« Primus circumdedisti me » (tu as été le premier à me contourner), telle est l’inscription gravée sur le blason d’armes que l’empereur Charles Quint (Charles Ier d’Espagne) remit à Juan Sebastián Elkano lorsqu’il revint du premier tour du monde en bateau. Il reconnaissait ainsi l’exploit du navigateur basque, qui accosta à Sanlúcar de Barrameda le 6 septembre 1522 à bord du navire Victoria, trois ans après son départ du même port le 20 septembre 1519. Il y a 500 ans, un navigateur natif de Getaria effectuait la première circumnavigation du globe. Et son nom, Elkano, sert à célébrer l’anniversaire d’une prouesse comparable aux premiers pas de l’homme sur la lune et à mettre en valeur la contribution des Basques à l’histoire de l’humanité. En effet, si le mérite de l’expédition dont le but était de trouver une nouvelle route des épices revient en premier lieu au navigateur portugais Fernando de Magellan, pour compte de la couronne d’Espagne, le getariar Elkano fut le premier à boucler le premier tour du monde maritime, soit une circumnavigation d’environ 80.340 km et 1125 jours.
Qui était-il en réalité ? Dans quel contexte historique, économique, politique, s’est déroulé cet exploit maritime ? Beaucoup de réponses dans cette exposition produite par Euskal Itas Museoa (Musée maritime de Donostia/Saint-Sébastien) et la mairie de Getaria, adapté par le CPIE Littoral basque avec l’aide de la Fondation Elkano. Elle est présentée pour la première fois en Pays basque Nord à Asporotsttipi, maison de la Corniche basque à Hendaye.
Le but de l’expédition ? Une affaire de gros sous, les épices recherchés, clous de girofle, noix de muscade, provenant des îles Moluques étant très prisés pour leurs propriétés culinaires et médicinales. Leur prix d’origine était donc multiplié plusieurs fois lorsqu’ils arrivaient sur les marchés européens. Situées entre l’Indonésie et la Nouvelle-Guinée, les Moluques étaient la seule région productrice au monde. Visitées au Moyen-Age par des navigateurs chinois, indiens et arabes. Ces derniers les occupent au XVe siècle et y installent divers sultanats.
La concurrence océanique s’accentue à dater de la découverte par les Portugais de la route de l’est, au détour du Cap de Bonne Espérance (1488). Lorsque l’expédition financée par la couronne de Castille à la recherche d’un itinéraire alternatif par l’ouest prend fin avec la découverte de l’Amérique par Colomb (1492) les deux puissances s’accordent pour se partager le monde suivant une ligne méridienne fixée à 370 marines à l’ouest du Cap Vert : c’est le traité de Tordesillas signé en accord avec le pape en 1494. C’est ainsi qu’en 1512 les Portugais arrivent aux Moluques par la route de l’est. Magellan, navigateur portugais passé au service de la couronne espagnole, cherchera une route par l’ouest pour contrecarrer l’interdiction de navigation par l’est…
Pourquoi un départ de l’expédition depuis Sanlúcar de Barrameda, port maritime de Séville en Andalousie ? A cette époque Séville était le cœur économique de la monarchie hispanique. Créée en 1503, la Casa de Contratación de Séville était l’organisme public chargé en exclusivité de la gestion de tous les échanges commerciaux internationaux. Elle était étroitement liée aux intérêts et aux pratiques des commerçants, armateurs et affréteurs basques et castillans présents en Andalousie. C’est la Casa qui se charge d’organiser l’expédition de Magellan, assisté par Elkano. Ses officiers ont présenté le projet à la cour, procuré le gros des ressources financières à l’expédition et ont orchestré la sélection, l’acquisition, la réparation et la mise au point des cinq navires (dont trois construits à Bilbao) ainsi que le recrutement des 247 membres d’équipage.
A partir du mois de mars 1519, Elkano est nommé maître du Concepción et devient l’officier responsable des préparations et embauches. Contrarié par le refus de Magellan de dévoiler l’itinéraire de l’expédition, il prend part à un soulèvement à San Julián le 31 mars 1520 avant la recherche et le franchissement du détroit au sud de la Patagonie et est condamné à mort à l’instar des autres mutins. Ses connaissances nautiques – indispensables à l’expédition – lui évitent l’exécution mais il est dégradé et il ne retrouvera son rang qu’après la mort de Magellan aux Philippines (27 avril 1521). Nommé capitaine du Victoria, il accostera aux Moluques au mois de novembre 1521 accompagné du Trinidad, l’autre nef rescapée.
Il ne « restera plus » à la Victoria, seul bâtiment en état de naviguer, qu’à filer plein ouest au mois de janvier 1522 pour rejoindre l’Espagne, navigation difficile et dangereuse à travers l’Océan Indien jusqu’en Afrique du Sud, puis remonter l’Océan Atlantique, territoires maritimes « dévolus » aux Portugais par le Traité de Tordesillas…
Tout le matériel constituant l’armement des cinq navires de l’expédition a été acquis et stocké à Bilbao avant d’être embarqué pour Séville. Le prix de tous ces matériels était plus avantageux au Pays Basque qu’en Andalousie, ce qui explique la préférence d’achat…
Que nous a donc légué Elkano ? Que reste-t-il de son exploit ? Rien de personnel ne lui a survécu, à l’exception de quelques documents autographes, de papiers portant sa signature et d’autres écrits contenant de sobres références aux principaux faits de sa vie. Mais sa mémoire demeure vivante, à Getaria sa ville natale surtout, où a été érigé un monument sur lequel ont été gravés (mais malheureusement en voie d’effacement) les noms des 18 marins qui ont réalisé le premier tour du monde maritime. Les contributions scientifiques d’Elkano sont reconnues encore aujourd’hui comme une étape fondamentale de l’histoire de la science et du savoir. Au-delà de l’exploit il convient de rappeler sa contribution pionnière à l’étude des grands problèmes géographiques, cosmographiques, nautiques et météorologiques, tel le calcul de la longueur et la mesure réelle de la taille de notre planète, ou encore le fonctionnement de la circulation générale des océans et des masses d’air atmosphériques. Des questions qui allaient être élucidées des siècles plus tard par les chercheurs qui lui ont succédé.
Une exposition fort intéressante qui remet à leur place certaines idées reçues, sinon à tort (qui a effectué le premier tour du monde ?) ou du moins très résumées (« Juan Sebastián Elcano, né en 1486 à Getaria et mort dans l'océan Pacifique le 4 août 1526, est un explorateur et marin basque espagnol qui réalise la première circumnavigation du globe de 1519 à 1522, lors de l'expédition commandée à l'origine par Fernand de Magellan ». Wikipédia).
A voir jusqu’au 25 mars, du mardi au samedi de 10 heures à 12 heures et de 14 heures à 17h30 à Asporotsttipi, la maison de la Corniche basque, domaine d’Abbadia, Hendaye. Entrée gratuite !