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Patrimoine
En hommage au patriarche de la culture basque
En hommage au patriarche de la culture basque
© ALC – L’auteur avec l’abbé Barandiaran devant sa villa d’Ataun

| Alexandre de La Cerda 1297 mots

En hommage au patriarche de la culture basque

Il y a 130 ans, le 31 décembre 1889, naissait dans la ferme Perune-Zarre d'Ataun en Guipuzcoa Joxemiel de Barandiaran. Après ses études au séminaire de Vitoria/Gasteiz, il fera partie de cette exceptionnelle brochette de religieux basques, découvreurs et mainteneurs de notre culture. Ceux que la tragédie de l'invasion de leur Euskadi natale en 1937 avait jetés sur les routes d'un exil qui n'en était pas un, en réalité, puisque tant le Père Donostia, musicologue et compositeur fin et averti, ami de Ravel, qui arpenta les chemins de nos villages pour recueillir les airs et les chansons du répertoire musical basque, que l'abbé Jose Miguel de Barandiaran, qui utilisa sa taille si fine pour "inventer", explorer et inventorier toutes les cavernes de notre préhistoire si riche, feront accomplir des progrès décisifs dans les trois provinces basques de France ou Iparralde. 

Se joindra à eux un chanoine Pierre Lafitte, linguiste mondialement reconnu, lui aussi, qui parcourra nos routes à la recherche d'un vocabulaire authentique mis à mal par l'évolution, voire la disparition de métiers consécutives à la révolution technologique du XXème siècle.
Je me rappellerai toujours avec tendresse et émotion ces "mardis" de l'hebdomadaire en langue basque Herria, dont il était le créateur, l'âme et la pierre angulaire, lorsqu'après avoir procédé aux corrections "à la loupe" et sur le marbre, le chanoine Lafitte réunissait en un frugal déjeuner dans un bistro de Mouguerre son comité de rédaction, auquel se joignaient quelques invités et moi-même, alors jeune créateur de Radio-Adour-Navarre.
Parmi les hôtes de passage, je me souviens qu'un jour figurait le directeur de l'Institut d'Ethnologie de Tokyo, qui désirait à tout prix vérifier les relations anciennes qui auraient pu exister dans un passé lointain entre les Basques et les Aïnhous, population septentrionale de l'archipel nippon, décimée par les Japonais actuels, tout comme les Indiens d'Amérique le furent progressivement par les colons américains...

Je fus donc chargé de piloter "notre hôte" à Ataun, en Guipuzkoa, chez l'abbé Barandiaran, presque centenaire, qui formait encore l'extraordinaire projet d'une nouvelle encyclopédie en je ne sais combien de volumes - il en avait déjà écrit de fort nombreux tout au long de sa vie ! Ce fut mon premier contact avec cette sommité scientifique internationale qui nous reçut - avec cette simplicité extrême qui est toujours l'apanage des grands - dans sa villa "Sara", nommée ainsi en mémoire de son séjour heureux dans la patrie de Paul Dutournier…
A la veille de son centième anniversaire, au terme d’une vie dédiée tout entière à l’esprit et à la science, et d’une innombrable somme de publications, l’abbé Barandiaran ne songeait-il pas encore à une encyclopédie en vingt volumes ? A 101 ans, il eut la joie de voir imprimé le premier tome de cet « Atlas Ethnographique de Vasconie » consacré à « L'Alimentation Domestique » suivi plus tard des « Jeux Enfantins », « Rites Funéraires », « Rites de la Naissance au Mariage », « Elevage et Pastoralisme » et « Médecine populaire au Pays Basque » pour ne citer que ceux-là. 
Et je garderai longtemps encore le souvenir de sa silhouette si frêle, presque irréelle, comme portée par une foule à mi-chemin de l'enthousiasme et du recueillement, lorsque centenaire, il accomplit un bout du "Kilometroak", "course" relais en faveur des ikastolak, les écoles en langue basque ! Combien d’hommages lui furent rendus, depuis le Musée de Guéthary avec une exposition d'estampes réalisées par les plus célèbres plasticiens basques, de Chillida, à Balerdi et Goenaga, jusqu’à Ostabat où il y a une quinzaine d’années, son plus fidèle disciple Mikel Duvert lui consacra une conférence.

