Les éphémérides nous rappellent que le 9 décembre 1901 naissait le célèbre aviateur Jean Mermoz (disparu le 7 décembre 1936)… L’occasion de revenir sur la rencontre de l'avionneur de génie Couzinet avec le héros de l'aviation Mermoz qui faisait naître une formidable espérance pour les ailes françaises. Le trimoteur "Biarritz", entre autres, l'incarna par ses prouesses techniques. Mais l'aventure de l'Aéropostale ne prospéra guère. Pourquoi ? Les archives privées de l'avionneur délivrent une réponse...
Le 6 octobre 1931, le "Biarritz", trimoteur Gipsy 120 CV sortant d'usine et encore en phase d'essais participait à Strasbourg, Nancy et Mulhouse à quelques étapes du tour de France des prototypes organisé par la Fédération nationale aéronautique française.
Cette extraordinaire aventure n’aurait pu voir le jour sans le soutien de la souscription de la ville de Biarritz. C’est avec les fonds récoltés que le prototype du type 33, irrémédiablement endommagé dans un accident, avait pu être reconstruit et mis au service de l’équipage composé du pilote Charles de Verneilh, instigateur du projet, du navigateur Max Dévé et du mécanicien Emile Munch. C’est donc tout naturellement en remerciement à la ville de Biarritz que l’avion fût ainsi baptisé.
De construction intégrale en bois, le Couzinet 33 n°1 Biarritz était recouvert de contreplaqué de bouleau. Le fuselage s’amincissait jusqu’à l’arrière, formant une dérive en queue de poisson caractéristique des modèles Arc-en-Ciel. Les trois moteurs étaient des De Havilland « Gipsy » inversés de 105 CV à refroidissement à air.
En tant qu’aîné, le Couzinet 33, plus connu sous le nom de Couzinet « Biarritz », se devait de montrer le chemin, celui des records, ce qu’il de fit de façon magistrale le 5 avril 1932 en quittant l’aéroport du Bourget pour rallier une destination aux antipodes : Nouméa en Nouvelle Calédonie. Ce fût la première liaison aérienne Paris-Nouméa.
Le Biarritz n°2 sera équipé de nouveaux moteurs plus puissants : il réalisera toute une série de liaisons en Europe et en Afrique, en particulier un Paris-Moscou avec Pierre Cot, le ministre de l'Air, plusieurs vols en Afrique dont un aux îles du Cap-Vert. Au retour d'Afrique du Nord, il s'écrasa à Blaisy-Bas en Côte-d'Or le 30 octobre 1933 vers 10h15 sur une crête boisée, sans doute à cause du brouillard. Le pilote (et propriétaire de l’avion) le baron Charles de Verneilh Puyraseau et le mécanicien Le Bas seront tués, le radio Goulmy, blessé.
Parallèlement, le 16 janvier 1933, piloté par Jean Mermoz et accompagné par Couzinet lui-même, un nouveau modèle, le Couzinet 70, franchit l'Atlantique Sud de Saint-Louis-du-Sénégal à Natal en 14 h 32 min pour 3 173 km soit une moyenne de 227 km/h. Le retour s'effectua du 15 mai au 21 mai où l'arrivée au Bourget fut triomphale devant 15 000 personnes. L'avion fut ensuite exploité par Air France et réalisa huit fois la traversée commerciale de l'Atlantique-Sud. Malheureusement, les commandes officielles de l'État pour la compagnie furent annulées sans aucune raison, provoquant le début de la ruine du constructeur.
Fin 1934, le ministre de l'Air imposa à ses services l'annulation d'un contrat de commande passé quelques mois auparavant après d'invraisemblables atermoiements. "Le Jour" titre alors sur trois colonnes : "Couzinet sera-t-il obligé de s'expatrier pour vivre et construire des avions ?"
C'est l'histoire du "trente places" qui aurait dû doter Air-France de gros avions commerciaux... et celle du trimoteur "Biarritz", qui alla en Nouvelle Calédonie, au-delà des mers, survola le Sahara, atteignit Moscou, "excellent appareil dont nos lignes d’aviation avaient le plus grand besoin".
On ne daigna hélas jamais y prêter attention ! Et pendant ce temps, l'Allemagne veillait, la Lufthansa (compagnie allemande) s'équipait et la Luftwaffe réarmait... Après le prometteur début des années trente, pourquoi et comment avait-on brisé le vrai génie de l'aviation qu'était Couzinet tout en laissant monter le péril aérien de 39/40 ?
Indiquons encore qu’après le décès de Mermoz en 1936, sa veuve épousera René Couzinet, mais devant le manque d’intérêt des autorités françaises pour les inventives propositions de l’ingénieur, leur destinée à tous deux s’achèvera en une terrible tragédie en 1956...
Dans un livre passionnant édité par Atlantica il y a une bonne vingtaine d’années "Mermoz Couzinet ou le rêve fracassé de l'Aéropostale", Alexandre Couzinet, qui fut le plus proche collaborateur de son frère aîné, l'aviateur, ouvrait ses "explosives" archives. La rencontre de René Couzinet avec Mermoz, en 1932, et leur amitié fut à l'origine d'une extraordinaire aventure, tout comme la première liaison entre la France et la Nouvelle-Calédonie établie par le "Biarritz" en mars 1932. Une chronique haletante étayée par la reproduction de nombreux documents inédits et de photos apportait ainsi un éclairage nouveau sur l'histoire de l'aviation et l'une des causes du désastre de 1940.