Nathalie (Isabelle Carré) est une fringante quarantenaire mandatée par l’Union Européenne afin de superviser un camp de réfugiés en périphérie de la ville de Catane (Sicile). Elle est bien secondée par un assistant bulgare Timotei (Ivan Georgiev), homme à tout faire.
A l’aéroport de Catane, arrivent deux émissaires représentant la France et l’Allemagne : ils sont chargés d’organiser une visite réputée impromptue du Président Macron et de la Chancelière Angela Merkel. Nathalie connaît fort bien l’allemande, Ute (Ursina Lardi), avec qui elle a travaillé par le passé et entretenu une liaison amoureuse.
L’envoyé représentant la France est très agité ; il tente de mettre en scène le camp des migrants pour l’arrivée de son patron. Nathalie et Timotei sont effarés par ses demandes incessantes, aberrantes, et son goût insatiable pour la scénarisation (lieux de tournage, aspect des figurants, etc.).
Nathalie rencontre fortuitement dans le camp de migrants Albert (Théodore Pellerin), son fils, qu’elle a abandonné neuf ans auparavant lorsqu’elle s’est découverte lesbienne. Albert travaille comme bénévole dans une ONG Internationale. Cette dernière, ainsi qu’Albert, critiquent vertement l’approche de l’Union Européenne sur ce camp de regroupement : manque de moyens, trop de paperasse ! La mère et son fils se disputent sur fond de visite programmée de leadeurs politiques. L’entente parait impossible tant les positions de chacun sur cet évènement sont irréconciliables …
Lionel Baier (46 ans) est un réalisateur suisse, scénariste et acteur peu connu en France. Ses quelques longs métrages, certains filmés par un téléphone portable (!), ne semblent pas être distribués en France. La Dérive des continents (au sud) est une œuvre intrigante, peu commune, car elle est une satire politique sur un sujet grave : les arrivées massives d’émigrés en Europe (ici la Sicile) sur un ton de comédie familiale entre une mère peu maternelle et son fils revanchard sur fond de visite inopportune de représentants politiques de hauts niveaux (Président français, Chancelière allemande et leur entourage !).
Lionel Baier pour se documenter, enrichir son scénario, a visité en 2015 le camp de migrants de Moria sur l’île de Lesbos, possession grecque, près des côtes turque. Il y a vu « le cirque médiatique » autour des malheureux refugiés que les médias, essentiellement des équipes de télévision, relatent en faits douloureux, incontestables, mais en les scénarisant pour diffusion dans le petit écran de leurs pays : on adapte le discours visuel en fonction de la socio-culture du pays (adulte à l’idiome incertain, femmes plus ou moins voilées, etc.).
Le représentant de la France (il se présente comme tel : je suis la France !) trouve le camp sicilien trop propre et réclame un nouveau décor déglingué à la « Oradour sur Glane ! » pour la visite des autorités politiques.
Selon Lionel Baier, seul l’humour caustique du cinéaste américain Ernst Lubitsch (1892/1947) permet de ne pas désespérer devant ces drames humains (1942 : To be or not to be, comédie loufoque sur Hitler et les camps d’internements !). Le déplacement de populations affligées, affamées (les nomades) vers celles qui bénéficient de plus de moyens matériels, pécuniaires (les sédentaires) est une constante de l’humanité. Ce flux migratoire n’est pas près de se tarir.
Sous un aspect de comédie familiale sur fond de détresse, le film est politique plus qu’il n’y paraît (en voix off on y entend les propos haineux, authentiques, de politiciens italiens).
Le duo d’acteurs, Isabelle Carré (Nathalie, la mère) et Théodore Pellerin (le fils) est équilibré : le curseur est au bon endroit. Les personnages secondaires sont plausibles, étoffés grâce à de courtes scènes qui marquent le rythme du récit, lequel ne faiblit pas.
La Dérive des continents (au sud) est distribuée en France par Les Films du Losange, maison de production puis de distribution mythique créée en 1962 par les réalisateurs français Barbet Schroeder, Éric Rohmer (1920/2010) et Pierre Cottrell (1945/2015), dirigée depuis 1975 d’une main sûre par Margaret Menegoz.
Son catalogue de films est impressionnant puisqu’il rassemble des cinéastes européens prestigieux : Jacques Rivette (1928/2016), Jean-Luc Godard, Jean Eustache (1938/1981), Wim Wenders, Jacques Doillon, Olivier Assayas, Léos Carax et Michael Haneke (Palme d’or à Cannes en 2009 pour le Ruban Blanc et en 2012 pour Amour également Oscar du Meilleur Film Étranger en 2013). Les Films du Losange, au cœur de l’industrie cinématographique française, est un établissement de prestige.
La Dérive des continents (au sud) est un film drôle, caustique, qui a été projeté dans la section « Quinzaine des Réalisateurs » en mai 2022 au dernier Festival de Cannes et, fin août 2022, au Festival du Film Francophone d’Angoulême devant un public ravi.