Le célèbre hôtelier-restaurateur, ancien maire d’Espelette et président du Biltzar des maires du Labourd André Darraidou avait précédé de quelques mois le départ du cardinal Etchegaray (notre « Lettre » du 12 avril dernier).
Parmi les personnalités d’Espelette qu’il aimait citer, figurait le cardinal Etchegaray : certes, ajoutait-il, « nous ne sommes pas de la même génération – il a près de 25 ans de plus que moi – mais nous avions déjà des relations anciennes, du fait du voisinage et des liens forts existant entre mes parents et les siens. Et, un beau jour, je me suis trouvé avec lui dans un voyage de deux semaines où nous avions été invités tous les deux en Chine », sur les traces du missionnaire ezpeletar Armand David (*), au cours duquel le courant est passé et aujourd’hui, il y a presque une certaine complicité qui s’est instaurée entre nous, même si aujourd’hui j’avoue me sentir l’humble serviteur du cardinal, en lui arrivant à peine à la cheville ».
Et de me relater ce séjour en Chine : « Après un premier séjour sur les traces d’Armand David, le maire de la localité de Ya'an, village situé au sud-ouest de Chengdu, capitale de la province du Sichuan, m’avait invité, ainsi que le cardinal Etchegaray, lui aussi originaire de la cité du piment, à commémorer l'activité du missionnaire ezpeletar, « découvreur » du panda géant au XIXe siècle, afin d’inaugurer un centre de protection du panda. A ce propos, je me souviens d’une anecdote : sur le vol intérieur de Pékin vers Sichuan, le cardinal transportait dans une sacoche deux petites bouteilles de vin pour dire la messe sur place. Mais le service de sécurité à l’embarquement lui avait confisqué ces bouteilles et le cardinal de s’en rapporter à ses hôtes chinois. Or, le lendemain matin, à l’église catholique de Dengchigou et au « monastère » attenant (on y voit encore l’antichambre du Père David, où il offrait le thé à ses visiteurs et d’où il pouvait observer la multitude d’oiseaux dans les buissons, ainsi qu’une salle où il triait ses collections) les autorités chinoises avaient fait venir un prêtre de la région qui célébra la messe en chinois, alors que le maire, sur la demande du cardinal, était arrivé avec une bouteille de vin… de bordeaux ! A la réception qui suivit l’office, le cardinal se fit une joie de déguster avec ses hôtes chinois la fameuse bouteille qui n’avait pas servi à la messe. Car il a toujours aimé les bonnes choses, notre cardinal, et à son retour au pays natal, l’été, je lui envoie toujours des tripotx, il les savoure au petit-déjeuner »… Ainsi, l’amitié nouée au cours de ce voyage en Chine s’était poursuivie à Espelette. Car, depuis ce voyage en Chine, Andde et le cardinal firent de belles ballades dans la région ; surtout depuis l’« accident » du prélat à Saint-Pierre de Rome, Andde lui faisait faire, tant qu’il le pouvait, une petite marche quotidienne : « Et j’avais noté une amélioration des contacts avec les locaux, l’écoute plus attentive du cardinal aux petits problèmes du pays. Il y a trois ans, j’avais conduit le cardinal à la journée des Basques de Paris organisée à Achafla Baïta à Ascain. Son intervention en faveur de la défense de la langue et de la culture basque avait été fort appréciée, c’est là où on voit que ses racines le titillent ».
Entre autres, dans une préface à la réédition en 1981 des « Paroisses du Pays Basque pendant la période révolutionnaire » de l'Abbé Haristoy, le Cardinal Etchegaray avait écrit : « ...Je souhaite que de jeunes chercheurs viennent poursuivre et approfondir l'œuvre d'un curé obstiné qui avait le privilège d'écrire à une époque où les traditions orales et les souvenirs locaux commençaient à peine à s'estomper. Maintenant, il nous faut plus de courage mais autant de ferveur.
La Révolution a marqué chez nous un tournant, davantage encore une cassure dans notre histoire basque. Je suis bien convaincu qu'une meilleure connaissance de cette période dramatique nous aidera, peut-être, à mieux comprendre nos racines humaines et spirituelles ».
Par ailleurs, le cardinal suivait attentivement les initiatives pour achever le désarmement définitif de ETA, gage de la paix retrouvée en Pays Basque : quittant Rome pour rejoindre sa nouvelle vie à Cambo, le cardinal basque avait adressé en italien et en français ce billet d’adieu dont nous avions reproduit le contenu dans notre « Lettre du 31 mars 2017) : « Je sens battre le cœur d’un nouveau monde… Au bout du long chemin que Dieu m’a fait parcourir, à l’heure où le soleil décline, cette sorte de “testament” résonne en moi comme une tranquille évidence et se prolonge dans une action de grâce aux accents d’éternité. Oui, je sens battre le cœur d’un nouveau monde qui aspire inlassablement à vivre en paix !
La paix ! Après l’avoir si longtemps servie, je me rends compte que la paix est à faire en temps... de paix, encore plus qu’en temps de guerre.
Jamais autant qu’aujourd’hui la guerre ne s’est installée dans la paix. La violence se faufile partout au point de rendre la paix belliqueuse. Après les grandes guerres, voici que surgit le terrorisme. Pour dire adieu à la guerre, il ne suffit pas de dire bonjour à la paix ! Il y a un art de la paix. Il y a une science de la paix !
Oui, je sens battre le cœur d’un nouveau monde qui aspire follement à être aimé !
Les avancées d’un peuple vers l’humanité, à travers les siècles, ont été réalisées à partir d’alliances avec les pauvres. Le paradoxe de notre époque est qu’on s’éveille au drame des pauvres, avec une mentalité de riche, tandis que l’Eglise s’en approche avec un cœur de pauvre.
Oui, je sens battre le cœur d’un nouveau monde qui espère contre toute espérance !
J’aime trop l’espérance pour ne pas déplorer l’inflation verbale qu’elle subit et qui en fait, pour certains, une sorte de drogue. Elle ne se communique que par le témoignage. L’importance n’est pas ce que nous disons de l’espérance, mais comment nous en vivons au creux de notre vie quotidienne.
Pourquoi êtes-vous chrétien ? Bonne question !
Chaque fois qu’elle m’a été posée, je me suis senti rajeuni dans la foi baptismale, nettoyé de tous les embruns de la routine qui colle à ma veille peau.
Pourquoi suis-je chrétien ? Embarrassante question, qui m’a toujours fait bafouiller quand j’ai cherché à répondre tout seul et je ne m’en suis tiré que par une réponse plurielle, c’est à dire d’Eglise. L’Eglise. Que de fois ai-je médité les paroles de Jean Sullivan, ce prêtre passeur d’hommes. “L’Eglise est la communion de tous ceux, ni meilleurs ni pires, dont le regard est réglé sur une autre distance, qui ont l’air de désigner un territoire humain où la nuit est un peu moins dense, et qui donnent envie de croire que c’est de ce côté que l’aube poindra”.
JE CROIS QUE DIEU EST TOUT NEUF CHAQUE MATIN ET QUE SON EVANGILE ME REND NEUF CHAQUE MATIN ».
(*) Le Père David, lazariste originaire d'Espelette, avait entrepris deux aventureuses expéditions en Chine (1862-1870 et 1872-1874), au cours desquelles il collecta un grand nombre de spécimens et fit de nombreuses observations, qui accrurent grandement la connaissance de la flore et de la faune chinoises. Il avait égaklement identifié dans le Sichuan le panda géant, cet ours noir et blanc, qui est devenu le symbole de l'amitié entre la Chine et le reste du monde.