Avant de rendre son âme à Dieu, François de Xabier – car né au château de Jabier/Xabier en Navarre, mais de son nom Francisco de Jasso y Azpilicueta - avait retrouvé pour d’ultimes prières la langue basque de son enfance, selon ce qu’avait rapporté son secrétaire et compagnon de route chinois ; en souvenir de l’apôtre navarrais, comme chaque année depuis 1949, ce mardi 3 décembre sera placé sous le signe de l’euskara lors de la journée internationale qui lui est dédiée. Mgr Molères, qui fut évêque de Bayonne de 1986 à 2008, est l’auteur de « Saint François Xavier » chez l’éditeur « Parole et Silence ». Il nous a adressé ce texte que nous sommes très heureux de publier dans notre « Lettre Baskulture ». ALC
Saint-François-Xavier, conquistador du Christ
Qui donc était cet homme qui fut conquistador du Christ jusqu’au bout du monde ?
Il fut d’abord un homme fortement enraciné dans le terroir basco-navarrais ; né le 7 avril 1506 au château de Xavier en Navarre, altière demeure à trois tours, créneaux, donjon et pont-levis ; par son père, il descendait des Etcheberria, qui au XIVème siècle vivaient à Jaxu, village proche de Saint-Jean-Pied-de-Port en Basse Navarre, et par sa mère de la noble famille des Azpilcueta, de la vallée de Baztan, anoblie bien avant le temps de Charlemagne ; son père, Jean de Jaxu, docteur en droit de l’université de Bologne devint par sa compétence et sa réputation de sagesse, le conseiller préféré des souverains de Navarre et « alcade major », président perpétuel du Tribunal suprême de Navarre ; retenu à Pampelune par son emploi et les besoins de la Cour, il appelait souvent ses enfants auprès de lui, et de temps en temps séjournait auprès d’eux. Dona Maria et sa sœur célibataire élevaient les six enfants de leur mieux ; dans ce climat de foi et d’harmonie surgit un événement inattendu ; le 24 juillet 1512, le duc d’Albe s’empare à l’improviste de Pampelune au nom du roi Ferdinand de Castille ; le roi de Navarre Jean d’Albret doit fuir en vitesse, rejoint par son conseiller Jean de Jaxu. Le 15 juin 1515 Ferdinand réunit définitivement la Navarre à la Castille ; le 16 octobre de la même année, Jean de Jaxu, disgracié, meurt. Vaillamment, son épouse fait face, réduit le train de vie familial et fait appel à son cousin magistrat, Martin d’Azpilcueta qui vient se fixer au château, démantelé peu après par le premier ministre du roi Ferdinand ; après plusieurs péripéties, les deux frères aînés tiennent en échec les forces de Castille jusqu’au jour de la capitulation navarraise.
François vient d’avoir 19 ans ; Doña Maria, sa mère, malgré sa peine, l’envoie à la célèbre université de Paris, conquérir ses grades universitaires ; ainsi, après une enfance heureuse, deuils, guerres, revers, réduction du train de vie, lui apprennent à surmonter ces épreuves et à forger son caractère.
Car ce jeune étudiant est un caractère, « la plus dure tête qu’il me fut donné de pétrir » disait saintIgnace de Loyola. Vite, François-Xavier réussit dans ses études ; garçon brillant, sportif, à succès, il devient champion de saut en hauteur et maître ès arts, ce qui lui donne le droit d’enseigner, mais au collège Sainte barbe où il loge, il est co-chambriste avec un certain Pierre Favre – qui devint un saint – et Iñigo de Loyola, de 15 ans plus âgé, blessé au siège de Pampelune, parmi les troupes castillanes opposées aux Navarrais ; cet homme s’était converti et était parti compléter ses études en Sorbonne ; le jeune Xavier regarde de haut ce Guipuzkoan mal accoutré qui, au bon moment, lui rappelle la question dérangeante de l’Evangile : « que sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? »
Peu à peu, Ignace le guide sur les chemins de la vie spirituelle avec une méthode inspirée par l’Esprit-Saint et mise au point par lui : les Exercices Spirituels.
