« L'odeur du bois, le vent frondeur, les montagnes violines, les vols dissidents ; oiseaux d'un seul automne qui ne repasseront plus. Visages familiers dont je ne connais pas le nom, m'observent d'un regard vide, guettent ma chute. Ma tête s'enraye. Il ne fallait pas revenir, je ne suis plus de leur temps ; il faudrait rester goûter leur silence ».
C'est « Mon pays », celui que Marie-Thérèse d’Arcangues vient de quitter, après une dernière « halte spirituelle », derniers adieux à l’église du village dont sa famille porte le nom (ou l'inverse) depuis un millénaire, et où « le soir résonne de sons de clochettes, des brebis autour de la maison, un ciel immobile tait l'avenir, tout paraît calme, un arbre sculpte les coteaux, un chien aboie dans le lointain…»
Combien de souvenirs remontent à la mémoire : notre rendez-vous annuel au Biltzar des écrivains basques à Sare où Marie-Thérèse partageait mon déjeuner d’auteur-exposant, et combien de rencontres amicales avec les sœurs Bonnal, filles du célèbre musicien Ermend Bonnal, ainsi qu’avec le compositeur Nicolas Bacri, alors en résidence auprès de l’Orchestre et du Conservatoire de Bayonne, voyez mon article :
https://www.baskulture.com/article/il-y-a-vingt-ans-ixiltasunaren-ortzadarra-et-la-rsidence-bayonne-de-nicolas-bacri-3661
Mais « Terre-vigie », son unique recueil de poèmes publié l’année dernière, s'inspirait également des voyages de l'auteur et des artistes qu'elle admirait particulièrement : Marina Tsvetaeva, Anna Akhmatova et d'autres poétesses russes, à qui elle a dédié plusieurs de ses écrits, ainsi que Paul Eluard et Guillaume Apollinaire ; elle fut encore la pierre angulaire, avec Pierre Espil, des « Poètes de l'Adour », où l’on croisait alors Louis Guillaume, Alain Lamassoure, Francine et André Rabas, ainsi que Paule Duhar, récemment disparue, voyez mon article :
https://baskulture.com/article/in-mmoriam-paule-duhar-art-musique-pharmacie-3746
Destinée hors du commun que celle de Marie-Thérèse d’Arcangues, née en 1931 à l'ambassade de Bolivie à Paris ! Mais depuis son plus jeune âge, elle avait vécu au château familial à Arcangues, un des "plus beaux villages du Pays Basque", bien embelli par ses ancêtres.
D'une mère chanteuse d'Opéra et d'un père poète et écrivain, elle avait hérité la passion pour les Arts et les Lettres, côtoyant les plus grands artistes et écrivains de son temps : Jean Cocteau (qui créa à Biarritz en 1949, avec le père de Marie-Thérèse, le "Festival du Film maudit", point de rencontre entre deux générations de cinéastes, parmi les plus créatifs de l’histoire du cinéma français : François Truffaut, Jacques Rivette ou encore Eric Rohmer), Saint-John Perse, Jean Giono, Jean et François Hugo, et des célébrités de la scène et de l'écran… Sans oublier l’artiste russe Chouklin qui avait réalisé son buste d’enfant !
Marquée par le sort tragique de son frère aîné Michel, disparu mystérieusement en mer la nuit du 1er février 1946, elle avait développé une grande sensibilité.
Dans le "Chant de l'Absent", Marie-Thérèse d’Arcangues ressentait :
"Ce tumulte de la mer
Jour après jour, ne l'ai-je écouté
Sans en apprivoiser le sens,
Silence du ressac en réponse d'alarme,
Le dieu qui y pourvoie
Ne brasse que du vide."
Et à propos de cet "Absent", elle clamait :
"Mais nul comme lui n'aura payé
Le prix du sang,
Ni gagné,
Personne ne vaincra
Les choses ne sont plus à leur place
Puisqu'une voix s'est tue."
Dora Maar, l’artiste-peintre et photographe, s’était intéressée à Marie-Thérèse d’Arcangues, ainsi que Céline Pujol, l’artiste de théâtre et réalisatrice qui avait présenté à Arles les "Poèmes dansés" de la muse de Pablo Picasso lors de l'exposition Dora Maar où elle présenta le film « Poèmes Dansés », inspiré de ses poèmes jamais récités.
Et son goût pour la poésie va ainsi faire découvrir à Céline Pujol l’œuvre littéraire de Marie-Thérèse d'Arcangues, qui n’avait pas encore été publiée en France. Lors de l'édition 2020 du festival « Arles se Livre », elle réalisera auprès de plusieurs poètes une première lecture du recueil de ses poèmes « révélant une femme libre qui, dans ses précipités de mots comme dans sa vie atypique, a su faire fi des jugements et autres carcans ».
Une nouvelle lecture des poèmes de Marie-Thérèse d'Arcangues avait eu lieu en juillet dernier à la galerie Omnius d’Arles avec la signature du recueil, et en février dernier, Céline Pujol avait enregistré « Dérives », poèmes de Marie-Thérèse d'Arcangues sur de belles images d’Armand Arnal (Editions Portaparole) :
https://vimeo.com/509971152
Férue d’art et de musique, Marie-Thérèse d'Arcangues avait encore fait don au Musée Basque de trois dessins de Ramiro Arrue pour le ballet basque « Shorlekua » dont l’auteur du livret était son père Pierre d’Arcangues.
« Terre-vigie » de Marie-Thérèse d’Arcangues, collection Orfeo de l'éditeur Portaparole, 228 pp 18 € ( à la librairie Bookstore à Biarritz, Fnac et sur Amazon).