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L'éducation de l'enfance aujourd'hui, et celle des garçons ?
L'éducation de l'enfance aujourd'hui, et celle des garçons ?

| François-Xavier Esponde 1498 mots

L'éducation de l'enfance aujourd'hui, et celle des garçons ?

A - De la pensée positive en éducation des enfants ?

Dans le récent ouvrage "Critique de la pensée positive. Heureux à tout" aux éditions ERES, le sociologue Gérard Neyrand, spécialiste reconnu pour ses analyses sur la famille réfléchit à l'éducation positive pratiquée par les parents autour de leurs enfants depuis quelques décennies.

Le nombre des "burn-out" ou déprimes des parents et des grands-parents et le rejet de mesures pour encadrer l'éducation des enfants interroge le praticien.

La critique de l'éducation positive la rend laxiste pour les uns, et le cadre de son application pose question aux jeunes parents. Son origine vient d'Amérique et dans le prolongement de la pensée positive suivant le projet de pasteurs, Peale Murphy qui l'ont inspiré. Des réflexions religieuses et scientifiques mêlées dès les années 50 plaident pour la quête individualiste du bonheur. Reprise à la fin du XXème siècle par la psychologie positive en trois dimensions, l'importance de l'affectivité tout d'abord, dès la petite enfance et la critique des mesures éducatives ordinaires, (tapes, chantages, humiliations) et la présence d'un cadre ordinaire tel que promu par le Conseil de l'Europe qui rappelait pour l'enfant (en 2006) la nécessité des interdits à visée éducative. La formulation n'est nullement laxiste mais a pris le champ d'une dérive. "Par les médias et les réseaux en vouloir évacuer les interdits la version devient publicisée par des coachs en éducation de la parentalité. En empruntant cette voie les parents deviennent laxistes malgré eux et empruntent un chemin d'incertitude quant à la meilleure façon de faire pour leurs enfants pour être de bons parents"

Le sociologue interroge, comment cette éducation bienveillante est-elle devenue source de problème ?

En oubliant par trop souvent la nécessité du cadre, en assimilant les interdits ou les sanctions à des violences voulant s'aligner sur des courants scientifiques comportermentalistes en psychologie et les neurosciences qui ne sont pas habilitées à donner des directives en matière éducative.

"L'étude du cerveau est loin, dit l'auteur, d'approcher une compréhension de l'humain dans son ensemble et sa complexité comme rapporté par des scientifiques tels, Vandenbroeck en 2017, Moukhelber en 2024, Gonon en 2024". Cette volonté de scientificité en rejetant les acquis de la clinique de la psychanalyse ou évacuant les éléments de l'environnement qui dictent les règles de la sociologie, se coupe de tout ce qu'ont apporté les savoirs en matière d'éducation et de développement de l'enfant. Certains tenants de l'éducation positive reconnaissent la nécessité d'un cadre, mais ne sont pas majoritaires. Face au risque de nombreux parents sont amenés à prendre des précautions pour préserver des repères face au risque épuisant de se trouver privés de telles ressources psychologiques. Tel est le cas de mères livrées seules à cet accompagnement parental  rapportées par des enquetes de chercheuses belges, en 2018, Mikolajczak, Roskam montrant qu'en vingt ans les déprimes parentales ont multiplié de dix ?

En voulant user de connaissances scientifiques détournées ou adaptées à des comportements personnels, certains spécialistes ont décrété pour exemple que le cerveau de l'enfant pouvait sécréter du cortisol, l'hormone du stress, chez l'enfant contrarié par un parent. Aujourd'hui, des avis contradictoires de partisans ou d'opposants interviennent et contrarient le sens commun des choses, face à ce que d'autres ont déjà apporté et semble refusé de principe.

En glissant de l'autoritarisme vers le contraire, la théorie consiste à penser que l'enfant est capable seul de s'élever sur la base de ses désirs  à condition d'être accompagné, et non plus éduqué, par ses parents. Ce qui est un contre-sens du développement de tout enfant  privé de maturité pour s'auto-éduquer. Par la pensée positive, chacun développe sa petite entreprise et ne veut abîmer celle des enfants ?

Cette idée, dit l'auteur, dépasse le cours du XXème siècle en promouvant une idée typiquement néo libérale que l'individu est une entreprise qu'il faut faire fructifier, comme opinait Michel Foucault dès les années 1970. Pris en cet état, l'enfant et sa représentation sociale renvoie au statut imaginaire de l'enfant au XXIème siècle. Un article du penseur Marcel Gauchet rapportait en 2015 dans la revue Le Débat que "l'enfant est considéré comme le lieu de tous les possibles et doit être préservé de toutes contraintes qui étoufferait sa richesse intérieure"

Vieille pensée de Jean-Jacques Rousseau, l'homme est bon comme le serait l'enfant, la société le rendant mauvais, ou pire, l'influence parentale oppressive sur un être immature et indéterminé, qui le rend ambivalent selon les circonstances.

