce ne sont pas des yeux qui renvoient à eux-mêmes, mais qui laissent passer une lumière plus haute. Les yeux, dans la tradition néoplatonicienne autant que chrétienne, sont le seuil par où l’âme se dit — et où parfois, elle se laisse traverser. Onde a pigliarmi fece Amor la cor. « Par lesquels Amour fit la corde avec laquelle il m’a lié ». Amour, ici, est écrit avec majuscule : ce n’est pas un sentiment, c’est une puissance transformatrice. Ce que Dante évoque, ce n’est pas un coup de foudre psychologique, mais un ravissement : l’expérience de voir en l’autre le lieu d’un appel plus grand que soi, qui saisit non l’intelligence seule, mais le cœur — ce centre profond où se nouent volonté, mémoire et désir. Amour ne se contente pas de toucher : il prend. Mais il ne prend que ce que l’âme a déjà abandonné. Ce cœur ravi, c’est le cœur offert. En ce sens, la phrase entière pourrait se lire comme une profession de foi sapientielle : ce que j’ai écrit, je ne l’ai pas pensé seul. Je l’ai reçu, en regardant les yeux de celle qui m’a conduit au feu. Et ce feu ne m’a pas brûlé : il m’a pris le cœur, et m’a fait écrire.

(2) Comme l’écrit Simone Weil (La Pesanteur et la Grâce, 1947), « La béatitude éternelle est un état où regarder c'est manger ».

(3) C’est pour cela que la Bien-aimée du Cantique des cantiques, dit à son Bien-aimé de fuir ; elle aime mieux ses privations que ses dons : « Fuyez, ô mon Bien-aimé, avec la vitesse d’un cerf ». Et là finit le Cantique

(4) En effet, personne ne pourrait désirer Dieu sans avoir Celui qu’il aime. Saint Augustin dans La Trinité écrit : « Serait-ce que, une fois trouvé, il faille le chercher encore ? C’est en effet ainsi qu’il nous faut rechercher les choses incompréhensibles : qu’on ne croie pas avoir rien trouvé, quand on est parvenu à trouver combien est incompréhensible ce qu’on cherchait. Pourquoi dès lors chercher, si l’on comprend que ce qu’on cherche est incompréhensible ? sinon parce qu’on ne doit pas s’arrêter, tant que la recherche elle-même approfondit davantage le domaine de l’incompréhensible et qu’elle rend de plus en plus parfait celui qui est en quête d’un si grand bien, qu’on ne cherche que pour le trouver, qu’on ne trouve que pour le chercher. Car on le cherche pour le trouver avec plus de douceur, on le trouve pour le chercher avec plus d’ardeur ». Nous avons aussi une autre source chez saint Bernard de Clairvaux « Tu es bon, Seigneur, pour l’âme qui te cherche » [Lamentations 3, 25]. Qu’en sera-ce donc pour celle qui te trouve ? Car voici la merveille : personne n’est capable de te chercher s’il ne t’a d’abord trouvé ». De Diligendo Deo VII, 22 ; trad. fr. Françoise Callerot, Jean Christophe, Marie-Imelda Huille et Paul Verdeyen, L’Amour de Dieu, in Œuvres complètes XXIX, Paris, Cerf, « Sources chrétiennes » [= SC] 393, 2010 [1993], p. 116-117).

(5) Un feu sans flamme, sans fumée, sans cendre — qui ne consume que l’oubli, et laisse au cœur la forme du regard.

(6) « Celui qui marche vers sa maison, j’ignore s’il marche vers la querelle ou vers l’amour. Je me demanderai : « Quel homme est-il ? » Alors seulement je connaîtrai vers où il pèse, et où il ira. On va toujours, en fin de compte, vers où l’on pèse. […] Que faut-il faire ? Ceci. Ou le contraire. Ou autre chose. Il n’est point de déterminisme de l’avenir. Que faut-il être ? Voilà bien la question essentielle, car l’esprit seul fertilise l’intelligence. Il l’engrosse de l’œuvre à venir. L’intelligence la conduira à terme. Que doit faire l’homme pour créer le premier navire ? La formule est bien trop compliquée. Ce navire naîtra, en fin de compte, de mille tâtonnements contradictoires. Mais cet homme, que doit-il être ? Ici je tiens la création par sa racine. Il doit être marchand ou soldat, car alors, nécessairement, par amour des terres lointaines, il suscitera les techniciens, drainera les ouvriers, et lancera, un jour, son navire ! Que faut-il faire pour que toute une forêt s’envole ? Ah ! c’est trop difficile… Que faut-il être ? Il faut être incendie ! »