La question de l'origine des Basques et de leur langue
L’euskara, qui ne ressemble à nulle autre langue et ne rentre dans aucune classification, continue au fil des siècles de tourmenter des générations de savants chercheurs. 
Les théories les plus fumeuses - telle une hypothétique provenance d’autres planètes - ont fait long feu grâce aux travaux de Jose-Miguel de Barandiaran, le « patriarche de la culture basque », cet extraordinaire anthropologue, auteur d’innombrables ouvrages et encyclopédies savantes qui a généré une véritable « université en marche » et à qui on doit l’élaboration d’une espèce de filiation du Basque à partir d'une évolution locale de l'homme de Cro-Magnon. C’était un découvreur de grottes préhistorique dont il pouvait explorer les moindres anfractuosités grâce à sa taille si fine. Barandiaran a pu ainsi étudier celles de Sare où il résida pendant la guerre civile espagnole mais aussi à Ilbarritz, entre Bidart et Biarritz, et jusqu’en Soule… Il a recueilli également des milliers de mots et d’expressions associés à des observations sur le terrain concernant les travaux et la vie de tous les jours des habitants du Pays Basque.
Avec un autre savant, Aranzadi, Barandiaran avait établi une méthode de mensurations crâniennes à partir de ses découvertes dans la grotte d'Iziar en 1936. Et, le premier, il émit l’hypothèse d’une filiation des Basques selon une évolution locale des hommes de Cro-Magnon, ces fameux chasseurs du Paléolithique qui se sont développés à partir d’il y a quelques quarante milliers d’années dans une aire géographique appelée « franco-cantabrique » et grossièrement comprise entre le Périgord, l’Andorre et les Asturies. Particulièrement, les moyennes montagnes basques et leurs vallées avaient offert à ces populations migrantes de chasseurs de rennes le refuge de leurs grottes, en général situées au-dessous d’une altitude de 500 mètres et dans un environnement climatique relativement modéré par les influences océaniques.
Cependant, les travaux de Barandiaran ont été semés d’embûches. 
Il est de bon ton, parfois, d'écarter sur le ton de la suffisance des travaux d'historiens et de chercheurs au prétexte qu'ils favoriseraient quelque « basquitude » par trop conquérante.
Cet amalgame simpliste trouve sa meilleure réfutation dans l'attitude d'extrême probité - voire l'humilité - scientifique manifestée par les grands ethnologues et préhistoriens basques, autant Barandiaran que son disciple, l'éminent biologiste et paléontologue Jesus Altuna qui lui a succédé depuis lors, lesquels n'ont jamais hésité à remettre constamment en question leurs conclusions.
Une preuve définitive en a été fournie à propos des crânes découverts par Aranzadi et Barandiaran dont la première approche avait été réduite aux techniques de datation encore rudimentaires de l'entre-deux-guerres.
L’un était « cro-magnonoïde », l’autre « intermédiaire » et le troisième se rapprochait du type basque contemporain, et leur localisation respectivement dans des strates magdalénienne (-12 000), azilienne (-8 000) et de l'Age du Bronze (-4 000) semblait conforter la théorie de la filiation des Basques à partir d'une évolution locale de l'homme de Cro-Magnon.    
Or, dans les dernières années de Barandiaran, déjà presque centenaire, l'évolution des techniques liées au carbone 14 avait incité son jeune disciple Altuna, qu’il avait détourné de la bactériologie et de la génétique, à envoyer au laboratoire spécialisé d'Uppsala d'infimes parcelles des fameux crânes aux fins de datation. Le verdict, imparable, les situa tous les trois autour de -3580. Les trois types coexistaient donc encore à l'Age du Bronze et semblaient avoir été enterrés dans une fosse creusée au sein de strates plus anciennes ! Aussitôt averti, Barandiaran exigea la publication immédiate de résultats pourtant susceptibles de remettre en question sa théorie, celle de toute une vie.
Il n'en fut rien heureusement car la science génétique vint ajouter ses acquis à la technique des mensurations crâniennes et des os. En 1993, Luigi Cavalli-Sforza, directeur du département de génétique de l'Université Stanford de Californie, Alberto Piazza, de l'Université de Turin et Paolo Menozzi, de Parme, publièrent la somme importante de trente années de recherches sur cent mille ans d'histoire des migrations humaines à travers l'analyse du matériel génétique des populations actuelles.
Il en résultait que « les basques étaient probablement les descendants les plus directs des premiers colons post-néandertaliens en Europe ». En affirmant cela, les universitaires ne prétendaient certes pas que les basques d'aujourd'hui étaient semblables aux hommes de Cro-Magnon; mais les études de géographie génétique qu'il avaient menées montraient qu'en Europe, le peuple basque, conservant relativement « intactes » au cours des âges modernes, sa langue, ses traditions, sa culture, avait également gardé un patrimoine génétique distinct.

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