Ivry-sur-Seine (Ile de France, Val de Marne), 1963. Des bandes d’actualités en noir et blanc : Le cosmonaute soviétique Youri Gagarine (1934/1968), premier homme dans l’espace (mission Vostok 1 – 12 avril 1961), arrive dans la ville administrée par le parti communiste français (« la ceinture rouge de Paris ») afin d’inaugurer la cité qui porte son nom : Gagarine, un immeuble imposant en briques rouges et béton de 370 logements. Les habitants nombreux, accueillent chaleureusement, sous les clameurs, ce « Héros de L’Union Soviétique » salué dans le monde entier en pleine « Guerre Froide ». C’est le début de la conquête spatiale : la course effrénée entre l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) et les États-Unis. Les soviétiques ont quelques longueurs d’avance …
Cité Gagarine, 2019. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé : les premiers habitants sont partis remplacés par de nouveaux, puis d’autres encore. Depuis quelques années (2014) les résidents de la cité savent qu’elle est promise à la démolition : les abords sont ravagés, les parties communes insalubres, les ascenseurs en panne. Il n’y a plus rien à faire : les derniers habitants sont relogés dans d’autres nouvelles cités, plus accueillantes. Un jeune homme noir de 16 ans, Youri (Alseni Bathily) ne peut se résoudre à l’inéluctable : la destruction de la Cité Gagarine où il a grandi. Son idée fixe est de sauver l’immeuble coûte que coûte. Il ne parvient pas à convaincre ses amis, Houssam (Jamil McCraven), ou Dali (Finnegan Oldfield) un dealer du bien-fondé de son entreprise. Seule Diana (Lyna Khoudri), sa copine rom, qui habite dans une caravane non loin de l’immeuble, le soutient.
Youri est un rêveur qui, la nuit venue, observe les astres dans le ciel, mais c’est aussi un pragmatique. Jour après jour, il tente avec ses faibles moyens, de réparer avec du matériel au rebut, ce qu’il peut dans sa cage d’escalier : spots lumineux, ascenseurs, fenêtres, etc. Sa tâche est immense, impossible. Aucun résident ne vient l’aider, tous désirent fuir les logements devenus insalubres …
Youri désormais seul dans la cité Gagarine, isolé volontaire, nourri de vidéos spatiales (l’astronaute française Claudie Haigneré – station orbitale russe – 1996), bricole un « vaisseau spatial » spartiate dans lequel il s’installe pendant que les ouvriers démolissent systématiquement tous les appartements avant la destruction finale du bâtiment.
Diana s’inquiète de la disparition de Youri …
Gagarine (97’) est le premier long métrage d’un couple de cinéastes, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh qui ont fait leurs études communes à Science Po (!) dans les années 2000. Après quelques voyages internationaux (elle au Liban, lui en Inde et Amérique Latine), ils se retrouvent en France (2014) pour réaliser leur premier court métrage : Gagarine (2016). Deux autres courts métrages suivront : La République des Enchanteurs (2016) et Chien bleu (2018). Début 2019, apprenant la future démolition de la Cité Gagarine, ils reviennent sur les lieux et développent un scénario pour leur premier long métrage. Dans ce nouveau cadre élargi, les coréalisateurs, également scénaristes, nous proposent une œuvre ambitieuse car reposant sur deux genres en principe antagonistes : un quasi documentaire dans sa première partie qui glisse dans sa deuxième et dernière partie, dans une fiction onirique à métaphores visuelles quand Youri s’isole dans sa « capsule spatiale » créee à partir de brimborions. L’imposante cité Gagarine ancrée dans le sol devient une utopie céleste, la « Cité Heureuse » rêvée par les architectes où tout devient possible. Pour ce faire, Fanny Liatard et Jérémy fabriquent avec leur chef opérateur Victor Seguin, des images d’une audace picturale inouïe en dépit du faible budget du film. Soulignons également, le travail remarquable de la cheffe décoratrice Marion Burger qui fait des prodiges en disposant avec maestria de nombreux accessoires signifiants dans les décors réels (les logements délabrés). Enfin, la musique électronique des frères Galperine (Evgueni et Sacha) amplifie grandement l’établissement d’un climat insolite ou tout peut arriver. Le peu de moyens disponibles a dopé l’inventivité de l’équipe du film.
Le personnage principal, Youri, interprété par un acteur non professionnel, Alseni Bathily, grand, athlétique, taiseux, est crédible dans son obstiné résistance aux faits réels. La cité Gagarine, donne de ces ensembles implantés dans la région parisienne (ils sont fort nombreux), une vision humaine, apaisée, ou les résidents se connaissent, se respectent malgré leurs origines, leurs cultures différentes ou à cause d’elles. Nous ne sommes pas dans la « Cité Radieuse » chère à Le Corbusier (une utopie pénible !) mais dans une cité qui s’éteint pour renaître sous une forme nouvelle.
Gagarine devait être présenté dans la catégorie « Premiers Films » au Festival de Cannes 2020 qui n’a pas eu lieu (Covid 19). C’est à l’évidence, une première œuvre prometteuse.