Quand on lit sous le porche de l’église d’Itxassou la plaque en marbre où sont gravés les noms des victimes, on est frappé par l’extrême saignée que supporta la population de ce village, comme en tant d’autres, au Pays Basque.
Or, c’est un sujet inédit - car peu rapporté lors des cérémonies civiles de la mémoire de 1914 - dont traite aujourd’hui dans notre « Lettre » François-Xavier Esponde qui précise : « Il gêne aux entournures les plus laïques car faute de sécurité sociale, de caisse de solidarité qui viendront plus tard, les paroisses et les réseaux religieux surent développer le partage pour les veuves de guerre, les pupilles de la nation et les blessés de la guerre. Mon grand-père, ancien de 1914 le rappelait lorsque j’étais enfant... Pour ne pas oublier ou feindre de le faire » !
Ce texte anticipe sur un prochain compte-rendu que nous consacrerons au remarquable « Dictionnaire des Monuments aux morts du Pays Basque de la Grande Guerre » paru chez Koegui et composé sous la direction de Josette Pontet, agrégée de l'Université, professeur émérite d'histoire de l'Université Bordeaux Montaigne et présidente de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne. On y trouve des notices historiques et illustrées pour chaque monument des communes du Pays Basque, un relevé des citations gravées dans la pierre et leur traduction, des études sur une soixantaine de monuments singuliers et des entrées thématiques diversifiées qui vont des régiments engagés dans le conflit aux cimetières, aux architectes et aux monuments aux morts - parmi leurs auteurs le plus talentueux et prolixe, Maxime Réal Del Sarte.
- Josette Pontet donnera d’ailleurs une conférence sur « Les Basques et leurs monuments aux morts » le mardi 22 novembre à 18h au Musée Basque et de l'histoire de Bayonne.
- On pourra y acquérir son ouvrage, ou bien à la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne (au 1er étage de la Tour Fouquet, attenante à la Médiathèque municipale, 16 rue des Prébendés à Bayonne, le lundi, mardi de 9h30 à 11h30 et de 14h à 16h30) ou à la Librairie Koegui, 21, rue Vieille Boucherie, ouverte du mardi au samedi).
Alexandre de La Cerda
Les dévotions religieuses pour les poilus et les blessés de guerre
On connait de mémoire le livre album « La Tombe Basque » écrit par louis Colas qui recensait toutes les stèles photographiées dans les villages du Pays Basque des cimetières, et qui permit de mieux comprendre le patrimoine artistique présent dans nos villages, ainsi que « Les Monuments aux Morts de 1914-18 » (voir plus haut, ndlr.).
Mais la mémoire religieuse de cette époque demeure encore un exercice de recherches et d’études à réaliser un jour pour ne pas oublier l’émotion partagée par les familles qui souffraient ensemble de la disparition de leurs chers enfants à la guerre. L’éloignement des cimetières militaires sur les champs de bataille rendit cet exercice nécessaire pour les autochtones.
En l’absence des corps enterrés loin de leur terre, le deuil fut douloureux et difficile. Pour ces paysans basques si attachés à leurs racines terriennes, ce fut l’épreuve parmi les plus pénibles !
Parmi ces morts de 1914 on cite Blaise Babaquy originaire de Mendionde - Aguerria, fils de famille, capucin de son état à Bayonne, qui avait rédigé un ouvrage de spiritualité en basque labourdin sur le Tiers Ordre de saint François ; il servit de référence dans les paroisses afin de poursuivre par le souvenir des morts la prière d’une absence qui hantait l’évocation de ces victimes de guerre morts pour la France.
La dévotion à Jeanne d’Arc, à Thérèse de Lisieux, à Notre Dame du Bon Secours, au Sacré Cœur de Jésus, puis au Cœur Immaculé de Marie dans l’enceinte même des édifices religieux, fut l’autre volet omniprésent de cette époque. Des fraternités de priants et de priantes se recueillaient fidèlement pour ne jamais les oublier comme Soldats morts valeureux de la Patrie alors que la préparation militaire de ces jeunes appelés s’était organisée dans les patronages des paroisses, comme chez les « Jeunes Basques » par le vicaire d’Hasparren.
L’érection des monuments aux morts dans le carré municipal pour les uns, dans le cimetière, sous le porche ou dans l’église fut l’occasion de manifester encore l’attachement des villageois à leurs jeunes gens morts au front. Et à la fin des hostilités, de soulager les veuves en nombre, les orphelins et aider les mères seules à élever leur progéniture... Les fabriques paroissiales, les bureaux de l’entraide, les Centres de la Miséricorde tenus par les Sœurs de la Charité ou de Saint Vincent de Paul furent à la manœuvre pendant et après la guerre pour aider les plus démunis...
Nos maitresses d’école portaient enfin par principe une mission éducative : parler et instruire sur le sujet était un devoir de rappel qui aujourd’hui semble révolu. Elles nous faisaient apprendre des chants patriotiques et, lors des fêtes nationale, conduisaient la cohorte de leurs chérubins jusqu’en ces monuments municipaux préservés et choyés de fleurs. On y chantait et on nous invitait à faire silence pour se souvenir de ces hommes d’exception tombés au champ d’honneur !Ainsi donc, par le volet civil et le volet religieux, deux fraternités se conjuguèrent pour venir en aide l’une et l’autre. Chacun savait que les victimes étaient les mêmes, et la paix de la mémoire dépassait les susceptibilités passagères - au temps passé - d’une laïcité rhétorique, et d’une religiosité sélective. Face à la mort de tant d’innocents par milliers, ce conflit des appartenances idéologiques appelait à une conscience supérieure où la défense de la patrie commune dominerait tout le reste !
François-Xavier Esponde