Le vouloir être heureux de l'enfant pour les parents en demande eux aussi selon la volonté néolibérale d'inspiration américaine de Cabanas, Illouz en 2018. Mais tel n'est pas le destin inné de l'enfance. L'enfant humain, à la différence des petits des autres espèces animales, naît très prématuré, car sa "néoténie, comprenez sa plasticité cérébrale" lui donne une capacité d'apprentissage inouïe, transmise de son environnement !

Le propos touche la sensibilité actuelle de parents en résonance avec d'autres éducateurs. Un discours uniforme à l'adresse des parents qui ne tient pas compte de leur condition réelle de vie disparate qui complexifie le programme. L'acquisition des normes, des références se faisant par divers canaux, désormais les parents ont le rôle de réguler les influences sur leurs enfants mais le temps de ces derniers en classe, devant leurs écrans, est bien supérieur au temps passé avec leurs parents. Aujourd'hui, un enfant passe plus de temps devant un écran - ordinateur, smartphone -, qu'à l'école sur un an, Les injonctions éducatives sont désormais partagées entre tous, parents, enfants, enseignants, éducateurs en solidarité éducative !

B - Repenser l'éducation des garçons ?

On n'éduque jamais les filles et les garçons à l'identique. Pour les garçons, la performance et la conquête dominent, pour les filles, le sens des autres et de l'attention personnelle.

"Lors de procès récents, la socialisation des garçons et les violences font surface et les sociologues évoquent des formes toxiques de la masculinité"

Des livres évoquent ce thème, tel "Tu seras un homme -féministe- mon fils" Marabout 2018 d'Aurélia Blanc, ou le mythe de la virilité, "Un piège pour les deux sexes" Laffont, 2017 d'Olivia Cazalé. D'Ivan Jablonka, Des hommes justes. "Du patriarcat aux nouvelles masculinités" au Seuil en 2019. Mais encore de Francis Dupuis Déri  "Les hommes et le féminisme, de faux amis, poseurs ou alliés" ? de Christine Castelain Meunier, "Les hommes aussi viennent de Vénus", Larousse en 2020, "La volonté de changer. Les hommes, la masculinité et l'amour", Divergences en 2021.

La mixité des années 1970 interroge encore : "Des filles chez les garçons" de l'historienne Geneviève Pezeu. "L'apprentissage de la mixité", Vendémiaire 2020. La volonté d'inscrire les filles aux études avec les garçons, à part égale de réussite, ont inspiré l'historienne Fanny Gallot, ou la philosophe Camille Froidevaux Metterie dans "Patriarcat la fin d'un monde", Seuil 2024. Inverser l'ordre des valeurs n'étant pas envisagé pour les garçons !

Une enquête du Pew Research Center aux Etats-Unis rapporte que si 76 % des sondés se rapprochent des formations des garçons, ils ne sont que 64 % à vouloir l'inverse !

"Le petit manuel pour dépasser les stéréotypes  et élever des garçons libres et heureux", Nathan 2020, est instructif sur ce thème.

Les Etats-Unis demeurant toujours un laboratoire sur ces questions éducatives des enfants, Des livres de médecins neurobiologistes, telle Danièle Tritsch avec Jean Mariani de "Sexe et Violences comment le cerveau peut tout changer" ajoutent un volet médical au sujet.

Les philosophes interrogés soulignent une contradiction  fondamentale entre une société qui interdit les comportements sexistes et une socialisation qui continue à promouvoir  des modèles relevant de la "virilité toxique", selon la sociologue Christine Castelain-Meunier.

L'héritage patriarcal des usages distingue les activités des garçons et des filles, un phénomène renforcé en socialisation différenciée en famille et à l'école comme confirmé encore dans les règles éducatives.

C - Le masculin appris dès le premier âge ?

Simone de Beauvoir avait rapporté, "on ne naît pas femme, on le devient" comme pour les garçons eux-mêmes ! Le masculin s'apprend dès le plus jeune âge selon Ivan Jablonka, historien, "à travers des comportements, des rites associés à une forme de dignité morale et sociale". Sur un modèle de la garçonnité de la Rome antique à la France de la IIIème République. Le modèle a transmis selon les époques, le pater familias dans l'antiquité, le chevalier ou le moine au Moyen-Âge, le soldat à l'époque moderne. Ou encore le Sénat romain, le service militaire ou l'éphébie en Grèce, le tournoi médiéval et le lycée à l'époque napoléonienne, puis la caserne au XIXème siècle, en remettant la toge virile aux garçons romains, l'adoubement des chevaliers aux jeunes du Moyen-Âge, plus tard le service militaire pour tous, les pratiques perpétuent les usages.

Et l'éducation des garçons demeure une question variable selon les époques, jamais close et toujours en recherche de sens. Des Etats-Unis viennent des théories contrastées, changeantes, et parfois restauratrices de traditions éducatives imprévisibles !

Chacun toise le vis-à-vis, dans et hors de l'école, dans et autour des familles, dans la société et les associations. Le modèle idoine n'existe pas encore !

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