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Cinéma
La critique de Jean-Louis Requena
La critique de Jean-Louis Requena

| Jean-Louis Requena 1293 mots

La critique de Jean-Louis Requena

« Michel-Ange » (Il Peccato) Film russo-italien d’Andreï Konchalovsky – 136’
Une route poussiéreuse, bordée de cyprès longe un champ labouré par une charrue tirée par un bœuf sous la conduite d’un paysan. Sur la route pentue chemine un homme en haillon, le visage buriné au nez cassé : il psalmodie des insultes contre Florence « la putain ». L’homme furieux, sale, en sueur c’est Michelangelo di Locovico Buonarroti Simoni dit Michel-Ange (1475/1564). A près de quarante ans, il est dans la force de l’âge. Il est reconnu comme un artiste absolu « divin », un créateur de formes nouvelles en sculptures, peintures (fresques et chevalet), dessins, et architecture. Déjà, il a produit deux chefs-d’œuvre de la sculpture en ronde bosse : « La Pietà » (1499) à 24 ans et le « David » (1501) à 26 ans, une œuvre monumentale (4,34 mètres de hauteur) taillée dans un seul bloc en marbre de carrare. Le Pape « guerrier » Jules II (Giuliano della Rovere - 1443/1513) lui a commandé d’embellir les pendentifs de la Chapelle Sixtine en cours de rénovation. Michel-Ange relève le défi en outrepassant la commande : il entreprend un travail de titan afin de peindre la Genèse sur la totalité du plafond. C’est un labeur harassant : Michel-Ange peint à fresque (sur enduit frais) perché sur des échafaudages. Il y sera durant quatre ans (1508/1512) non sans disputes incessantes avec le Pape Jules II a qui il ne veut montrer son œuvre qu’achevée. Le Pape, dont le pontificat commencé en 1503 s’achève en 1513, à sa mort, avait en outre commandé à Michel-Ange, son tombeau qu’il voulait installer à la basilique Saint Pierre dont il avait lancé, à grands frais, la reconstruction. Pour ce faire, en 1505, après avoir pendant cinq mois parcouru les montagnes de carrare (Alpes Apuanes) pour y choisir les blocs de marbre, Michel-Ange sculpte le Moïse (1515) qui sera la pièce maîtresse du tombeau de Jules II qu’il achèvera, plusieurs fois remanié …. 40 ans plus tard en 1545 ! (Basilique Saint Pierre-aux-Liens à Rome).

Durant sa jeunesse à Florence, Michel-Ange fut intéressé par les prédications de Jérôme Savonarole (1452/1498) moine dominicain rigoriste. Après le départ précipité des Médicis (Pierre II de Médicis, fils et successeur de Laurent le Magnifique, premier protecteur de Michel-Ange) le prêcheur dirige la cité-état par gouvernement théocratique (1494/1498). Les Médicis reviennent en force après la chute de son gouvernement devenu très impopulaire. Jérôme Savonarole est arrêté, torturé, pendu. Ses cendres sont jetées dans l’Arno. Michel-Ange s’enfuit à Rome.

A Rome « la dépravée », à la mort de Jules II (1513) de la famille della Rovere, Giovanni di Lorenzo de Medici (1475/1521), deuxième fils de Laurent le Magnifique, est élu pape sous le nom de Léon X. (1513/1521).

La famille Médicis, florentine, protectrice, mécène de Michel-Ange durant son adolescence et sa formation d’artiste auprès de Laurent le Magnifique, supplante la famille rivale, della Rovere, romaine, sur le trône de Saint Pierre à Rome. 

Michel-Ange a trahi les Médicis au profit des della Rovere. Il est sans le sou après la mort de son mécène et admirateur romain, Jules II qui n’a pas honoré les dépenses occasionnées par ses gigantesques travaux (achat et transport des blocs de marbre pour les sculptures, pigments pour les fresques, salaires pour ses aides, etc.). Il retourne à Florence « la putain » pour rencontrer sa propre famille cupide qui vit à ses crochets, et tenter de faire amende honorable auprès des nouveaux puissants qu’il a bafoués : les Médicis.

Au mitan de sa vie, Michel-Ange, bien qu’adulé pour son talent artistique hors du commun, est un homme esseulé, ruiné. Pour survivre, il a accepté des commandes qu’il ne peut honorer : il a menti à ses deux principaux et généreux mécènes : la famille della Rovere (Rome) et celle des Médicis (Florence). 

