1
Tradition
Etche – eliza ou l’église domestique des origines
Etche – eliza ou l’église domestique des origines

| François-Xavier Esponde 2698 mots

Etche – eliza ou l’église domestique des origines

chapelle seigneuriale.jpg
Arcangues : la chapelle seigneuriale ©
chapelle seigneuriale.jpg
chapelle seigneuriale - le fauteuil du marquis.JPG
chapelle seigneuriale d'Arcangues : le fauteuil du marquis ©
chapelle seigneuriale - le fauteuil du marquis.JPG

Au Pays Basque

Etche - eliza, l’église domestique conforte l’historique de ces édifices religieux consacrés au culte en Pays Basque.
Au fil du temps après avoir été accueillis dans les châteaux, “Jaureguiak” du pays, les fidèles érigèrent leurs lieux de culte comme à Sare dès le XIIème siècle, Gréciette / Mendionde au XVème siècle, portant le nom initial de Paroisse Saint Martin de Garro, celle d’Ainhoa, église monastique des Prémontrés navarrais du XIIIème siècle, celle d’Arcangues du XVIème siècle, ou d’Espelette du XVIIème siècle.

Il en est ainsi pour chacune dont la recension serait avantageuse pour la perception historique de ces bâtiments communaux. Construites dans les terres et dépendances du château, leur proximité géographique et physique relie leur histoire commune.
Au château de Garroa on trouvait une chapelle intra muros, désaffectée depuis, qui confirmait l’origine cultuelle associée à l’autorité civile du maître des lieux bien avant la construction des églises communales qui se développeront au delà du XVIIème siècle en terre basque.
Lekorne (Mendionde) eut son église Saint-Cyprien en cette époque datée de l’histoire un siècle et deux après celle de Gréciette.

Echanges commerciaux, marchés et autres affectations se déroulant de la sorte dans les espaces privés des châtelains du pays, comtes vicomtes marquis, dont le titre de propriété garantissait protection et partage communautaire des dividendes assurés par le travail et la répartition accordée par le maitre des lieux.
In illo tempore, il en fut ainsi !

Il est de toute assurance que l’évangélisation primitive de l’église en Pays Basque commença dans cette enceinte, au Moyen Age, avant la Révolution et pendant les guerres de religion qui eurent lieu en ces terres divisées entre catholiques avec les familles associées à cette église, et réformés de la filiation de Jeanne d’Albret.

Les communes de Saint Esteben, Isturitz, Ayherre,  Bonloc, Saint Martin d’Arbéroue gardent encore en mémoire le partage des idées religieuses et ecclésiales qui existaient entre les familles, d’aucunes catholiques, d’autres protestantes, qui se faisant la guerre entre elles, défendaient des intérêts plus substantiels de terres, de troupeaux, de dispositions de pâturages, et de récoltes annuelles mêlées aux affaires religieuses pendantes.
Ce qui put entrainer l’occupation de l’église catholique par les Réformés puis le retour aux catholiques selon les aléas du passé.

La religion mêlée à l’histoire des humains engendra des rapports de force inévitables par des règlements de compte successifs, incendies, vengeances sur les récoltes, usurpations de terres, dont la mémoire collective, orale et fidèle a transmis les avatars du passé.

Etche Eliza d’abord, puis Herriko Eliza poursuivit tout au long de l’histoire ce lien vital et local d’une communauté humaine intimement imbriquée dans le passé de ces récits mémoriels que l’on n’oublie pas, et se perpétuent par l’histoire.

Nos photos de couverture : la chapelle seigneuriale à l'église d'Arcangues

Etxe Eliza - des origines

1 – Eglise domestique

Difficile de remonter le cours du temps et d’imaginer que faute de murs, de bâtiments, il y eut la maison d’habitation familiale comme première cellule de rencontre des fidèles chrétiens.

Les Grecs de l’antiquité cultivaient le cercle désigné “oikos” que les romains appelaient “familia”.
A savoir pour la tradition latine la maisonnée dès 230 après JC.

Mais en cherchant dans les cadastres égyptiens anciens on évoque déjà le bâtiment église sur des papyrus datés de 230 à 250. S’agissant d’un lieu spécifique permettant à des fidèles de se retrouver pour célébrer le partage de leur culte culte spirituel.

Les Romains cultivèrent le choix de la maison privée aménagée pour recevoir les membres de la parenté et les proches adhérents de leur assemblée.
Maison équivalait à une fratrie, et une parenté élargie d’alliances.
Les Juifs évoqueront la synagogue à partir de 200, espace sacré préfigurant l’église des chrétiens postérieure.
Inspirée de celle de Jérusalem mais elle ne remplaçait la cellule familiale si importante dans l’histoire de la foi israélite.