(7) « Être de feu signifie brûler ; la matière est portée à sa fin à travers les flammes, est portée aux extrêmes, se consume en elle-même. Elle s'embrase : et le moindre vent en augmente l'ardeur. Elle se propage et porte en soi la possibilité de le faire jusqu'à la consomption totale. Elle consume, s'étend ; elle se déplace en montant vers le haut ; elle est simple ; elle est pure. C'est une renouvellement continu, une naissance sans cesse reproduite. C'est une continuelle agonie, mais il en résulte la vie ». Être de feu ! C’est ce magnifique sermon que nous donne le Père Don Ardito dans le roman de Carlo Coccioli Le ciel et la terre, Plon, 1959.

(8) A la fin de l’audience générale du mercredi 29 septembre 2004, Saint Jean-Paul II recommandait aux fidèles : « Sentez auprès de vous, chers tous, la présence des Anges et laissez-vous guider par eux ». Le catéchisme de l’Église catholique rappelle que l’existence des anges est « une vérité de foi » (nn. 328-336) et ils accompagnent toute l’histoire du salut, la vie terrestre du Christ, la vie de chaque être humain : « L’existence des êtres spirituels, non corporels, que l’Écriture Sainte nomme habituellement anges, est une vérité de foi. Le témoignage de l’Écriture est aussi net que l’unanimité de la Tradition ». 

(9) Et tout ange se tient dans la clarté unique de sa propre aurore, un monde en lui-même, distinct et entier. Car l'ange n'a ni parents, ni généalogie. Il n’a pour seule parenté que l’idée pure de lui-même, surgie comme un chant divin dans l’éternité. Chez saint Thomas d'Aquin, chaque ange constitue effectivement ce que l'on pourrait appeler une « espèce personnelle ». En effet, l'espèce, au sens strict, suppose une pluralité d'individus partageant une même forme substantielle en raison de la matière comme principe d’individuation (cf. Somme théologique, Ia, q.50, a.4). Or, les anges, étant des formes immatérielles pures, ne peuvent pas être plusieurs sous une même espèce, car chacun se distingue essentiellement d'un autre par sa propre essence unique. C'est pourquoi la tradition scolastique considère chaque ange comme un être entièrement unique, dont l'individualité même fonde une « espèce personnelle » (cf. Charles de Koninck, Ego Sapientia : la sagesse qui est Marie, Québec, PUL, 1943). Cette terminologie doit toutefois être prise par analogie, car l'expression reste paradoxale et vise surtout à souligner l'unicité radicale et irrépétable de chaque substance angélique.

(10) Selon Charles de Koninck (Les paradoxes de l’univers purement humain) : « L’humanisme absolu qui prêche la fraternité laïque, qui prétend délivrer l’humanité de ses souffrances, est en même temps d’une cruauté meurtrière de l’esprit et du corps – comme Aldous Huxley l’a si bien montré dans Brave New World. Le médecin humaniste est un vétérinaire dans la jungle ». 

(11) Comme l’écrit Charles de Koninck, Ego Sapientia : la sagesse qui est Marie, Québec, PUL, 1943 : une intelligence séparée (un ange) « saisit intuitivement dans un mouvement quasi circulaire l’essence d’où elle émane et à la lumière de laquelle elle voit »