Michel-Ange (Il Peccato – Le Péché) n’est pas un biopic classique. Le réalisateur/scénariste Andreï Konchalovsky (83 ans) n’a traité que sept années difficiles (il en eu d’autres !) de la vie du sculpteur entre 1512 (fin des fresques au plafond de la chapelle Sixtine) et 1519 (recherche fébrile du meilleur marbre de carrare : épisode du « monstre », bloc énorme subtilisé à son rival Sansovino). Le réalisateur multiplie les scènes autour de la figure centrale de Michel-Ange (Alberto Testone, comédien non professionnel, mais très ressemblant … et crédible). C’est la description d’un homme rustre, sale, menteur, cupide, tourmenté par son génie (reconnu par tous ses contemporains) et hanté par la figure tutélaire de son poète préféré : Dante Alighieri (1265/1321) et de son œuvre maîtresse (La Divine Comédie – section, L’enfer).

Andreï Konchalovsky a pris le pari de faire voir et sentir la Haute Renaissance du Cinquecento par les couleurs (extérieurs sales, encombrés, nauséabonds : ruelles, venelles – intérieurs sombres peu éclairés à la manière du Caravage). Par les odeurs : hygiène inexistante, déjections, sang, urine, etc.). Les saveurs : les boissons, nourritures infectes et/ou trop abondantes, etc. Cette approche sensuelle est magnifiée par la photo de son chef opérateur russe habituel, Aleksander Simonov, les ambiances par son chef décorateur italien, Maurizio Sabatini, et la vêture par son costumier russe, Dmitri Andreev. Pour plus d’intimité, au plus près des corps, le réalisateur a opté pour un tournage en pellicule (argentique) dans un format d’image inusité (format 4/3 : 1.37). Il évite ainsi une image scope qui aurai « hollywoodianisé » son récit au demeurant très terre à terre. (voir l’Extase et l’Agonie – 1965 de Carol Reed avec Charlton Heston … dans le rôle de Michel-Ange et Rex Harrison (sans barbe !) dans celui de Jules II). Michel Ange outre ses propres démons qui le tourmentent, se débat contre les puissants (argent et honneur), contre ses rivaux, concurrents, dont certains sont très talentueux : le peintre Raphaël (1493/1520), l’architecte Bramante (1444/1514), notamment, mieux en cours que lui, personnage peu courtisan et imprévisible (son penchant à l’inachevé !).

Andreï Konchalovsky est né en URSS en 1937 (83 ans). Il est issu d’une grande famille d’intellectuels et d’artistes russes : fils de l’écrivain, compositeur, Sergueï Mikhalkov (1913/2009) et frère du cinéaste Nikita Mikhalkov (1945). Il se destinait à une carrière de pianiste. Il fréquente durant dix ans le Conservatoire de Moscou avant d’abandonner à cause (dit-il) d’un jeune autre pianiste plus talentueux élève dans la même classe : Vladimir Ashkenazy (1937) ! En 1960, il rencontre Andreï Tarkovski (1932/1986) avec lequel il écrit plusieurs scénarios dont Andreï Roublev (1969) qui narre la vie d’un moine en Russie, peintre d’icônes au XV ème siècle sous le règne de Vassili 1er. Le film d’Andreï Tarkovski (chef d’œuvre du cinéma mondial) « répond » cinquante ans avant aux interrogations du peintre Michel-Ange. La carrière de ce dernier a commencé en tant que réalisateur avec un film en tout point remarquable : Le Premier Maître (1965). Sa période soviétique s’achève avec Siberiade (1979). Le réalisateur poursuit sa carrière aux États-Unis (Maria’s Lovers – 1984, Runaway Train – 1985, etc.) au total six longs métrages avant de revenir en Russie après la chute du régime communiste. Le Cercle des intimes – 1991 sur Staline et son entourage, inaugure sa période russe (8 films). Michel-Ange (Il Peccato) son dernier opus russo-italien clôture (provisoirement) son importante filmographie (22 longs métrages).

Ce metteur en scène russe, mais selon lui « cosmopolite » au sens riche du terme (il parle plusieurs langues dont un français parfait !) nous propose un film « physique » sur un temps « incertain » où l’art occidental (La Renaissance) sous toutes ses formes, à son acmé, côtoyait la beauté et l’ignoble, la culture et la barbarie. Andreï Konchalovsky nous décrit un homme, génie absolu, protéiforme, mais terrifié, emprisonné dans la gangue historique de son temps : un être humain avec ses visions, ses peurs, et ses lâchetés. Le résultat est du grand cinéma !

P.S : Michel Ciment, directeur de la revue mensuelle de cinéma Positif, a consacré un livre d’entretiens très éclairant sur la personnalité du réalisateur russe : Andreï Konchalovsky, ni dissident, ni partisan, ni courtisan – Institut Lumière/Actes Sud – 2019

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