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Histoire
Goya à Bilbao : le portrait du bayonnais Cabarrus
Goya à Bilbao : le portrait du bayonnais Cabarrus
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| Alexandre de La Cerda 1424 mots

Goya à Bilbao : le portrait du bayonnais Cabarrus

Parmi les portraits de personnalités basques peintes par Goya et exposées dans le cadre de la magnifique exposition qui a débuté au Musée Bellas Artes de Bilbao (voyez l’article « Bilbao : les multiples facettes de Goya, peintre de Cour » par Anne de La Cerda dans notre Lettre de la semaine dernière), on remarque celui de François de Cabarrus, l’occasion de revenir sur la destinée de celui qui représente parfaitement l’ascension d’une bourgeoisie d’affaire en ce temps-là… Né à Bayonne en 1752, il descendait d’une famille originaire de Caparroso dans la Navarre espagnole et qui vint se fixer à Capbreton au début du XVIIe siècle avant d’illustrer la marine bayonnaise.

L’histoire connue des Cabarrus remonte à Barthelemy Cabarrus, corsaire du Roi, qui avait baptisé de son nom un morceau du rivage de l'île du Cap-Breton située au Canada, au large de l'embouchure du Saint-Laurent. C’était environ vers 1720, et encore maintenant un lac, une baie et un petit port de pêche portent là-bas le nom de Cabarrus, devenu Gabarus. Barthelemy Cabarrus est mort à Bayonne en 1733. Il avait eu une famille très nombreuse : parmi ses seize enfants, dont plusieurs prendront la mer à leur tour, il y avait Dominique Eugène Cabarrus, né à Bayonne en 1716. Bourgeois négociant et banquier, échevin de Bayonne, il recevra en avril 1789 des lettres d'anoblissement du roi Louis XVI où il sera stipulé que son père avait laissé son nom à une portion de l'île du Cap-Breton. Arrêté comme girondin et détenu à Tarbes entre 1793 et 1794, Dominique Eugène Cabarrus laissera six enfants, dont François Cabarrus, né à Bayonne le 15 octobre 1752, le fameux financier espagnol, peint par Goya.

Un oncle de la mère de François Cabarrus était armateur à Cadix, ce qui va permettre aux Cabarrus de créer avec l'Espagne des échanges commerciaux de plus en plus prospères

Par ailleurs, l’écrivain espagnol Léandro Fernandes de Moratin était secrétaire des Cabarrus à Paris en 1787 et fréquentait la sœur du financier bayonnais François Cabarrus, laquelle était mariée à un Haraneder, propriétaire de la « Maison de l’Infante » à Saint-Jean-de-Luz. Expert ès-sorcellerie, Moratin deviendra un intime de Goya à qui il inspirera peut-être ses sujets sur l’Akelarre. Il fera partie des « afrancesados », ces intellectuels espagnols partisans de Joseph Bonaparte, le frère de Napoléon, mis sur le trône d’Espagne lors de la conjuration de Bayonne en 1808. Moratin suivra Goya en exil en France et c’est peut-être par son intermédiaire que Goya rencontra François de Cabarrus. A moins qu’il ne l’ait connu au moment où il peignit les portraits de plusieurs dirigeants du Banco de San Carlos sur la demande du ministre des Finances…

Toujours est-il que ce portrait de François Cabarrus peint par Goya trône aujourd'hui au siège de la Banque Nationale d'Espagne dont il fut le fondateur et il fait partie de la « série basque » exposée à Bilbao jusqu’au 28 mai. On peut admirer un autre de ses portraits au musée Basque de Bayonne.

Mais comment François Cabarrus s’était-il fixé en Espagne ?

Enfant turbulent, François Cabarrus sera envoyé en pension chez les frères à Condom où il ne travaille pas, puis à Toulouse chez d'autres religieux, d'où il s'enfuit. Il revient dans sa famille et son père décide de l'envoyer chez un ami commerçant en Espagne, Dominique Antoine Galabert, pour parfaire son étude de la langue et y faire l'apprentissage du commerce. Là-bas, notre jeune bayonnais de 18 ans enlèvera la jeune fille de la maison, Marie Antoinette Galabert, âgée de 14 ans, avec qui il va se marier à Valence en décembre 1772 !

C’est à ce moment que sa carrière va se décider

Son beau-père va le mettre à la tête d'une savonnerie à Carabanchel dont il s'occupera jusqu’en 1779. Très vite, il montrera davantage l'étoffe d'un financier que d'un fabriquant de savon. François Cabarrus effectuera un voyage à Amsterdam pour y étudier le mécanisme des banques d'Etat avant d’ouvrir, avec l'aide d'un prêt de son cousin Batbedat, un établissement de crédit qu'il appelle « Banco de San Carlos » (Banque Saint-Charles).

