Didier Borotra s'est éteint hier. Il fut le maire centriste indéboulonnable de Biarritz de 1991 à 2014. J'étais journaliste le soir de conseil municipal où il s'était opposé frontalement à Bernard Marie, maire Gaulliste, dont il était le premier adjoint. Rien que ça ! Grâce à un travail de fourmi avec plusieurs composantes de l'opposition biarrote, et avec le soutien des élus centristes de l'équipe majoritaire, il était parvenu à mettre en minorité le maire en place, puis le battit aux élections municipales.
J'étais dans le bureau de Bernard Marie, le soir de sa défaite, avec ma valise de reportage posée sur son bureau et branchée à une des prises de courant de la pièce. Si je donne cette précision, c'est parce qu'il y a plus de trente ans, pour "faire un direct", il fallait quasiment s'installer chez quelqu'un, et, par conséquent, être témoin d'un long moment de sa vie personnelle.
Bernard Marie lit les résultats, son visage trahit tristesse et fatigue. Il m'indique qu'il répondra à mes questions après avoir annoncé les chiffres en maire qu'il est encore. Livide, depuis le haut de l'escalier descendant vers un hall bondé d'une assistance qui allait le huer, il fait le job. Tension extrême, retournements de vestes fulgurants, mariages idéologiques improbables, on ne donnait pas lourd de la durée de cette coalition hétéroclite. Mais c'était sans compter avec les capacités funambulaires de ce centriste viscéral.
Didier Borotra avait-il longtemps préparé son coup ? ou, et c'est plutôt ma conviction, a t'il senti monter une opposition très forte au projet de casino imbriqué dans la colline aux hortensias et supposant la destruction du Municipal actuel ? L'opportunité, la faille, ou encore la chance d'une vie publique. Toujours est-il que l'Adjoint thésaurisant qu'il fut auprès de Bernard Marie dont c'était la nature, s'est mué en maire entreprenant et novateur. Il y eut du bien, du mal aussi, mais Biarritz a incontestablement avancé sous l'impulsion de cet homme qui savait écouter les différences, y puiser des idées, parfois même se les approprier.
Il fut un précurseur de la coalition, un alchimiste du mélange des courants, bien avant que ça ne devienne très "tendance" comme aujourd'hui en France. Et c'est dans la ville alors a priori la plus conservatrice du littoral basque qu'il aura ouvert ce chemin. Sa réussite fut avant tout fondée sur un talent très particulier qui consistait avant tout à laisser du mou au fil qu'il tenait pourtant fermement. Un pêcheur à la mouche, précis, sans sensiblerie inutile, avec ce brin de cynisme florentin qui pouvait horripiler mais sans jamais provoquer la tension du fil de la pêche au gros. L'hameçon de ce professionnel de la politique ne faisait aucun cadeau, mais on s'y laissait prendre sans le craindre au début. Entre deux eaux...
Didier Borotra m'a expliqué un jour comment le BO n'était pas l'Aviron en termes d'enjeux politiques, comment le rayonnement de sa ville devait passer par une politique culturelle ambitieuse beaucoup plus que fondée sur le lien social auquel Bayonne tient tant. Il était l'homme de sa ville dont il n'était pas natif, lui le Nantais. Cela lui conférait une distance très utile car elle le rendait hermétique aux passions chauvines.
J'ai beaucoup appris à le voir évoluer, avec des armes qui n'ont jamais été les miennes. On ne s'attachait pas forcément à Didier Borotra mais on se laissait prendre à ses sortilèges. Une forme de charme au sens des enchanteurs. J'ai envie de dire "chapeau l'artiste des équilibres !"... Il aura eu cette forme de génie de mettre au profit de grands paris pour Biarritz une pelote financière qu'il aura d'abord contribué à faire grossir, avant d'en critiquer au bon moment la tiédeur qu'elle traduisait.
On pourra dire ce qu'on voudra de ses trahisons d'un moment - mais qui n'en a pas à son actif en politique ?- il aura vu loin pour sa ville et lui aura permis de retrouver une dynamique qu'on pensait confite pour longtemps.
(photo de couverture : Didier Borotra avec son adjoint à la Culture Jakes Abeberry, disparu il y a un an et demi ©Manex Barace)