Rudolf Höss est né en Allemagne en 1901. Dès son adolescence, il tourne le dos à l’éducation catholique que tente de lui inculquer sa mère. A 16 ans, il s’engage dans l’armée impériale allemande et participe à la Première Guerre Mondiale (1914/1918) ; il est décoré de la croix de fer.
Après le conflit, lors des soubresauts de La République de Weimar (1918/1933), il s’engage dans les corps-francs, formations paramilitaires d’extrême droite. En 1924, il est condamné à 10 ans de prison pour assassinat d’un militant communiste (son complice serait Martin Bormann, futur conseiller d’Hitler). Il sort de prison dès 1928.
Affilié au parti nazi en 1922, il entre dans la SS (Schutzstaffel) en juin 1934 ; il y commence une brillante carrière au sein du système concentrationnaire nazi crée quelques mois après l’arrivée d’Adolf Hitler à la chancellerie (30 janvier 1933).
Il est nommé commandant du camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau en Silésie (Pologne), le plus vaste complexe concentrationnaire nazi de mai 1940 à décembre 1943. A cette date, il est promu, compte tenu de son « expérience », de sa « compétence », au poste d’inspecteur général des camps de concentration et d’extermination nazi implantés dans les territoires conquis par la Wehrmacht. Il reprend son poste de commandant à Auschwitz-Birkenau de mai 1944 à août 1944, avec le grade de lieutenant-colonel afin de « traiter » la déportation massive de juifs hongrois (320.000 hommes, femmes et enfants).
Zélé, il avait mis en place un système d’extermination rapide grâce au Zyklon B, un pesticide puissant qui, diffusé dans l’air ambiant, dégage un gaz mortel dans des pièces closes (chambres à gaz) où sont entassé les détenus, entièrement nus, promis à la mort par asphyxie.
Nazi convaincu, il obéit aux ordres du plus haut gradé de la SS, Heinrich Himmler (1900/1945) en ce qui « la solution finale », soit l’extermination des juifs européens et soviétique (11 millions au total). Ce terrible ordre a été rédigé par Adolf Eichmann (1906/1962), secrétaire de la Conférence de Wannsee (janvier 1942), présidée par Reinhard Heydrich (1904/1942), le second d’Heinrich Himmler au sein de la SS.
En 1929, Rudolf Höss avait épouse Hedwig Hensel, une jeune femme au caractère trempé, qui lui donnera cinq enfants. Hedwig est le prototype de la femme allemande telle que le régime hitlérien le souhaite : Kinder, Küche, Kirche (les enfants, la cuisine et l’église).
En mai 1940, Rudolf Höss, sa femme Hedwig, ses cinq enfants, Klauss, Heidetraut, Ingebrigitt, Hans-Jürgen et Annegret leur dernière petite fille, s’installent dans une villa pimpante, en stuc, de deux étages. Cette dernière n’est séparée du camp d’Auschwitz-Birkenau que par un haut mur d’enceinte.
La Zone d’intérêt, euphémisme du langage nazi pour désigner les camps de concentration et d’extermination, commence par un long écran noir et une musique inquiétante, trouée de quelques sourdes sonorités anxiogènes. C’est l’été. L’écran s’éclaire d’un coup sur un groupe joyeux de baigneurs pique-niquant au bord d’une rivière : c’est une excursion familiale du commandant Rudolf Höss (Christian Friedel), sa femme Hedwig Höss (Sandra Hüller), leurs cinq enfants et deux domestiques. Ce petit groupe, après le pique-nique, embarque dans deux berlines noires, puis s’achemine à travers la campagne vers la belle villa qui jouxte le camp d’Auschwitz-Birkenau.
Hedwig Höss, la trentaine, est très fière du grand jardin floral, du potager et d’une grande serre qu’elle a fait aménager près du domicile conjugal. « Ce n’était qu’un champ, il y trois ans » dit-elle. Au milieu de ce site paradisiaque une piscine a été construite où s’égayent les enfants du couple et quelques invités.