(12) Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 106, a. 3 : « De même que le soleil illumine le monde en répandant sa lumière, Dieu illumine toute la hiérarchie angélique en répandant en elle sa sagesse et sa bonté, que chaque ange reçoit selon la capacité propre de sa nature, pour la transmettre ensuite aux autres ». Selon Charles de Koninck (La naissance de la pensée philosophique chez les grecs) l’univers invisible des anges est un multiple qui n’est pas d’ordre métrique, puisqu’il n’y a pas de matrice commune (matière) : « On me dira : cet univers n’a absolument rien à voir avec les mathématiques, c’est là de la métaphysique. – En aucune façon : la métaphysique ne peut rien dire de cet univers méta-mathématique : elle peut simplement dire que s’il y a des esprits purs il y a un univers méta-mathématique. Elle pose un domaine qu’elle ne peut pas explorer. Mais le mathématicien, le peut-il ? On ne voit pas comment il pourrait le faire. Les entités fondamentales de la mathématique pure étant des formes vides, du moment qu’on détermine le vide, il ne peut plus rien faire, il est paralysé. Plus la mathématique devient pure, plus elle devient abstraite. Or, les entités de la méta-mathématique sont concrètes par définition même, tandis que le mathématicien s’éloigne de plus en plus du concret. La situation est sans doute paradoxale. Mais elle ne l’est pas plus que celle du métaphysicien, qui traite de l’absolu. Pour pouvoir parler de l’absolu, qui est le concret même, il doit se placer à un point de vue absolument abstrait. C’est grâce à l’abstraction qu’il peut se rapprocher de ce qu’il y a de plus concret. Il faut en dire autant des mathématiques. Plus les mathématiques deviennent abstraites, plus elles se rapprochent obliquement de l’univers des esprits purs. Bien plus même que la cosmologie. S’il n’en était pas ainsi, on ne pourrait plus dire que les mathématiques occupent le deuxième degré d’abstraction ».

(13) Au sens pascalien du terme. « La foi est différente de la preuve » : on ne va pas à Dieu, au vrai Dieu, en suivant seulement le chemin du raisonnement pur, contrairement à ce que se figurent ceux qui confondent le Dieu dont parlent les philosophes et le Dieu que révèle l’Écriture Sainte ; la religion véritable, celle qui mérite qu’on lui sacrifie tout, est celle qui, avant de parler à l’esprit, parle au cœur, ce qui ne peut se faire sans le secours de la grâce. « Ordre – Après la lettre qu’on doit chercher Dieu, faire la lettre d’ôter les obstacles qui est le discours de la Machine, de préparer la Machine, de chercher par raison. » (11/246) Selon le commentaire du philosophe Pierre Macherey : « La Machine, c’est donc le corps : la main qui prend l’eau bénite et fait le signe de la croix, le genou qui se plie devant l’autel, les lèvres qui marmonnent machinalement, sans les comprendre, les paroles du rituel, toute une anatomie en mouvement qui, sans nécessiter une intervention directe de l’esprit, mime les postures de la soumission, et, misant sur l’habitude et sa répétitivité, prépare ceux qui en sont empêchés par leur condition humaine trop humaine à croire réellement, en les aidant à surmonter les obstacles qui les empêchent de croire. Étant définitivement impossible de « voir le dessous du jeu », il n’y a en effet pas d’autre issue, lorsqu’on se trouve au rouet de la misère et de la grandeur, que d’imiter « ceux qui font comme s’ils croyaient » : une fois reconnu que « qui fait l’ange fait la bête », il est permis d’espérer, en retournant la fatalité indiquée par cette formule, que qui fait la bête parvienne à devenir ange, autant que sa condition le lui permet, en faisant son salut ». Avec la machine, la raison abêtie accepte sa propre misère ; acceptation de la limite, consentement serein et insensé à sa propre misère et en même temps, transition vers Dieu. L’aspect passif n’est pas un simple aveu d’impuissance. Il s’intègre dans une dynamique de la transition vers l’Absolu.

(14) Pascal, Pensées, Lafuma 202 / Sellier 234. La formule « Consolez-vous » rappelle le texte Pensée n° 8H r° (Laf. 919, Sel. 751) : « Console-toi, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé ».

(15) « Les choses parfaites (engendrent) imparfaitement, les choses imparfaites (engendrent) parfaitement ». Autrement dit, cela signifie : ce qui est parfait (comme l'ange) ne peut engendrer que de façon imparfaite (il illumine), car trop parfait pour se multiplier ou se diviser matériellement. Mais, ce qui est imparfait (comme la matière) engendre parfaitement, car cette imperfection lui permet précisément d'accueillir une génération divine.

(16) Charles de Koninck, Ego Sapientia : la sagesse qui est Marie, Québec, PUL, 1943.

(17) Do not let me hear

Of the wisdom of old men, but rather of their folly,

Their fear of fear and frenzy, their fear of possession,

Of belonging to another, or to others, or to God.

The only wisdom we can hope to acquire

Is the wisdom of humility: humility is endless.

(18) Antoine de Saint-Exupéry, Pilote de guerre, Folio, 1972.

Répondre à () :

| | Connexion | Inscription