Le chef de famille israélite comme le chef chrétien y règne en pater familias, doté des pouvoirs et des moyens de décision spirituels et économiques pour y organiser l’ordinaire du quotidien? “oikos” chez les grecs, maisonnée des Romains, dont la description donnée par Aquilas en est la parfaite illustration.

Artisans, ouvriers, esclaves affranchis et esclaves tout court, sujets attachés à la maisonnée y trouvent leurs moyens de subsistance, dans la parfaite organisation voulue par le maître des lieux.

L’atelier de Lydie en Macédoine est encore un descriptif détaillé donné par Paul qui qualifie les attributs du commerce ambiant. Il réunit la cellule laborieuse active autour de la maîtresse des lieux, ordonnatrice du travail, des tâches et des fonctions dévolues à chacun, dont celle du culte rendu aux divinités.
Accepter que les églises domestiques sans territoire suppléèrent ainsi comme il existait des cités sans territoire semblerait impensable, mais telle fut le début de l’histoire.

Dans la familia on célébrait les joies, fêtes, cultes domestiques en une sociabilité et une solidarité que des communautés de base ont souvent cherché à imiter le long de l’histoire, kibboutz, coopératives, vies associatives..

Cet espace intermédiaire entre le public et le privé survécut jusqu’au III ème siècle jusqu’à ce que la maisonnée obtint le statut de droit de cité et de propriété.

Les activités en chacune d’elles étaient libres sauf dénonciation et suspicion de voisinage qui pouvaient sanctionner pour des raisons de promiscuité possible.
Les différentes populations qui peuplaient Rome venues de l’empire alentour posaient nécessairement des questions d’insécurité inhérente à ces différences.

2 - De la légende à la véracité

La légende rapportait la vie en des catacombes cachée de chrétiens de Rome. Il semblerait au regard de l’histoire hagiographique, hormis les temps de guerre, la vie de maisonnée avec ses nombreuses singularités primait sur celle de la dissimulation sociale.
Le chef de famille embrassant la foi chrétienne et toute la maisonnée devenait chrétienne sans exception.
La relation concernant le centurion Corneille, ou Lydie, la commerçante le geôlier de Philippes, Stéphanas de Corinthe reçoivent le baptême avec la pléiade des obligés de la maisonnée..

Il faudra attendre la fin du II ème siècle pour accéder à des conversions individuelles chez les juifs, les romains paiens, les nouveaux chrétiens issus de la diaspora impériale.

Perpétue relate la diversité des situations au sein de sa maisonnée au sujet de la religion observée dans chaque famille.
La présence de populations venues de la diaspora, posera la question des unions mixtes.

Le roman ayant pour décor Joseph et Asmath en Egypte, en est un exemple demandant la conversion de l’épouse tandis que dans le livre de Tobie, on interdit toute union avec un sujet non juif pour le cas.

Au cours de ce IIème siècle, l’interdiction de mariages mixtes est appliquée pour préserver l’identité de chaque confession et éviter la pratique juxtaposée des religions au sein même de la maisonnée.

Les propos de Tertullien, de Cyprien de Carthage, de Justinien en divers lieux de l’empire se reconnaissent en cet interdit de l’union entre un paien et un baptisé voulant éviter le rapport de deux cultes parallèles possibles, si chacun gardait ses propres coutumes dans la "familia" !
La différence viendra de la vie civile entre Athènes et Rome, la première demeurant plus libérale et ouverte au réseaux sociaux d’un vivre ensemble élargi d’ une disparité acceptée.
Aristote est favorable à la communauté humaine qui assimile les différences au cours de fêtes domestiques joyeuses qui ponctuent toute célébration patriotique, familiale des naissances ou de cultes aux morts, de mariages et de cultes aux divinités.

Pour les chrétiens profondément imprégnés par les us et coutumes juives, nombre d’entre eux étant juifs à l’origine, le communautarisme y est exclu, rendu licite s’il favorise le lien social ou la fraternité comme en une confrérie suivant un règlement adopté pour chacun en interne.
libertines possibles étant interdite en ces réunions spirituelles en interne, laissées à d’autres lieux où l’ébriété et les jeux sensuels pouvaient se vivre, hors les espaces domestiques de la cité. Bains collectifs, salles de jeux, stades et arènes de la cité.