François de Cabarrus innove un système de billet de banque original : il avait rédigé dès 1782 un mémoire constitutif de la fondation de la Banque d’Espagne. Pour remplacer les métaux précieux du Mexique et du Pérou dont l’approvisionnement avait été interrompu par l’action de la flotte anglaise, Cabarrus avait préconisé la création de coupures nommées « Vales » ou Bonos reales » garantis par les biens du royaume ! Il est amené à prêter de l'argent au Roi d'Espagne qui s'épuise en opérations militaires et bientôt, François de Cabarrus va créer la Banque Nationale d'Espagne.

Il en sera le directeur, avec l’aide de sa correspondante en France, la banque Le Couteulx. Il confiera à tous les autres Cabarrus : ceux de Capbreton, ceux de Bayonne ou de Bordeaux des prospectus à distribuer, indiquant les négociants autorisés à recevoir les souscriptions à l'étranger. Ces négociants seront évidemment les Cabarrus. Charles III le fait grand d'Espagne et Comte à la suite de l'anoblissement de son père.

Son ascension fut assez rapide : le mariage de François Cabarrus avec Marie Antoinette Galabert en 1772 l’avait progressivement introduit dans la haute société espagnole. Lorsque son beau-père l’avait été mis à la tête de la savonnerie de Carabanchel près de Madrid, il habitera le château du même nom où il installera son épouse qui stupéfie tout le monde par sa frivolité et ses toilettes tapageuses. Il se séparera d’ailleurs rapidement de cette sorte de « Madame Sans-Gêne ».

François de Cabarrus avait trouvé un protecteur en la personne du roi d'Espagne Charles III : le souverain lui attribue un titre comtal et lui permet d’être naturalisé Espagnol bien que conservant des propriétés en France : à Doazit, à Pey et à Capbreton. Malheureusement, Charles III meurt en 1788. Une cabale s'acharne contre François de Cabarrus, avec l’aide de l'Inquisition. Il passera trois ans en prison. Revenu en grâce et réhabilité solennellement, il se vengera des Inquisiteurs en faisant attribuer les locaux dont ils avaient été chassés à la Loge maçonnique, étant lui-même franc-maçon comme beaucoup de membres de sa famille.

Entretemps, il avait participé au développement du commerce maritime.

La compagnie des Caraques avait essuyé des pertes considérables pendant la guerre. Elle avait été privée du commerce exclusif du cacao dont elle avait perdu le privilège depuis 1784. Pour qu’elle se rétablisse, Cabarrus propose d'unir le commerce de l’Amérique avec celui de l'Asie par les Philippines. Selon son plan, la Real Compañia de Filipinas est créée en 1783 et le roi Charles III donne son nom à une île de l’archipel des Philippines !

Cabarrus sera encore à l’origine d’un canal qui portera également son nom (sans oublier le cours du Comte-de-Cabarrus à Bayonne où se trouvent situés le Conservatoire Régional, la Cité des Arts et la Maison diocésaine).

Après avoir attaché son nom au Banco de San Carlos et à la Real Compañia de Filipinas, Cabarrus veut acquérir de nouveaux droits à la reconnaissance de sa patrie adoptive. Ayant observé que la position de Madrid l'expose à une disette chronique à cause de la cherté des longs transports par terre, il conçoit le plan d'un canal de navigation de la sierra de Guadarrama au Guadalquivir en passant à Madrid et acquiert sur ses fonds propres les droits des eaux détenus par la famille d’Echauz. Il veut aussi mettre à profit les eaux abondantes des rivières Jarama et Lozoya pour irriguer les terres sèches du sud de la Castille. Le projet démarre avec l’approbation du gouvernement mais les travaux sont suspendus en 1784. Le projet du canal de Cabarrus sera repris plus tard : ce sera le canal Isabel II qui alimentera en eau la ville de Madrid.

François Cabarrus sera encore responsable des hôpitaux et député de Madrid.

En 1808, Joseph Bonaparte, frère de Napoléon, nomme François Cabarrus ministre des Finances. Il doit rejoindre le roi pour une réunion gouvernementale à Séville où le ministre, atteint d'une attaque de goutte à la tête, meurt le 27 avril 1810. Son corps est déposé dans l'église de Sainte-Marie. En raison de son soutien à Joseph Bonaparte, François Cabarrus est considéré comme un « afrancesado » et lors du retour de Ferdinand VII sur le trône d’Espagne, sa famille sera inquiétée, sa fortune et ses biens tantôt confisqués, tantôt rendus, au gré de la tourmente politique qui agita cette période.

Rappel : les Amis d’Arnaga organisent une visite de l’exposition Goya le samedi 17 mars, suivie d’un déjeuner au club privé de la Sociedad Bilbaina (85 €, bus, visite et repas inclus, tél. 06 64 79 23 64 ou cle.perret@orange.fr).

Alexandre de La Cerda

 

 

 

 

 

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