1 - Visages féminins polémiques.
Il semble difficile aujourd’hui de relater le rapport historique troublé et irascible qu’entretinrent les deux institutions religieuses, l’israélite la plus ancienne de la synagogue et celle de l’église, ecclesia. Il fallut attendre le XXème siècle pour apaiser les relations réciproques dans leurs représentations artistiques et religieuses.
L’art en fut la vitrine la plus visuelle du passé. Le Moyen Age excella en allégorie des deux figures féminines, belles toutes deux, mais quasi-rivales dans l’esprit qui mena jusqu’à l’aveuglement de l’une et de l’autre par le refus de reconnaître leur propre spécifique universalité.
Le sculpteur représentant ecclesia comme une figure royale, couronnée, tenant le sceptre ou la hampe crucifère, tandis que synagoga est sans couronne, mal coiffée, sans gloire, la tête détournée d’un regard vide et perdu, tenant à la main les Tables de la Loi ou quelque Torah déconsidérée!
La caricature est à son sommet d’infamie. Elle appartient aux cathédrales d’Europe. La théologie de la substitution séculaire de synagoga par ecclesia atteint le paroxysme du mépris.
L’ecclesia, véritable Israël, remplace le judaïsme primitif, la première alliance est destituée dans les esprits de ces mentors incultes.
La nouvelle Eve prend le pas sur l’ancienne ?
Du IXème et tout au long du Moyen Age, l’antijudaïsme inspire les sculpteurs qui usaient des ivoires et des miniatures pour diffuser cette vision funeste de la foi biblique et développaient une hostilité artistique en vue de diaboliser le judaïsme.
La référence à 2 - Corinthiens 3,13-16 donnait le ton dès le IIème siècle à cette lecture sommaire de l’histoire de la foi judéo-chrétienne.
Justin de Naplouse dans son Dialogue avec Tryphon illustrait le récit des deux filles de Laban du livre de la Genèse, Léah et Rachel.
Justin parlant à Tryphon cite “Léah est ton peuple et la synagogue. Rachel est notre église, Léah a les yeux faibles et les yeux de ton esprit sont aussi faibles”..
Ecclesia s’appuiera sur la crucifixion et la descente de Jésus de la croix, incontournables pour le chrétien et objets de l’opposition judéo-chrétienne sur le sujet.
Les miniatures décrivent dix commentaires de Drogon vers 830 où Ecclesia tend un calice sur le côté de Jésus sur la croix et recueille le sang du sacrifice du Christ. Un vieil homme aux cheveux blancs illustre le judaïsme, et l’ancienne alliance mise à l’index chez les chrétiens pour reconnaître les véritables créances de la nouvelle histoire sainte.
La couleur jaune dominante de ces miniatures parle le langage de Judas, la perfidie et la mort contenues dans cette couleur terreuse que l’histoire juive connaîtra au long de son histoire.
2 - Le pouvoir de l’image pour le temps médiéval.
Les livres illustrés en ivoire de Metz, les miniatures de la fin du Ier millénaire sont les témoins de ce récit de l’art et du message orienté pour les croyants avec leur langage polémique avéré du sujet.
Si deux femmes sont placées juxtaposées l’une à l’autre dans des sculptures de cathédrales, elle ne semblent hostiles ni rivales mais dans une relation distincte peu amène et peu disposée à dialoguer.
La théologie de ce temps développera la pensée de la substitution de la foi chrétienne à la foi juive, en ces XII-XIIIèmes siècles où des savants ont connaissance des rapports entre le judaïsme et le christianisme, tout en demeurant cependant éloignés de la foi populaire entretenue dans l’hostilité ou l’ignorance mutuelle.
L’Université de Paris en est un exemple, mais la nature de ces débats demeure confidentielle.
A cette époque, on représentait le juif dans les manuscrits, livres et bibliothèques, et le judaïsme, coupables de déicide, et la rencontre pour l’heure était improbable des deux communautés issues du même rameau originel mais peu préparées à le comprendre.
La Rhénanie allemande sera le terreau le plus riche d’une population juive nombreuse mais vivant en autarcie dans un environnement hostile ou peu disposé à le changer.