3 - La question majeure pour le romain, juif, païen, chrétien, ou sans religion était l’accès alimentaire aux viandes sacrifiées.

L’animal saigné étant soumis aux préceptes religieux d’une extrême vigilance, le rite alimentaire n’interdisait de facto sa consommation mais ne l’autorisait dans les sanctuaires.
Pour des raisons évidentes dues au polythéisme ambiant de l’origine et des coutumes des populations vivant à Rome mais selon des us différents.
Paul et Jean auront à ce propos des avis distincts à propos de ces traditions alimentaires et des commerces entretenus entre chrétiens et non chrétiens sur ces sujets.

Chacun s’interroge dès lors sur la propagation du christianisme hors Rome, au sein des cités de l’empire aussi diverses que réelles.
Il était d’usage de circuler et pour le cas de Paul doté d’une citoyenneté romaine dans les régions de la méditerranée sans entrave. Il y croisa les juifs convertis, la diaspora peu ou prou disposée aux rites du temple, les nouveaux venus de l’évangile et dut se résoudre à adapter les principes aux situations locales.

La tradition de l’hospitalité romaine était légendaire. L’Empire assimilait tout ce qui pouvait y advenir avec une réelle curiosité et un engouement pour la découverte.
Les recommandations d’un envoyé de Rome, capitale de l’empire, doté d’une lettre de créance à laquelle l’hôte se devait de répondre favorablement, posait cependant la question de la commensalité de ce visiteur et la proximité des rapports avec la maisonnée accueillante.
Une fois encore l’observance des règles alimentaires et des pratiques domestiques se posait.
Juifs circoncis, chrétiens circoncis ou non, soumis à des contraintes rituelles alimentaires et aux promiscuités avec les “paiens”, les non juifs, étaient des questions en attente de réponse.

Juifs et Chrétiens adoptaient les règles de l’hospitalité partagée, mais avec des païens, le sujet demandait encore débat.
Les Esséniens refusaient de modifier leurs conduites à cet égard, Paul demandait en retour de la bienveillance.

Les retours épistolaires de Problius à Malte, de Caius à Corinthe, celui de Phoibé sont savoureux à découvrir.
La mixité religieuse ne se commande guère.
Elle s’impose !

Par un concours de circonstance favorable la diffusion de l’évangile empruntant les réseaux de l’empire existant, la solidarité conjuguée au partage de biens, d’aides financières aux communautés, de la venue de messagers missionnés depuis Jérusalem élargira le cercle premier de la petite communauté de Jérusalem, lui donnant une dimension universelle.

Paul porte ce souci dès l’origine d’une incarnation physique des chrétiens en un lieu stable, un lien durable, des institutions empruntant celles tout d’abord héritées du judaïsme, avant de vouloirs prendre leur autonomie progressive au cours du temps. Non point en concurrence possible, distincts des lieux de vie des capitales provinciales de l’empire mais localisées en chacune.
Territoires, provinces, capitales s’assoiront en ces lieux, et en feront le cordon vital de l’église et celui de l’évangélisation.

Les Grecs disaient déjà dans leurs cercles philosophiques, épicuriens et pythagoriciens, “entre amis tout est commun”, adage grec de l’hospitalité. Il fut adopté par les chrétiens, “entre frères tout est commun” !

Paul eut ce souci de favoriser la solidarité, l’universalité, l’ouverture par l’aide apportée en retour à la communauté de Jérusalem, puis des communautés les moins bien loties, par des subsides et une équité entre elles.

4 – L’organisation ecclésiale 

Les visites de missionnaires, les Lettres des Apôtres tout d’abord, et épiscopales ensuite pour conforter la foi des communautés seront de première nécessité.
La disparité de ces communauté était telle que les plus anciennes disposaient de savoir, d’avoir et de connaissance religieuse.
Les plus jeunes, recrutant dans des périphéries de ces cités de l’Empire, n’avaient pour elles que leur jeunesse et leur manque d’expérience.

On se familiarisa à la réception de ces courriers de Rome, à la diffusion des informations, à la solution de questions d’intendance et de religion, dates des célébrations de pâques, fêtes périodiques et anniversaires.

Certaines de ces lettres avaient aussi mission de rétablir l’ordre et la bonne conduite du pouvoir dans la communauté.
Faute d’évêque en certaines, chacun se prenant pour le souverain sur ses ouailles, il fallait rétablir la conformité évangélique, et éviter les divisions.

Le réseau, la distribution des informations, lettres et missives authentifiées préparaient la venue d’épiscopes locaux inspirés par les préfets civils de l’Empire romain, tournés vers Rome, venus de Rome pour conforter l’empereur assis sur son pouvoir militaire et religieux incarné par les évêques in situ.

