1 – La frugalité politique des Romains
Les historiens de l’Empire romain aiment à rapporter que dès le IIème siècle avant JC, la frugalité aidait le pouvoir impérial à exercer une stratégie pour régner.
On associait par trop souvent les Romains aptes à tous les excès des privations ou des débauches possibles selon un sens de la sobriété variable selon les époques.
On découvrait qu’avant ce IIème siècle avant J.-C., la richesse déterminait le rang des individus dans la société aristocratique et censitaire des pouvoirs romains.
Il était dégradant de vivre pauvrement, un signe dévalué du rang social de sa faculté à gérer ses biens et tenir sa place dans la hiérarchie, pour des détracteurs prompts à le dénoncer.
Les guerres puniques incessantes entretenues par les chefs militaires pour tenir l’Empire entraîneront des restrictions économiques.
L’état de la société romaine pourrait surprendre en situation de pénurie, c’est en effet par l’extension de ses territoires qu’elle décida d’instaurer des contraintes. En 215 avec la loi Oppia, Caton le Censeur interdit aux femmes de porter des bijoux luxueux et des tissus de grand prix, signe dispendieux de leur influence et des envieux de leur condition.
Il ira jusqu’à instituer des lois somptuaires qui limitent les frais de bouche et le nombre des convives luxuriants des dîners latins connus comme tels.
Pourquoi se priver de tant de ressources, contrairement aux idées partagées par le peuple de leur répartition équitable ?
Les historiens soulignent l’intention des élites de suivre la stratégie de l’économie pour interdire les fastes et permettre aux nobles de ne pas se ruiner entre eux dans des surenchères de prestige.
Et par le fait même “d’éviter aux nouveaux oligarques” de ce temps d’organiser leurs banquets concurrents et attirer des clientèles nouvelles capables de grossir le nombre de leur classe dirigeante..
Une telle sobriété romaine fut donc un instrument politique au service d’une élite menacée par des compétiteurs nouveaux riches de l’Empire dans son propre sein.
Les plébéiens ne l’acceptent guère car pour eux l’accès à la noblesse romaine leur parait entravé. Ils adopteront à leur tour la sobriété comme une valeur garantissant leur intégrité sociale.
Et contrairement aux aristocrates qui vivent de leur héritage, “ces nouveaux parvenus” se réclameront de la “parsimonia” qui leur permet d’accroitre de la vertu plutôt que de la fortune !
On découvre une philosophie diffusée par une rhétorique de la frugalité comme relaté à propos du Général Cincinnatus quittant le pouvoir pour sa charrue ou encore du Consul Dendatus qui devant son plat de navets refuse l’or que lui offrent les Samnites.
“Un gout innovant” de la parcimonie voit le jour, de modération des passions, particulièrement de la table et de ses dérivations, où disent les analystes de la pensée latine, un glissement de la notion de l’économie vers la morale finit par s’opérer au Ier siècle avant JC dans la société romaine menacée par ses propres impérities.
L’influence de la pensée grecque s’est introduite dans la vie romaine sous le signe du bien supérieur du pouvoir toujours exposé à des abus de toutes espèces, et la tentation de la déliquescence des vices et leur influence sur la vertu.
Cicéron lecteur d’Epicure et de la pensée de Stoïciens vulgarisa la notion de tempérance devenue chez lui la frugalité.
Apprendre à vivre selon une vie simple ne se vaut que par des considérations socio-économiques, mais aussi morales en modérant ses passions, en adoptant une alimentation peu transformée, et en limitant le train des dépenses domestiques de la table.
Pour obtenir in fine un statut dans la hiérarchie sociale d’un monde où les privilèges de tout un chacun sont régis par ces us et coutumes impérieuses.
L’histoire semble se réécrire à nouveau, dans une contextualité somme toute différente.
On découvrit chez Auguste futur empereur l’argument de sobriété dans une intention politique moralisatrice et identitaire dans la harangue de la guerre menée contre Marc Antoine et à la reine Cléopâtre.
La mesure ou la modération avait bien une valeur qualifiée pour contenir les abus de toutes guerres. Elle en comptait ses stratèges et ses contempteurs parmi les irréfléchis de toute guerre à l’infini.