Désormais avec cinq autres jeunes, Xavier vit en équipe autour d’Ignace et le 15 août 1524, les sept prononcent leurs vœux de pauvreté, chasteté, obéissance et mise à la disposition du pape. Une nouvelle vie commence ; durant onze ans, dont cinq ans sur mer, dans des conditions souvent très dangereuses, ce jeune missionnaire, avec sa foi de converti, vit à fond son attachement au Christ ; il veut le faire connaître à l’autre bout du monde ; dans ce but, il part en Inde, à Malacca, en Malaisie, en Indonésie, au Japon, après avoir essuyé d’énormes tempêtes : « je n’ai peur de personne, sinon de Dieu, je tiens pour du néant toutes les autres craintes » écrit-il un soir à un ami jésuite.
Dans chaque pays où il débarque, il se préoccupe de trouver un traducteur pour traduire un catéchisme très élémentaire en tamoul, en malais, en japonais ; puis il va soigner les malades et vivre parmi les pauvres ; il paie de sa personne ; « il faut oser semer l’Evangile » disait-il.
Durant ces onze années de solitude et de fondation missionnaire, cet homme intrépide évolue intérieurement par l’action de l’Esprit-Saint ; dans sa première formation, il avait reçu une formation chrétienne rigoureuse, une théologie intransigeante ; progressivement il porte un autre regard sur Dieu et les gens qu’il rencontre ; il découvre que les païens ont aussi leurs valeurs et que lui-même peut bénéficier des ressources de leur culture ; lui qui pensait que les enfants morts sans baptême ne voyaient pas Dieu, à force d’expérimenter dans la solitude et l’épreuve la grâce de Dieu, modifie ce point de vue si radical.
Il fait encore une autre découverte spirituelle de taille ; au départ il pensait pouvoir rendre service à Dieu en lui offrant de nouveaux chrétiens, issus de pays et de cultures nouvellement évangélisés ; avec le temps il découvre dans l’action de grâce que Dieu lui accorde la faveur d’être son envoyé et qu’il doit lui en savoir gré, humblement.
Tout jeune converti, il avait rêvé d’aller en pèlerinage à Jérusalem ; au soir de sa vie, il croit encore qu'il y a une route par la Chine vers Jérusalem ; il découvre dans la solitude et la maladie, sous une paillotte fouettée par les vents, que Jésus vient à lui ; dans son délire il prie, sans doute en basque, puis en latin ; l’ilot de Sancian, au large de Canton, face à la Chine, lui sert de tombeau ; Jésus vient l’y chercher. Xavier n’a plus besoin d’aller à Jérusalem.
Une pieuse légende raconte (mais la légende contient souvent des éléments plus vrais que l’Histoire) qu’à des milliers de km de là, dans le manoir navarrais de Xabier, la croix du Christ qui se trouve dans le couloir d’accueil du château, se couvrit d’une mince pellicule de sang, alors qu’il agonise.
François, conquistador du Christ est enfin parvenu au but de son voyage, recru de fatigue et de sueur, mais toujours passionné de Dieu.
« L’amour ne dit jamais assez » dit l’Ecriture ; « L’enfer n’est pas si vaste que l’amour » ajoute Claudel.
Le 3 décembre 1552, François de Xavier meurt sous le regard de Dieu. A sa manière, il a vécu dans sa courte et tumultueuse existence, le mystère pascal, avec sa double expérience de bondissements et de piétinements, d’audacieuses cavales et d’interminables attentes, de mort et de résurrection.
Cinquante ans après, un autre jésuite, le Père Matteo Ricci pénètre en Chine avec d’autres méthodes, d’autres audaces et d’autres patiences, car nous dit saint Vincent de Paul : « L’amour est inventif à l’infini ».
+ Pierre Molères, évêque émérite de Bayonne