On commençait pour les lettrés de ces cités impériales à traduire en latin les lettres grecques ou en araméen, des apôtres et des premiers textes théologiques de l’Eglise venus d’Alexandrie.

Les Codex faisaient leur apparition. Les bibliothèques, du moins ce que l’on désignait comme telles, recueillaient des parchemins, des papyrus, des rouleaux de la Torah ancienne. Le codex, ancêtre du livre portable entouré de rubans, d’amulettes portées par les messagers, voyaient le jour.
Elles officialisaient la provenance et la nature de ces documents.

On s’organisait hors la capitale impériale pour nourrir le réseau chrétien en tout lieu parfois éloigné de la capitale.

On raconte l’histoire du papyrus X en Egypte, fabriqué in situ dans la tradition ancienne garni de ces informations sur la religion de Jésus, instruisant sur la personnalité et les habitus de ces croyants d’un autre monde que celui des latins de Rome.

Le temps ajoutant de l’expérience, les réseaux de l’information fixeront sur les canaux épiscopaux l’habitude de publier des Lettres comme Denys de Corinthe le fit de 170-80, Polycarpe à Philippe, riches d’instructions sur les soucis de ces chefs religieux d’accroître la formation des fidèles, accueillir les nouveaux convertis, les former à une religion inconnue pour la plupart.

Alexandrie demeurait la cité phare de cette diffusion de l’information religieuse, auprès de ces églises autochtones orientales, de l’empire romain,répandu sur une grande part de l’afrique du nord, le bassin méditerranéen, et la vieille Europe latine à ses débuts.
Les évêques de ce temps aimèrent voyager en leurs terres et au delà avec leur suite obligée.

Un caravansérail - miniature de chevaux, et de servants qui n’hésitaient à emprunter les routes carrossables de l’Empire pour des voyages missionnaires louables et d’agrément possible.

L’épiscopat était héréditaire, de père en fils, au sein d’un clergé marié.
La fonction du notable épiscopal fut gratifiée par le pouvoir souverain.
Les émoluments reconnaissables à la splendeur de l’ordinaire de chaque épiscope en fonction ou en grandeur en témoignaient.

L’épiscope eut une fonction importante dans l’avènement de l’église au grand bénéfice de l’empire comme rapporté par Eusèbe de Césarée dans son Histoire Ecclésiastique. Une mine de renseignements sur ce temps si antique, si lointain et anachronique pour nous.

Les débats des Synodes locaux portent sur la date de Pâques, la conformité au calendrier julien, les échanges théologiques sur la nature de jésus vrai dieu et vrai homme, et de moulte autres interrogations qui s’enracineront dans l’institution au fil du temps.
On citait 17 évêques de ces terres au Synode de Hiéropolis, 60 à Rome en 251, 71 à Carthage en 254, 87 en 256, 70 en 313.
Les premiers schismes commenceront à éclater.

La communion dans la Foi pouvant être mise à rude épreuve par le pouvoir militaire et politique.

Le temps ouvrant la faveur d’une maisonnée - église aux non juifs, en ces terres impériales totalement étrangères aux us de Jérusalem, vient la question des différents entre juifs et chrétiens sur leur interprétation de la foi biblique, des questions plus anciennes sur la liturgie, la référence au texte araméen et hébraïque, les mariages mixtes en l’état, et ces rapports interdits à “la table des démons” désignés comme tels quand il s’agissait de croiser l’amour humain et des pratiques initiatiques polythéistes hostiles au monothéisme juif et chrétien.
Pris en tenaille par des cercles rivaux et parfois irréconciliables, la cohabitation des croyants de la première maisonnée domestique devenue une communauté pluri-communautaire posait de nouvelles questions.

Pour les uns, être chrétien voulant dire rejeter le profane, et pour d’autres, rejoindre la différence des croyances, l’histoire semble rapprocher les contemporains de ces échanges des premiers temps, jamais absents à toutes époques et aujourd’hui plus prégnantes que jamais !
Dans un livre écrit par Françoise Baslez, « l’Eglise à la maison. Histoire des premières communautés chrétiennes 1-3ème siècle » paru chez Salvator, on savoure la complexité de la vie de ces sociétés à l’image du monde méditerranéen de leur temps, demeuré celui du nôtre dans ses diversités !

Répondre à () :

mathieu | 06/06/2022 19:42

très impressionnante - et captivante - érudition!

| | Connexion | Inscription