Se prévalant de la sobriété romaine face aux extravagances orientales sans mesure, dont on craignait déjà pour le pouvoir les effets collatéraux irréparables.
On le prétendit hostile au luxe privé de certains quartiers de la capitale impériale, et fit détruire de fastueuses demeures sur le Palatin tout en magnifiant le patrimoine public et religieux de la cité, “le sien”.
Ressuscitant le mythe de l’Age d’or où les hommes vivaient de baies sauvages, il fit le pari de transformer une ”Rome de briques en une Rome de marbres”...
Car si la sobriété valait comme telle, surtout pour les autres, sa désignation du principe fut à géométrie variable, impériale et difficile à contenir par des adversaires menacés dans leur propre survie.
L’Empereur Auguste étant seul autorisé à afficher sa fortune, pas pour une gloire personnelle s’entend, mais pour celle de Rome!
Laissant aux poètes du régime comme Horace de chanter les vertus du bien vivre de peu - uiuere paruo - lorsqu’on dispose des faveurs de l’Empereur pour s’en accommoder sans trop de privations.
Le pouvoir des autocrates ne manquait d’arguments pour assoir ses fondations dans des considérations de frugalité, de tempérance aux accents autoritaires et contraints.
2 – Frugalité ou tempérance chez les fidèles de la Bible.
La notion de propriété entre les plus aisés et les autres et le sujet éthique de la justice requise entre les hommes, a ouvert la voie de la sobriété chez les fidèles de la transmission biblique.
Le Livre de la Genèse en dessine le profil. “ De tout arbre du jardin, tu pourras manger mais de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, de lui tu ne mangeras pas le fruit. Car au jour où tu en mangeras, sûrement tu mourras”. Genèse 2, 16-17...
Un thème très actuel que celui de la propriété de la création ou de l’environnement aujourd’hui qui fixe les limites de la possession et de la responsabilité des biens consommables, et leur conservation pour les générations futures.
Le thème suivant de la tentation d’ajouter l’usure à la propriété est aussi dénoncé car selon le principe moral biblique, toute richesse ne constitue une protection, demeure une illusion, car rien n’appartient en propre aux humains, pas même leur vie qui leur est prêtée comme un bien.
La bible hébraïque fourmille déjà de commentaires de textes de lois en faveur des équilibres économiques et sociaux au bénéfice de la vie plus justement partagée.
Le Deutéronome au chapitre 15, 1-18, dès le VIIème siècle avant notre ère, rappelle les règles qui favorisent la libération des esclaves pour dettes, la septième année de leur captivité et la remise de toutes les dettes tous les sept ans.
Dans le Lévitique 25, la célébration du Jubilé prescrit l’annulation des dettes et la restitution de la terre à son propriétaire tous les cinquante ans !
Les prophètes ne seront pas en reste, dénonçant les fraudes existant entre les plus aisés et les moins fortunés. Jérémie s’en prend au Roi Joakim autour de l’an 600 avant JC, à la vie dispendieuse de son oubli de toute justice, au bénéfice des pauvres de ses royaumes.
On évoqua le sens vertueux de ce rapport à l’avoir comme l’intention “de vouloir instituer une société fraternelle” chez les fidèles d’Israël où les divisions sociales seraient mieux contenues par de telles contraintes religieuses.
L’Evangile en tira le bénéfice de la sobriété et de l’accueil “des pauvres”, déclassés de la société en cette cohorte de gens de basse condition, du moins décrits comme tels, les aveugles, les lépreux, les handicapés, les étrangers, les plus nécessiteux de ce temps.
“Les périphéries” évoquées aujourd’hui par le pape François sont quasi présentes en tout temps de l’histoire spirituelle de la sobriété en acte mais leur nombre augmente dans le reste du monde. La volonté des autochtones de participer à la vie des nations, laisse entendre désormais un espoir pathétique d’être mieux associé à l’avenir des humanités futures.
Un défi pour le premier cercle des Fils de la Promesse, qui l’entendent comme jadis les plébéiens romains comme la juste reconnaissance de leur place dans le monde de leur temps.