L’Ordre Jésuite avait proposé une année durant de célébrer la conversion d’Ignace de Loyola à Marseille pour la France, jusqu’en juillet 2022. Le programme fut contrarié par la présence du Covid et pour notre cas retardé au mercredi 30 novembre dernier.
En la chapelle Saint Léon du Chapitre à la cathédrale de Bayonne, le consul général d’Espagne Fernando Carderera Soler, Béatrice Leroy, historienne à l'Université de Pau et des Pays de l’Adour, ainsi que Gérard Luc professeur de musique a Bayonne, compositeur et interprète, associèrent leurs diverses compétences pour manifester à Ignacio de Loyola l’attachement des Bayonnais à son histoire et à celle de la congrégation jésuite.
Un mot de bienvenue du consul pour remercier l’organisation de cette manifestation publique hors les frontières de l’Espagne en l’honneur d’Ignace de Loyola précéda la conférence de Béatrice Leroy qui s'acheva sur quelques séquences musicales interprétées par l'accordéoniste Gérard Luc, en particulier son arrangement de la célèbre "marche de san Ignacio", très populaire en Guipuzcoa lors des fêtes ignaciennes en l'honneur du saint patron de la Biscaye et de Guipuzkoa (photo de couverture : La conférence sur saint Ignace sous le tableau "La fuite en Egypte" de Nicolas Guy Brenet (1760) ©Alexandre de La Cerda).
La conférence enregistrée par radio Lapurdi, émetteur diocésain de Bayonne, sur une durée d’une heure trente, donnera à tous les auditeurs intéressés l’opportunité de suivre dans les dates et le déroulé historique, le fil d’une vie évoquée abondamment par la conférencière.
A savoir celle de la péninsule ibérique pendant des siècles occupée par une présence maure qui aura marqué le cours des royaumes et développé le désir de reprise des provinces “sous occupation étrangère.”
La présence catholique y aura une influence prégnante. Des Acores, de la Castille, de l’Aragon, de la Navarre, chacune de ces provinces soumise aux alliances et aux guerres de territorialité successive de l’histoire passée, nourrira un récit historique de protection des frontières évoluant au gré des unions et des mariages féodaux ou par défaut brisant leur unité de facto par les ambitions de gouvernances et d’occupation étrangère de voisinage du passé.
Aragon-Navarre-Castille-France en furent des exemples illustrés de guerres et de rivalités !
Béatrice Leroy développa au préalable à toute évocation historique de la Castille et de la Navarre, la lutte séculaire menée au Moyen Age par les ibériques pour recouvrer leurs royaumes, et évincer du sol espagnol la présence maure occupant la péninsule de Gibraltar jusqu’en Navarre et au-delà des Pyrénées.
Mêlée à celle des sépharades juifs contraints dès 1492 à suivre les consignes d’Isabelle la Catholique et emprunter le chemin de l’exode des Pyrénées, le paysage historique de ces siècles de rivalités intenses fut évoqué par la conférencière qui détailla les nombreux combats destinés à libérer le sol de l’Ibérie ancienne et restaurer les monarchies chrétiennes originelles au sud des Pyrénées.
L’histoire de l’Aragon, de la Castille, de la Navarre et de la France voisine ayant défrayé au long de plusieurs siècles le récit historique au fil des alliances entretenues entre elles, la conférencière développa à partir de la célèbre bataille de Pampelune en mai 1521 la figure d’Ignacio de Loyola, gentilhomme castillan plus soucieux de guerre d’influence que de religion, et le temps d’une convalescence prolongée en son manoir de Loyola, du trentenaire condamné pendant des mois à des soins et un suivi médical.
Il est rapporté dans les hagiographies classiques l’influence de Jacques de Voragine, auteur de vies de saints au Moyen Age, qui servit de livre de compagnie à Ignace lors de son séjour forcé en sa maison natale.
Béatrice Leroy ajouta cependant l’apport de livres manuscrits édités par les abbayes les mieux loties d’Europe, du sud espagnol comme celle de Catalogne, à Montserrat, en Belgique, en Allemagne et en France, de livres-feuillets de spiritualité de la vie de Jésus, de textes de Pères de l’Eglise, écrits en latin et traduits en espagnol, de chanoines et de religieux influents dans la pensée de l’Eglise tout au long du Moyen Age, d’enseignements prodigués par les dominicains, les franciscains, les carmes et les chanoines augustins, considérés comme les plus documentés en matière de Bible et de commentaires des livres saints.
