« La Révolution de 1917, les Moscovites n’en verront pas la couleur. Plutôt que de célébrer Lénine, Vladimir Poutine préfère exalter le patriotisme russe. Au grand dam des intellectuels de son pays ». C’est la couverture de Télérama, ancien journal catholique ! Et alors que dans la République française, fille de la révolution de 1789, on commémore la révolution de cet Octobre rouge, les Russes, qui renouent avec la Sainte Russie et leurs racines religieuses, rendent hommage aux victimes du communisme, plusieurs dizaines de millions de morts en 70 ans : en compagnie du patriarche Cyrille, Wladimir Poutine a inauguré à Moscou, sur l’avenue Sakharov (du nom de l’ancien dissident, prix Nobel de la paix), un monument à la mémoire des victimes du communisme, intitulé « Mur du chagrin » ou « Mur de la douleur » (Stena skorbi). Cette manifestation était soutenue par « Mémorial », la principale organisation russe de défense des droits de l’homme, et par la Fondation Soljenitsyne, le 30 octobre étant en Russie le jour officiel de commémoration des victimes des répressions politiques.
« Il ne s’agit pas d’une révolution ou d’une insurrection qui aurait mobilisé les masses, comme disent les communistes. Elle n’a impliqué que quelques milliers de soldats mutins et de Gardes rouges contre un pouvoir en déliquescence, les combats ont fait moins de cinq morts à Petrograd », rappelle Stéphane Courtois dans un entretien publié le 5 novembre dernier dans « Les Echos ». Ce professeur à l’université de Paris X et directeur de recherches au CNRS, engagé à l’extrême gauche dans sa jeunesse avant de dénoncer une idéologie communiste qu’il juge « fondamentalement totalitaire et violente » a été le maître d’œuvre des ouvrages collectifs
« Le livre noir du communisme, crimes, terreur, répression » (Robert Laffont, 1997) et
de « Communisme 2017 », paru récemment chez Vendémiaire ; il est également l’auteur de « Lénine, l’inventeur du totalitarisme » (Perrin). Et d’expliquer : « Le 6 novembre correspond à une « prise d’armes », ou une « révolution soldatesque », comme l’a dit Boris Pasternak, quelques milliers d’hommes s’emparant de points stratégiques. Après le 6 novembre, le parti mené par Lénine s’empare très vite de tous les leviers du pouvoir, au détriment des mencheviks et des socialistes-révolutionnaires (SR), jusqu’à la dissolution en janvier 1918 de l’Assemblée constituante élue en novembre, où les bolchéviques étaient très minoritaires, la dernière instance véritablement démocratique du pays avant sept décennies ».
Quant à la pertinence d’établir un lien entre les révolutions française et russe : « Toutes les deux, après une première phase de révolution politique démocratique, en mars en Russie et en 1789 en France, basculent dans la dictature et la terreur, sauf qu’il faut de trois à cinq ans en France et huit mois en Russie » (voyez notre article dans la rubrique « tradition » sur « La révolution de 1917 contre la spiritualité russe et l’identité chrétienne européenne ».
A cet égard, il convient de souligner la « culpabilité » essentielle de Lénine, même si la mythologie de gauche oppose souvent le « gentil » Lénine au « méchant » Staline dévoyant la révolution. C’est faux, répond toujours Stéphane Courtois dans « Les Echos », « Lénine montre clairement dans un discours, dès avril, qu’il prépare la guerre civile, avec des slogans comme « Pillez les pillards ». Durant trente années de radicalisation, Vladimir Ilitch Oulianov a théorisé et préparé un totalitarisme inédit dans l’Histoire. Il est le prototype de ce que Hannah Arendt appelle « une volonté de domination totale ». Il ne s’agit plus d’avoir le monopole du pouvoir politique, comme les autres dictateurs auparavant, mais aussi de remodeler toute la société selon la doctrine marxiste, et de contrôler jusqu’aux individus, à une échelle inconnue jusqu’alors. Il s’empare de tous les leviers économiques, détruit méthodiquement la propriété privée, antidote au contrôle politique. Le parti unique phagocyte les organes de l’Etat, s’empare des banques, des usines et des terres ; il installe des camps de concentration qui préfigurent les goulags, abroge le Code pénal, crée dès décembre 1917 la Tcheka ; celle-ci n’est pas une police politique ordinaire comme l’Okhrana tsariste, elle ne remet pas les personnes arrêtées à la justice mais les torture et les exécute sans aucun contrôle. Tous les pouvoirs au Parti, en toute impunité. On ne voit pas l’équivalent chez Napoléon, Bismarck, Franco, ou Pinochet. Cela va inspirer Mussolini puis Hitler, qui mettent toutefois des années à parvenir à une intensité équivalente de terreur. Entre 1923 et 1937 en Italie, le nombre de victimes du régime se compte en dizaines, contre 10 millions en Russie » !
ALC