Le peintre Francisco de Zurbaran contraste par la sobriété des vêtements monastiques de ses œuvres. Au cours de l'exposition ouverte à Lyon sur cet artiste, le dépouillement domine en ce temps de Noël sur les fioritures exposées dans l'espace public et religieux - Musée des Beaux-Arts de Lyon (notre photo de couverture).
Deux ouvrages conduisent le visiteur dans ce parcours initiatique de la simplicité artistique du peintre franciscain dans son inspiration créatrice :
- le catalogue de l'exposition sous la direction de Ludmilia Virassamynaïken soutenu par des textes des spécialistes Odile Delenda, Javier Portus Perez Maria Cruz et Carlos Varona Oeil Viso / 336 pages.
- de Florence Delay, "Haute Couture", un essai sur les correspondances entre les saintes richement vêtues de Zurbaran et les créations de Balenciaga, couturier (Gallimard, 104 Pages).
Le Saint François d'Assise, personnage décalé de Noël avec sa bouche ouverte, les yeux tournés vers le ciel intrigue. Il s'agit de représenter un mort bien vivant selon le peintre, une vision qu'aurait eu en 1449 le pape Nicolas V à la basilique d'Assise en ouvrant le tombeau du petit pauvre.
Le pape aurait découvert le saint debout, les yeux ouverts, la chair rosée, le sang frais coulant d'un stigmate sur le pied. "Une apparition miraculeuse de Zurbaran qui réactive sa figure structurale, dont l'ombre portée se découpe dans le clair-obscur d'une alcôve."
"C'est de l'art de tortionnaire dans un cri d'amour étouffé par l'angoisse qui jaillit de cette toile", dira Huysmans !
Propriété des religieux franciscains, l'œuvre fut acquise par le Musée de Lyon en 1807. Le musée consacre au peintre une exposition d'une dizaine d'œuvres parmi la centaine réunie à cette occasion. Un parcours pédagogique permettant de connaître la genèse de l'œuvre et d'une féconde postérité.
Zurbaran est un peintre moderne de la sobriété. L'Agneau aux pattes liées y figure en bonne et riche place. Avec sa toison brossée aux touches laineuses posée sur une pierre noire évoquant l'autel de son sacrifice. Tout autour, un défilé de pots enlevés sur un fond d'ébène conforte ce génie pictural pour rendre parlant l'éclat d'un plat d'étain, ou le blanc vernissé d'une cruche" ?
Dans le même sens, le Voile de Véronique à peine retenu d'une aiguille et de deux fils ! (photo ci-contre).
Dans ce siècle espagnol, la Réforme Catholique joue sur ces images fortes bien ibériques, inspirées par les grands saints de la chrétienté, guides de la foi des fidèles. François d'Assise a bien ses adulateurs et adorateurs florissants en Europe et particulièrement en Espagne.
Ascète ou pénitent le peintre identifié à son patron va le représenter cinquante fois dans son œuvre artistique. D'aucuns diront que le modèle est la copie de son auteur !
Dans un de ces tableaux, le religieux abimé dans sa contemplation d'un crâne, se dresse comme une flamme dans la nuit. Dans un autre conservé à Londres, une flammèche illumine le visage encapuchonné du pauvre à genoux.
Et les chroniqueurs d'art ajoutent que ce joyau orna de 1838 à 1848 "la galerie espagnole" du roi Louis Philippe au Louvre, permettant de redécouvrir l'artiste en France. Dépositaire de 81 tableaux, en abdiquant, le souverain partit avec ses tableaux qui finirent par être vendus aux enchères à Londres.
Le François d'Assise de Lyon, confronté à deux autres versions de Boston et de Barcelone, est saisissant. Inoubliable, et confondant !
Le tableau restauré par les Amis du Musée porte la signature de 1636, en faisant de cette œuvre le tableau princeps de la série si l'on se fie à la ferveur du visage et à la texture remarquable de l'habit.
Le peintre se serait inspiré d'une sculpture du saint en bois momifié polychrome de 1620 appartenant au couvent de Valladolid. A l'origine d'autres François d'Assise sculptés avec des yeux de verre et des dents en ivoire ou en os !
Tout le long du XIXème siècle, les moines de Zurbaran nourriront des illustrations mystiques comme le portrait du Sar Peladan, fondateur de l'ordre des roses-croix par Zacharie Astruc ou Alexandre Séon. En 1937, soulignent les spécialistes, Javier Bueno dépeint la poignante Exécution d'un paysan espagnol. Prêtés par le Musée Galliera à Paris, des modèles signés Madame Grès, Cristobal Balenciaga ou Azzedine Alaïa empruntent aux épures géométriques du maître. Des peintres contemporains s'en inspirent encore, Djamel Tatah ou Owen Kydd fixent leur pinceau sur ce visage de Noël fixé au ciel et à la terre, dans une transcendance intériorisée et dépouillée !
Ce jeu contrasté en clair obscur d'un saint de l'ombre sur exposé aux objectifs modernes de la photographie fait débat et commentaire. Zurbaran et son modèle François d'Assise se lovent à Noël dans un paysage d'hiver et de clarté voilée de circonstance.