La tradition des familles aristocratiques espagnoles mena à Paris les enfants confiés à l’instruction religieuse de ces couvents réputés en Europe.
Francisco de Javier en fit l’expérience plusieurs années avant Ignacio de Loyola : Javier fit des études à Paris et y acquit un enseignement théologique auprès des maitres scolastiques de ce temps.
Et c'est en 1537, le jour de la nativité de saint Jean-Baptiste, le 24 juin, que maître Ignace et ses compagnons reçurent l’ordination sacerdotale dans une petite chapelle privée d’un palais vénitien. Cette ordination qui se déroulait selon les règles établies, baignait néanmoins dans une atmosphère particulière, tant elle était fidèle à l’esprit qui animait l’apostolat d’Ignace pèlerin laïc et qui animera aussi la mission apostolique d’Ignace prêtre, le témoignage de la gratuité.
Le groupe part alors pour Rome où les nouveaux prêtres souhaitaient offrir leurs services au pape Alexandre Farnèse qui avait été élu pape peu auparavant sous le nom de Paul III et qui approuva leur projet de fondation religieuse.
Béatrice Leroy se plut a rappeler en ce siècle tourmenté “l’influence protestante qui sévissait dans les pays germaniques et anglo -saxons”, et pour un latin du sud et de l’Espagne, représentait encore une menace contre la foi catholique.
Le débat interne de la Réforme des uns, et de la Contre Réforme des autres prenait corps.
Le cercle jésuite en germination parisienne qui prendra racine à Montmartre autour du Voeu prononcé par Ignacio et ses compagnons, dont Javier de Navarre, est inspiré de ce climat ambiant effervescent, de ces cercles catholiques portés par le désir de vivre comme des soldats du Christ dans une armure de chevalier de l’Eglise.
De nombreuses questions demeurent cependant encore ouvertes :
- Quelles relations entretinrent ces ibériques parisiens réunis par Ignace de Loyola avec d’autres nouveaux venus dans ce cercle ajouté du sud des Pyrénées ?
- Quels furent les lieux de rencontres spirituelles et personnelles de ces jeunes trentenaires en quête d’autonomie religieuse dans les cercles conventuels de la capitale en France ?
- Dominicains, franciscains, carmes ou augustins eurent-ils des influences sur ces jeunes gens ?
- De quelle source proviendrait la naissance des Exercices Spirituels d’Ignace de Loyola ?
D’aucuns disent que leur nourriture spirituelle provenait de l’abbaye espagnole de Montserrat et d’autres abbayes espagnoles avec lesquelles Ignace entretenait des relations et par de nombreux voyages qu’il continua à faire (depuis Paris et à pied) en Espagne, son pays d’origine ?
La somme d’informations rappelées par Béatrice Leroy sur le contexte dense de cette époque au XVIème siècle soumis à tant d’influences politiques, sociales, religieuses, donnait matière à prolonger ce temps documentaire par une réflexion personnelle sur la naissance de la vocation jésuite, devenue creuset d’une conversion pour les uns, ou rencontre inopinée pour les autres.
Entre le sud du continent européen, et le nord, la foi religieuse latine et la foi des Anglo-saxons, l’attirance pour instruire la Réforme dans l’Eglise des uns, et la défense chevaleresque de la foi catholique des autres, autour du pape incarnant cette armure théologique entretenue par les volontés jésuites d’y subvenir, Béatrice Leroy a donné des clefs de lecture pour cette histoire exceptionnelle.
Ignacio de Loyola soldat du Christ, après avoir servi bien des royaumes sur terre, put réunir un jour autour de sa personne des hommes devenus en Christ des frères, serviteurs de l’Eglise et, pour certains jusqu’au prix du martyre. Le pape les missionnant en Asie, en Amérique latine, ou en Afrique compta parmi eux nombre de chevaliers de la Foi morts pour le service du Christ.
Cinq siècles de cette vocation particulière des Jésuites permit d’en évoquer succinctement le récit pour la mémoire !