Quelques amis, la mère d’Hedwig, viennent rendre visite à la maîtresse de maison et profiter de cet Éden. Cependant, des cris, des gémissements, des détonations proviennent de l’autre côté du mur d’enceinte qui court le long du jardin paradisiaque d’Hedwig. Tous ou presque s’en accommodent, indifférents…
Rudolf Höss, commandant du camp, est un bourreau de travail, très obéissant envers ses supérieurs, amoureux de sa femme et de ses cinq enfants. Pour lui manifestement, il n’y a pas de contradictions entre sa fonction de chef à Auschwitz-Birkenau et son bonheur familial.
A son anniversaire, il est fêté tour à tour par sa famille et par ses subordonnés, regroupés sur le perron de la villa. C’est un officier respecté. Ses journées de travail sont longues, harassantes : surmené, il s’épuise à sa tâche …
Pour filmer Zone d’intérêt, le metteur en scène Jonathan Glazer (58 ans) et son chef décorateur, Chris Oddy, ont mis en place à Auschwitz-Birkenau même, un dispositif important : une maison reconstruite à l’identique de celle du commandant (deux étages, dix pièces), truffées de caméras de surveillance.
Le metteur en scène pouvait diriger plusieurs scènes simultanées grâce à son réseau de caméras en étant face à des écrans de contrôle (une douzaine) à distance, dans un bunker aménagé à cet effet. Ainsi, le vie quotidienne, banale de la famille Höss, de ses deux domestiques (internées en raison de leur appartenance aux Témoins de Jéhovah) pouvait se dérouler en continuité, sans tourner de courtes séquences comme de coutume au cinéma.
La banalité des faits et gestes des occupants de la villa est d’autant plus dérangeante car hors champs visuel, nous entendons sans cesse, jours et nuits des cris de détresse, des exclamations, des détonations. Derrière le mur d’enceinte, monte dans le ciel une fumée noire : elle est produite par des fours crématoires.
Pour obtenir la qualité détachée de la photographie de La Zone d’intérêt, le directeur de la photographie polonais Luk Zalasz a usé d’objectifs grand-angle (courtes focales) et de cadres (images sur l’écran) très géométriques : « On voulait que la caméra soit comme un œil » dit-il.
A ces images glacées, rigoureusement cadrées, s’ajoute en fond sonore quasi permanent, une bande son perturbante : celle des suppliciés et leurs bourreaux de l’autre côté du mur. C’est un choc ! En quelque sorte nous assistons simultanément à deux œuvres : la visuelle et la sonore. Le concepteur sonore Johnnie Burn nous propose durant la projection de ce long métrage, des ambiances sonores immersives, dérangeantes pour le spectateur.
La Zone d’intérêt est une adaptation éloignée du roman éponyme de l’anglais Martin Amis (1949/2023). Bien que de nombreux films avaient été tournés sur la « Shoah » depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale (entre 120 et 150, hors téléfilms), celui-ci nous propose un point de vue particulier : celui des bourreaux, petits bourgeois sans affects, fonctionnaires obéissants et zélés. « La banalité du mal », suivant la définition de la philosophe américaine Hannah Arendt (1906/1975) au sujet du procès d’Adolf Eichmann (1961), « l’architecte » de la « solution finale » dont l’application a nécessité de nombreux exécutants avertis et consentants.
Jonathan Glazer qui portait le projet de La Zone d’intérêt depuis neuf ans (dernier opus en 2013 : Under the Skin) a arrêté une forme cinématographique inédite qui adossée à des faits passés terrifiants (80 ans) nous interpellent sur notre présent : l’indifférence aux autres, pourvoyeuse (possible) d’annihilation.
Soulignons qu’après son rôle d’intellectuelle dans L’Anatomie d’une chute de Justine Triet, l’interprétation de Sandra Hüller (Hedwig Höss) dans celui d’une femme allemande ordinaire, adepte convaincue de l’idéologie nazi, soucieuse de son bonheur familial, est extraordinaire.
La Zone d’intérêt a été retenue en sélection officielle au le Festival de Cannes 2023. Le film a reçu le Grand Prix pour Jonathan Glazer, le Prix CST de l’artiste technicien pour Johnnie Burn sound designer et celui de Cannes Soundtrack Award pour la musique originale de Mica Levi. Une très grande œuvre !