Dans le récit Hortus Deliciarum au XIIème siècle, l’auteur Herrade de Landsberg fait le descriptif le plus illustré de la synagoga, la tête renversée comme dans les statuaires des entrées de cathédrale, la lance brisée à la main, être à l’âme indocile, les cheveux ébouriffés comme l’image défigurée de l’humanité dans son rapport avec l’Auteur suprême de la vie spirituelle.
Ecclesia y chevauche une monture tétramorphe, où les 4 évangélistes sont représentés noblement, toisant de leur superbe la figure défaite de synagoga en ses attributs indigents et dépouillés.
Les historiens de l’art et du théâtre de rue se souviennent des caricatures grossières d’amuseurs publics jouées sur les places parisiennes pour railler Synagoga et la Torah dont on détruira par la suite des charretées de livres confisqués pour éradiquer une bible considérée comme imposture de la vie commune des croyants !
Une histoire peu glorieuse dont on aurait raison de repousser les phantasmes et les inversions.
Les cathédrales anglo-saxonnes demeurèrent les dépositaires de la représentation controversée des relations judéo-chrétiennes, de déchéance et de diabolisation de synagoga, ainsi qu'à Metz, Fribourg, Bamberg, Bamberg, Magdebourg, Minden, où synagoga et ecclesia, en fait d’égard ne cultivèrent l’une pour l’autre que désinvolture et mépris souverain.
Les cathédrales de Paris et de Strasbourg ne se privèrent pas à leur tour de ces inspirations conventionnelles du sujet où un premier portail de 1225-35, puis le second de 1285 reprit le même sujet dans le même édifice.
Viollet-le-Duc dans le tome 5 du dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIème au XVIème siècle mentionne l’église Saint-Seurin de Bordeaux et Strasbourg comme quasi exceptions à la pratique grossière d’un sujet esthétique déplacé à ses yeux absent de représentation publique dans la plupart des cathédrales du royaume de France !
Le bandeau sur les yeux de synagoga est remplacé par celui du serpent à Paris, image belliqueuse, infamante du judaïsme qui se maintint jusqu’au XXème siècle en Europe, où la personnification négative de synagoga fut entretenue par des artistes en leur statuaires et sculptures conventionnelles, peu avisées de l’histoire de la foi religieuse judéo-chrétienne.
Vatican II et Nostra Aetate célébrèrent en 2015 lors du cinquantenaire de la parution de la Déclaration romaine ce changement radical, donnant enfin toutes lettres de noblesse au dialogue inter-religieux, juif et chrétien. La sculpture en bronze réalisée par Joshua Koffman, à l’Université Saint-Joseph de Philadelphie et bénie par le pape François, permit de réviser ces canons de sectarisme inappropriés entre juifs et chrétiens concernant l’origine de la foi commune qui nous unit.
Mais l’histoire fut imprégnée durablement de ces imageries. Les sculptures des portails de cathédrale en sont bien la preuve indélébile
3 - La Synagogue et l’Eglise dans leur histoire architecturale.
La plus ancienne synagogue remonterait au VIème siècle avant J.-C., dès la destruction du premier Temple de Jérusalem. Lorsque le second temple est construit en 516 avant J.-C., les petites synagogues ne disparaissent pas du paysage et conservent leur mission de rassemblement des fidèles.
Lors de la destruction du second temple, “la synagogue devient mobile” et la communauté des hommes prime sur le lieu sacré détruit. Les israélites préservent “la bima”, table sur laquelle est déposé le rouleau de la Torah ainsi qu’une armoire qui contient le parchemin.
Jusqu’au XIXème siècle, disent les historiens, le rôle de la synagogue a peu évolué depuis les premières synagogues anciennes.
Le modèle dominant de l’Eglise servit à la construction de synagogues comme celle de la Victoire à Paris, celle du quai Kléber à Strasbourg, construites à l’identique de l’église attenante (*)
Une ressemblance qui ajoute jusque la fondation d’un clergé composé de rabbins qui portent des vêtements similaires à ceux des curés.
La shoah et les fondements de l’identité juive accentuèrent le caractère du sujet.
La bima et le retour à l’étude biblique prévaudront sur la comparatif architectural.
La synagogue conjugue l’espace de prière, celui des études et d’une convivialité, piscine, salle de sports, faisant de la synagogue un lieu communautaire inédit dans les villes contemporaines en Europe !
(*) Synagogues, une architecture de l’identité juive de Dominique Jarrassé chez Adam Biro.