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La critique de Jean-Louis Requena
La Légende du roi crabe (106’) - Film italien d’Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis
La Légende du roi crabe (106’) - Film italien d’Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis

| Jean-Louis Requena 616 mots

La Légende du roi crabe (106’) - Film italien d’Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis

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Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis ©
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"La légende du roi crabe" ©
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Au début du XXème siècle, un prêtre en soutane, dégingandé, filiforme, les pieds dans l’eau, observe, au coucher du soleil, la surface d’un lac. Nous sommes en Patagonie, sur la Terre de Feu.

Vejano, village de la région de Tuscie au Latium (Italie). Des chasseurs se rassemblent pour manger et boire après une journée de chasse. Des chansons fusent, des blagues aussi : l’atmosphère est chaleureuse. L’un des convives commence à raconter l’histoire de Luciano (Gabriele Silli), le fils du médecin du village. Tous connaissent la légende de cet homme de la fin du siècle précédent, mais chacun la rallonge, l’agrémente à sa façon. Cependant, ils sont unanimes : c’était un ivrogne, un peu illuminé, qui errait dans le village en affrontant l’autorité du moment, celle du Prince des lieux et de ses affidés. Il voulait libérer les paysans éleveurs de moutons de toutes les barrières physiques et/ou symboliques. Dans l’auberge tenue par un ami, fin saoul, Il proclamait les vertus d’un régime républicain

Les gens du village le fuient ou se moquent de lui … La maréchaussée inféodée au Prince, le surveille. Luciano est amoureux d’Emma (Maria Alexandra Lungu) la fille du berger Severino (Severino Sperandio) qui réprouve l’union possible des deux amants …

Cette histoire contée par les chasseurs est la première partie de La légende du crabe intitulée : « la sale affaire de Sant’Orsio ». Elle s’achève sur un deuxième volet inattendu, tout aussi étrange : « Le trou du cul du monde » … Brutale ellipse cinématographique de l’Italie à la Terre de Feu, en Argentine, pays d’accueil des émigrants italiens.

Un deuxième récit, épique, commence avec Luciano aux confins du monde…

La légende du roi crabe est le premier film de fiction des jeunes réalisateurs italiens Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis (35 ans tous deux). Jusqu’alors, le duo n’avait réalisé que deux documentaires : Belva Nera (2013) un court métrage, et Il Solengro (2015) leur premier long métrage. La légende du roi crabe est un voyage fractionné dans le temps et dans deux espaces différenciés : le fermé, le village de Vejano avec ses ruelles, ses venelles, ses masures sombres ; l’ouvert, le désert immense, glacé, de la Terre de Feu. Le seul lien entre ces deux récits est un errant, à la pâle figure, à la barbe abondante, hirsute, tel un Don Quichotte égaré d’un roman de chevalerie. Un volumineux crustacé est censé guider Luciano vers un but fantasmé dans ce récit rocambolesque.

Outre un scénario non programmatique, coécrit par Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, ces derniers , déconstruisent le cinéma de genre picaresque (« il était une fois »), en modifiant les lois : des images en couleur soignées, impressionnantes, du directeur de la photographie Simone d’Arcangelo ; pas d’acteurs professionnels à part Maria Alexandra Lungu (Emma) ; l’acteur principal, Luciano (Gabriele Silli) est dans la vie un artiste plasticien romain qui, sur l’écran, apparait avec son physique coutumier (maigreur négligée, barbe broussailleuse) nous évitant ainsi toute identification au « héros » par ailleurs peu aimable et violent ; des séquences longues étirées nous rappellent les westerns de l’américain Monte Hellman (1929/2021), L’Ouragan de la vengeance (1965), The Shooting (1967) et les chefs d’œuvre du japonais Akira Kurosawa (1910/1998), Les sept Samouraïs (1954), Derzou Ouzala (1975).

La légende du roi crabe est un film étonnant, hors des sentiers battus et rebattus. C’est une approche quasi sensorielle, un brin mystique, du cinéma en milieu hostile qui n’est pas sans rappeler également le cinéaste allemand Werner Herzog dans sa folie cinématographique (Aguirre, la colère de dieu – 1972). Le long métrage est déroutant mais attachant, oscillant entre le réalisme cru (première partie), le fantastique et l’onirisme (deuxième partie).

La légende du roi crabe a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2021.

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